Cinquième révision de lAI contre tous les salariés
Cinquième révision de lAI contre tous les salariés
Nous avons publié dans le précédant numéro une première contribution critique dUrs Diethelm sur le projet de 5ème révision de lassurance invalidité (AI). Nous poursuivons cette réflexion avec un article de Jean-Daniel Jimenez sur les effets pervers programmés de lAI pour lensemble des salarié-e-s.
La nouvelle révision de lAI proposée par le Conseil fédéral sattaque essentiellement à la notion dinvalidité, Cette dernière est définie par une causalité entre perte de gain économique et atteinte à la santé par la maladie ou laccident. Cette causalité nécessite lintervention de lAI. Et cest principalement sous cet angle que les modifications prévues par la 5e révision de lAI sont des armes dangereuses contre les salarié-e-s.
Il faut les mettre en perspective avec la 3e révision de lassurance chômage (AC), entrée en vigueur le 1er juillet 2003, qui a vu une diminution de la durée dindemnisation et un renforcement des sanctions et du fardeau de la preuve pour les assuré-e-s. Dans la même logique la droite genevoise vient de supprimer le droit à un emploi temporaire de 12 mois, ouvrant un 2e délai cadre fédéral dindemnisation. De même, la volonté de diminuer les montants de laide sociale inscrite dans le projet de budget genevois 2005 a été «justifiée» par les recommandations de la Conférence suisse des institutions daction sociale (CSIAS), mises en consultation jusquen décembre 2004.
Le capitalisme produit des invalides
Les milieux économiques, par des processus dacquisition, de fusion et de rationalisation, ont expulsé une partie des salarié-e-s du monde du travail. Les plus fragiles vers lassurance invalidité, et les autres vers le chômage. Le recours accru à lAI sexplique pour trois raisons qui peuvent se cumuler. Tout dabord, le vieillissement de la main duvre et la pénibilité croissante du travail poussent de plus en plus de travailleurs-euses vers lAI, et ceci dès la cinquantaine. Ensuite, les mutations du marché de lemploi produisent des invalides économiques. Enfin, le harcèlement psychologique sur les places de travail génère des souffrances insupportables et des troubles irréversibles pour beaucoup.
Cest pourquoi la 5e révision de lAI veut diminuer de 10% le nombre de rentiers invalides, qui est passé de 118000 en 1990 à 205812 en 2003. En réalité, on constate une augmentation vertigineuse de «linvalidité psychique». Une société basée sur le capitalisme sauvage, la rentabilité à outrance et la consommation boulimique rend en effet de plus en plus malade.
Une attaque contre tous les salariés
Pour atteindre leurs objectifs les promoteurs de la révision se fixent six objectifs:
- La collaboration inter-institutionnelle entre lAI, lAC et laide sociale, afin de remettre su travail les populations «désaffiliées». Cette collaboration devrait en effet être soutenue par des moyens financiers afin de développer des programmes de formation. Au contraire, elle visera dabord à renforcer les contrôles permettant de rejeter sur le marché du travail une population fragile, corvéable à merci.
- Le versement dindemnités journalières durant les deux premières années qui suivent la demande AI afin dinciter les assurés à reprendre une activité salariale. Un refus demploi pourrait signifier des sanctions identiques à celles en vigueur dans lAC. Le patronat trouvera des avantages à ce système, puisquil pourra bénéficier des subventions de lAI en cas dembauche de personnes en réinsertion. Cette mesure est intitulée «incitation aux employeurs».
- Un renforcement du rôle des services médicaux régionaux (SMR) permettra des procédures harmonisées sur la perte de gain économique subie par lassuré-e, les diagnostics et les décisions. La finalité est de retirer les compétences des médecins de ville et dinstitutions hospitalières.
- Le transfert de lensemble des frais médicaux qui ne sont pas directement en lien avec des maladies congénitales vers lassurance maladie obligatoire (LAMal). Les employeurs réussissent par-là à transférer une partie des charges vers une autre assurance sociale, à laquelle ils ne contribuent pas, tout en générant une hausse des primes LAMal pour lensemble de la population.
- La mise en cause du droit dêtre entendu. En effet, le préavis de lAI devrait être présenté au candidat-e- dans ses locaux, avant lenvoi de la décision, ce qui permettrait dobtenir laval de lassuré-e sur la décision. Depuis janvier 2003, une loi harmonise toutes les voies de recours, dont le nombre est en augmentation, et ce sont bien ces voies de droits quil est question de bloquer.
- La volonté de supprimer les rentes complémentaires existantes touchant ainsi aux droits acquis.
Les employeurs dictent leur loi
Ces projets en matière dinvalidité représentent une nouvelle attaque à lédifice fragilisé de la protection sociale, déjà mis à mal par la 3e révision de la loi sur le chômage, la diminution des prestations daide sociale proposées par la CSIAS, la baisse du taux de rendement de la prévoyance professionnelle.
Les milieux économiques, principaux responsables de laugmentation des demandes des assuré-e-s, fixent les règles du jeu parlementaire en réclamant une adaptation nécessaire de cette assurance sociale aux «nouvelles conditions cadres de notre société», qui sont définies entre autres par les tendances suivantes: «augmentation de la proportion des personnes âgées dans la population active (risque accru dinvalidité), nouvelle perception de la notion de maladie (surtout pour les malades psychiques), mutations profondes du marché de lemploi».1 Cest cela qui légitime linstauration de plus en plus de mesures coercitives à lencontre des assuré-e-s sociaux.
Dans le même temps, Deiss refuse les recommandations de lOCDE sur la politique familiale suisse car, «en matière de droit du travail, notre philosophie repose sur la flexibilité. Nous souhaitons éviter de nouvelles mesures coercitives».2 Une telle idéologie, pour laquelle la liberté des employeurs doit être totale, tandis que les travailleurs-euses sont de plus en plus fortement mis sous pression, ressemble chaque jour plus à une dictature totalitaire de Suisse S.A. sur lensemble de la population de ce pays.
Jean-Daniel JIMENEZ
- Revue de sécurité sociale CHSS 5/2004, p.271.
- Le Courrier, 29 octobre 2004.