Le Parlement argentin envisage de répudier les dettes de la dictature
Le Parlement argentin envisage de répudier les dettes de la dictature
Le 22 octobre 2004, 15 députés argentins issus de différentes formations politiques ont présenté un projet de loi pour déclarer odieuse la dette contractée par la dernière dictature militaire. Larticle 1 de ce projet de loi (qui en contient trois) est clair et concis: «Déclare odieuse la totalité de la dette publique externe contractée par la dictature militaire durant les années 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, 1982 et 1983».
Le projet contient aussi un point capital: la responsabilité des créanciers qui, en vertu du droit international, sont redevables de réparations («dommages et intérêts»). Il ouvre également la voie à lexigence dun procès pénal contre les dirigeants des institutions financières internationales et des banques privées complices de crimes contre lhumanité pour lappui donné consciemment à un régime militaire criminel. Ce projet de loi devait être débattu en séance publique le 17 novembre 2004, mais na pas été adopté faute de quorum, une majorité de députés sétant absentés pour empêcher le vote. Il faut néanmoins souligner quen trois semaines, soixante-cinq députés lont signé.
Une dette odieuse et nulle
Il ny a pas le moindre doute, tant du point de vue du droit interne que du droit international, que la dette contractée par la dictature argentine, avec la participation et la collaboration étroite du FMI et de la Banque mondiale, est une dette non seulement odieuse du point de vue doctrinal mais aussi nulle selon le droit international1. Un jugement récent (Olmos, du 13 juillet 2000), a mis en évidence deux aspects essentiels qui renforcent largument selon lequel lEtat argentin na aucune obligation juridique de continuer à payer cette dette.
- Lexistence dune dictature militaire sanglante. Elle écarte lapplication du principe de la continuité de lEtat, qui confère à tout gouvernement postérieur les obligations internationales assumées par son prédécesseur indépendamment du caractère de celui-ci.
- Le caractère intrinsèquement illicite en droit international de tous les actes posés par la dictature, ainsi que labsence de tout droit des créanciers à réclamer le paiement dune dette. Il sagit dune relation viciée dès le départ entre dun côté, un gouvernement de facto qui a perpétré les crimes les plus graves aux yeux du droit international, et de lautre la complicité directe des créanciers qui, en plus dêtre complices de tels crimes, ont participé activement à un système de corruption comme créanciers et comme acteurs principaux du vol systématique et généralisé des ressources de lArgentine.
Complicité de crimes contre lhumanité
Le projet met laccent sur le fait quil existe une «complicité manifeste et nécessaire des organismes internationaux de crédit, des banques privées internationales et des entreprises transnationales, qui étant donné la situation du pays ont aussi choisi lalliance avec le gouvernement militaire face à linexistence de contrôles démocratiques permettant de consolider un projet politico-économique sans opposition possible dans le cadre dune violation massive des droits humains».
Dans le cas argentin, il ny a pas de doute que les créanciers ont agi en connaissance de cause. Dans ce cas concret, ils se sont comportés en véritables «organisations criminelles» selon la définition de larticle 11 des statuts du Tribunal pénal militaire de Nuremberg. Leur appui direct à la dictature, à la prise de contrôle de fait du pays, à la corruption de fonctionnaires publics, à la subornation, à lappropriation indue de biens publics, etc., ne sont que quelques uns des délits auxquels ils ont participé. Cependant, la responsabilité des créanciers ne se limite pas à des délits de droit commun. Ils ont été également complices de crimes contre lhumanité, en raison de leur appui conscient et constant à des responsables de lEtat (de la dictature militaire) qui ont planifié, ordonné et exécuté les plus abominables crimes de lèse humanité: torture systématique à grande échelle, viols de femmes et dhommes, assassinats, exécutions sommaires, disparitions, exils forcés, etc.
On peut dire que ces organismes, tant publics que privés, par leur attitude dappui direct à un régime criminel, ont rendu possible et encouragé lexécution de ces crimes. Des éléments concrets manquent pour affirmer quils ont participé directement à la planification et à lexécution directe sans que ce vide natténue leur responsabilité pénale.
Des crimes imprescriptibles
Les crimes contre lhumanité se caractérisent par leur imprescriptibilité. Comme le souligne lauteur du projet, les actions des citoyens qui tendent à obtenir la condamnation des responsables de ces «organisations criminelles», sont également imprescriptibles.
Condamner les membres desdites organisations criminelles est partie intégrante de la lutte contre limpunité, un moyen pour obtenir les réparations dues et un acte de justice. Mais cest avant tout un droit inaliénable et imprescriptible qui est à la portée des victimes.
Dans ce cas concret, les responsables des institutions financières ne peuvent invoquer limmunité pour deux raisons. La première est que limmunité est liée à la fonction et quil nest pas dans leur fonction dappuyer financièrement des organisations criminelles. La seconde est quil sagit de violations particulièrement graves du droit international pour lesquels la doctrine et la jurisprudence ne reconnaissent pas limmunité.
Le droit international charge les sujets de droit de lobligation de respecter et de faire respecter les normes impératives. Dans le cas présent, il sagit non seulement de la violation de lobligation de prévention ou diligence due de la part des créanciers privés et publics mais aussi dune conduite délictueuse qui sest prolongée pendant un long moment. Les institutions publiques internationales, leurs fonctionnaires et responsables ont eu connaissance de ces crimes (le droit international les plaçait dans lobligation de savoir avec qui ils traitaient). Malgré cette connaissance, ils ont donné leur appui inconditionnel à un tel régime. ( )
Hugo RUIZ DIAZ BALBUENA*
* Docteur en Droit international, conseiller juridique du Comité pour lAnnulation de la Dette du Tiers-Monde. Cet article est disponible sur le site www.cadtm.org: le titre et les intertitres de cette version légèrement abrégée sont de notre rédaction.
- Virginie de Romanet, «Dette odieuse. Le cas de lArgentine», in: Le Droit international: un instrument de lutte?, CADTM Syllepse, Liège-Paris, 2005. Eric Toussaint, «Argentine: Le tango de la dette», in: La Finance contre les peuples, CADTM CETIM Syllepse, Liège-Genéve-Paris, 2004, pp. 415434.