Féminisme ou bonne conscience de gauche?

Féminisme ou bonne conscience de gauche?


Les griefs que je vais faire aux hommes et leur bonne conscience de gauche pro-féministe dans cet article s’appliquent au premier chef à moi-même. J’avais besoin d’un texte qui me rappelle chaque jour que si l’on veut un peu faire avancer la cause féministe, il faut déjà respecter, écouter les femmes avec qui nous partageons notre quotidien et pas seulement celles qui sont dans les livres…



J’en ai marre de tous ces hommes qui sont sûrs d’eux, parlent fort, n’écoutent pas, interrompent tout le temps les autres, méprisent tout ce qui n’est pas comme eux, mais qui, parce qu’ils ont lu un ou deux articles et font parfois la vaisselle, se disent féministes ou du moins sympathisants. Le féminisme de notre époque me semble miné par deux écueils. Il y a d’une part le mépris de ceux et celles qui pensent que c’est un truc archaïque totalement poussiéreux depuis que l’égalité est entrée dans la constitution. Il y a d’autre part, sa récupération par la gauche et la gauche de la gauche toujours heureuses de rajouter des cordes à leurs arcs et de ratisser large. On parle assez souvent du premier cas, mais moins du deuxième qui me paraît au moins tout aussi grave. Car si les premiers clament bien haut leur mépris du féminisme tant dans les paroles que dans les actes, les deuxièmes portent l’étiquette pro-femmes, mais gardent et cultivent un comportement pro-hommes et si possible pro-hommes «sévèrement burnés».



Voici l’ère du féminisme récupéré qui vient se décliner dans les titres, les colloques, les conférences, les articles. Au mieux on féminise les textes, pas les actes. Le féminisme est devenu un incontournable de l’extrême-gauche: tu le prends en entrant avec le reste des accessoires.



Tu veux être anticapitaliste? Tu veux être contre l’exploitation? Bien, viens chez nous. Mais attention tu dois aussi porter un chapeau féministe!



Tu n’y connais rien? Pas grave, tu lis un ou deux textes et quand tu parles d’une façon ou d’une autre de ce monde pourri, tu n’oublies pas de rajouter une tirade sur les femmes à la fin car il y a forcément une composante femme dans le problème que tu as évoqué!



Est-ce que c’est difficile? Non! On ne te demande pas d’appliquer au quotidien, juste de réciter!

Le pire affront

Quoi tu n’es pas d’accord ? Ecoute, on ne te demande pas de respecter les femmes, ni de te remettre en question mais juste de les citer! Vu que c’est toi qui parle tout le temps, car elles sont trop timorées, c’est à toi de parler pour elles! Tu verras, elles aiment ça!! C’est ainsi que ces hommes qui ne se sont jamais posé la question de savoir pourquoi les femmes -qui sont de toute façon au mieux entendues, mais jamais écoutées ou comprises- parlaient moins qu’eux, deviennent, grâce à la fée extrême-gôche, après avoir lu un résumé du «Deuxième sexe», des spécialistes de la question ou du moins aptes à croiser le fer avec toute femme qui, elle, pourrait apporter… quoi de plus de toute façon? Son expérience? Laissez-moi rire! Comment une aliénée pourrait-elle apprendre quelque chose par son vécu! Qu’elle lise Simone et après on pourra discuter!



Mais ne noircissons pas le trait, cela ne se passe pas toujours ainsi. Parfois le féminisme alibi qu’on prend en même temps que la carte du parti se traduit par un abandon de ces questions aux femmes, du moins à celles qui ont sont reconnues comme des vraies féministes et de vraies militantes (temps partiel et débutantes s’abstenir!). On laisse alors le soin à quelques femmes de remplir ce rôle de macho: imposer leur point de vue.



Cette obligation d’être féministe, lorsque l’on se veut de gauche extrême est le pire affront à cette cause. C’est ainsi que des types qui ont le même comportement sur ce point que le reste de l’arène politique se proclament, se complaisent et finalement dominent, pétris de bonne conscience.



N’ai-je pas entendu moult conférences et toujours voté pour que le féminisme soit au centre de nos actions? Est-ce que je ne parle pas toujours systématiquement questions femmes dans mes interventions?



Oui mais de quel féminisme parle-t-on? De celui qu’on apprend dans les livres et qui passe directement dans les textes sans transiter pas le cerveau ou pire: le corps? Cela sert à quoi de se battre pour l’égalité si on n’est même pas capable d’écouter la parole d’une copine? Mais qu’on ne s’inquiète pas, elle n’en fera jamais la remarque, parce que, bon, elle sait bien qu’il y a pire, alors elle patiente…s’aliène…. Mais on continue car le féminisme alibi c’est aussi une œillère: on sait tellement tout de tous les problèmes de toutes les femmes qu’on ne voit plus rien. Pourtant, la domination masculine s’illustre chaque jour dans nos conversations. Regardez, observez et écoutez… vous serez effrayés…

L’écoute, une idée?

Que le féminisme fasse partie de la vulgate gauchiste, aille de soi, cela nuit à tout débat. Car on ne remet pas les hommes en question: on les rassure! Ils endossent cette corvée comme toutes les autres causes que l’on doit défendre si l’on est de gauche. Ils vont même sûrement lire et sincèrement s’intéresser mais se remettre en question sur le quotidien: nada!



D’écoute, j’ai parlé beaucoup d’écoute. Je ne soutiens pas que l’écoute est forcément le nœud du problème ni que c’est la clef d’un changement des rapports sociaux de sexe mais c’est peut-être une idée. Malheureusement, dans la vie, la parole est lutte. Echange peut-être mais surtout échange de coups. On doit faire beaucoup de choses dans une conversation, même dite amicale: ménager son estime de soi, se mettre en valeur, faire accepter sa position, séduire, et j’en passe. Alors comment voulez-vous encore qu’on puisse y insérer l’écoute? Car, attention, écouter c’est chercher à comprendre. Ce n’est pas bailler et montrer bruyamment son agacement, voir interrompre celui ou plus souvent celle qui a eu l’outrecuidance de ne pas s’exprimer en nos termes, nous l’homme, la référence. Il est peut-être l’heure de revaloriser le travail d’écoute chez les hommes car les femmes, dominées, le sont aussi dans la conversation. Je suggère ici que chercher à comprendre l’autre et notamment les femmes, qui sont toujours, au mieux, poliment ignorées, implique préalablement de se taire, mais pourrait amener à des découvertes, à une intelligence de groupe et, pourquoi pas, permettre à quelques hommes de se dire enfin, à raison, pro-féministes…



Mathieu

Ce texte qui a déjà paru dans «Flagrant délit» et dans «L’Emilie» risque de susciter de grandes réactions d’enthousiasme et de colère. Nous pensons toutefois qu’il est important de le publier dans solidaritéS.(Action femmes solidaires)