La chute du Faucon Noir: toute la laideur de la guerre US

La chute du Faucon Noir: toute la laideur de la guerre US


À l’heure à laquelle paraît cet article les écrans devraient être débarrassés de la fastidieuse présence de Black Hawk Down, la dernière œuvre de Ridley Scott réalisateur de Alien et de Blade Runner. Un film inquiétant qui donne matière à réflexion…



À l’origine du scénario de Black Hawk Down, il y a le roman homonyme du journaliste Mark Bowden. À la base du livre, un événement militaire qui a vu l’affrontement entre une centaine de soldats américains et un quartier entier de Mogadiscio pendant l’opération baptisée «Restore Hope». C’était le 3 octobre 1993 lorsque l’armée américaine, sans consulter les commandements des autres forces impliquées, monte une intervention hélitransportée dans la tentative de capturer deux lieutenants de Mohamed Farrad Aïdid l’un des chefs de guerre somaliens.



L’action est une faillite totale, les rangers laissent sur le terrain deux hélicoptères UH-60 Black Hawk (d’où le nom du film), 73 blessés et 18 morts, sans pour autant atteindre leur objectif. Ils pourront sortir de l’impasse seulement après un carnage de Somaliens et l’intervention des blindés des casques bleus pakistanais. Jerry Bruckheimer est à l’origine du film, il s’agit du même producteur du propagandiste Pearl Harbor (2001) et du populiste et chauvin Armageddon (1998).



Le film est construit sur le principe du scénario le plus minimaliste possible. Il se base donc sur un préambule de mise en situation très court et plonge ensuite le spectateur au cœur de l’action pendant plus de deux heures interminables. La violence des combats s’étale crûment, intercalée de temps en temps par l’habituel attirail stéréotypé du genre (gags lourds entre virils soldats, longues et pathétiques agonies des G.I. qui se terminent par des odes à la patrie et à la famille etc).



Cet aspect réaliste a permis à certains commentateurs de lancer l’étonnante hypothèse qu’il s’agit là d’un film qui critique la guerre car celle-ci est montrée dans toute son horreur. Le problème est que cette horreur est très inégalement repartie. Si les soldats américains mettent du temps à mourir et usent de tous les moyens pour chatouiller le pathos des spectateurs, les Somaliens, présentés comme des figures indistinctes, ne font que tomber (par dizaines) presque sans un cri. Il en résulte que les uns sont les martyrs de la situation et les autres, quantité négligeable. Le générique final reporte d’ailleurs les noms des 19 victimes américaines, auxquelles le film est dédié, se contentant de rappeler en une ligne que dans la même action environ un millier de Somaliens ont trouvé la mort.



C’est la logique utilisée depuis longtemps dans les westerns ou dans les war-movies sur la guerre dans le Pacifique. Ici comme auparavant l’ennemi est situé à des années-lumière de la figure américaine la plus valorisée, celle du WASP, il se présente comme une horde de cibles dépersonnalisées. Tout dans le film est mis en place pour que le spectateur fasse l’amalgame: d’un côté les États-Unis, de l’autre non seulement les Somaliens, mais les «autres» tous les ennemis, vrais ou supposés, ancien, actuels ou à venir. Cette vision est appuyée par l’absence totale de mise en contexte. Un texte dans le générique de tête se contente d’affirmer que les Américains sont en Somalie pour «rétablir l’ordre»!



Si la caméra s’attarde si longtemps sur les souffrances des soldats américains c’est que la valeur de leur sang est présentée comme inestimable. Donc, aucune mesure envers les «autres» est injustifiée ou disproportionnée si elle réduit les risques de pertes américaines. Nous sommes en face d’une idéologie bien connue: celle du B-52. Autrement dit, s’il faut raser une ville pour réduire les risques de la perte de la vie d’un seul soldat, on le fait sans état d’âme. Le fait que ce film sorte peu après les faits d’Afghanistan ne relève certainement pas du hasard.



Les défaites, même petites, servent bien la propagande: elles permettent le revanchisme, elles resserrent les rangs de la nation, elles peuvent transformer un président contesté (rappelez-vous des dernières élections) en un chef qu’on ne peut plus remettre en question. L’Hollywood de l’ère Bush commence avec un Pearl Harbor, continue sur sa lancée avec des films comme celui-ci et finira probablement avec le 11 septembre à l’écran.



Enfin, pour conclure, laissons la parole à Olivier Barlet de la revue africultures: «Pour qui n’est pas convaincu que l’armée américaine sauve le monde en intervenant en Somalie ou en Afghanistan, le film est d’un vide impressionnant. La nausée qu’il provoque ne vient pas de sa violence, qui n’a rien de bien nouveau, mais de sa malheureuse laideur.»



Gianni HAVER