Armée indonésienne et multinationales: liaisons dangereuses

Armée indonésienne et multinationales: liaisons dangereuses

L’Indonésie est le plus grand pays
musulman du monde, dans l’œil de la
chasse aux terroristes. Qui sont ces
terroristes? Le gouvernement indonésien
affirme que ce sont les mouvements séparatistes
tels que le GAM (Mouvement pour
Aceh Libre). Pourtant, aucun lien entre le
GAM et un réseau terroriste international
n’a pu être établi et la plupart des armes du
GAM proviennent d’éléments corrompus
de l’armée indonésienne. D’où viennent
ces armes de l’armée indonésienne? A la
télévision ce sont des avions américains
«OV-10 Bronco», ainsi que des avions et
tanks britanniques («Hawk» et
«Scorpion») que l’on voit bombarder les
villages d’Aceh.

La Grande-Bretagne est le premier fournisseur
en armes de l’Indonésie, et Jakarta ne
se cache nullement de l’usage qui en est
fait. Le Commandant Sutarto déclarait en
mai 2003, alors que débutait en Aceh la
plus grande opération militaire après celle
du Timor Est: «Je vais utiliser toutes les
armes que j’ai à ma disposition pour couvrir
le territoire, car finalement, j’ai payé
pour cet équipement.
»

L’Allemagne, la France, la Suède,
l’Australie, la Belgique, les Pays-Bas et la
Pologne sont également bien représentés
sur les champs de bataille indonésiens.
TAPOL (Association de prisonniers politiques,
campagne pour les droits humains
en Indonésie) et 90 autres organisations
signataires d’un appel à l’embargo militaire
contre l’Indonésie en juin 2003 déclaraient:
«Nous tenons pour complices les pays
dont l’équipement militaire est utilisé dans
des attaques contre des civils et nous les
tenons pour responsables des violations
des droits humains entraînées par l’usage
de leur équipement.
»

Armée et multinationales

L’Etat indonésien ne couvre que 30% des
coûts opérationnels de son armée, le reste
découle des profits tirés du commerce
légal ou illégal des militaires, ainsi que des
services de «protection» offerts par l’armée
aux multinationales. En Papouasie,
les mines de cuivre et d’or de Freeport (la
plus grande mine d’or du monde) représentent
unEl Doradopour la multinationale
et les militaires indonésiens, en
revanche c’est un désastre écologique,
social et économique pour la population.
L’armée a «protégé» les mines de
Freeport grâce à la torture, le viol et le
meurtre de villageois. Quand la compagnieBritish Petroleum(BP) est arrivée en
Papouasie, elle a promis de ne pas commettre
les mêmes abus que Freeport et de
ne pas demander la «protection» de l’armée.
Mais les enjeux étant bien trop
grands – dans le cas de Freeport, l’armée
a reçu une somme initiale de 35 millions
de dollars, suivie de payements annuels
s’élevant à 11 millions de dollars, l’armée
devait s’assurer que BP aurait aussi
besoin de «protection».

Le 31 août 2002, trois Américains et un
Indonésien, tous employés par BP, ont été
tués lors d’une embuscade. En 2003, une
enquête préliminaire affirmait qu’il existait
«une forte possibilité» que l’armée indonésienne
soit responsable de ces meurtres,
et le Congrès américain se ralliait à ces
conclusions. Mais une année plus tard,
c’est un membre de l’OPM (mouvement
pour une Papouasie Libre) qui a été
reconnu coupable. A cette occasion, le
directeur du FBI déclarait que, « pour combattre
le terrorisme, la coopération internationale
était essentielle». L’OPM se retrouvera-
t-il bientôt – à la grande joie de
Jakarta – sur la liste américaine des organisations
terroristes?

En Aceh, Exxon Mobilcommença dès
1969 l’exploitation de la plus grande
réserve de gaz naturel du monde. Dès lors,
Exxon Mobil a versé chaque année 6 millions
de dollars à l’armée en échange de
«protection». TAPOL a documenté qu’à la
fin de l’année 2001 l’armée avait jusqu’à
10800 soldats postés dans la région du
Nord d’Aceh afin de «protéger» l’infrastructure
d’ Exxon Mobilet que ces soldats
se livraient à des actes systématiques d’intimidation
et d’extorsion. En 2002,
International Labour Rights Funda
déposé une plainte aux Etats-Unis au nom
de 11 villageois d’Aceh qui accusent Exxon
Mobil d’avoir autorisé l’usage de leurs
enceintes pour torturer, violer et exécuter
des civils, et de leur équipement pour
creuser des fosses communes.

Le Département d’Etat américain a
conseillé au juge saisi de l’affaire de ne
pas donner suite à cette plainte, car «le
gouvernement indonésien pourrait ne
plus octroyer de nouveaux contrats
aux compagnies américaines, et cela
aurait un effet désastreux sur nos
objectifs dans le domaine des droits
humains (…), comme la transparence
ou la lutte contre la corruption, valeurs
que les multinationales peuvent transmettre
aux compagnies
indonésiennes
».

Quel que soit le jugement prononcé –
l’affaire est encore en cours, il est certain
que les compagnies indonésiennes
auront appris d’ Exxon Mobil comment
opprimer une population, et que les gens
d’Aceh se souviendront des «valeurs»
transmises par les multinationales…

L’après-tsunami

Cinq millions de dollars: c’est la somme
offerte par Exxon Mobil pour la reconstruction
d’Aceh. 40 milliards de dollars: ce
sont les profits réalisés par Exxon Mobil
durant ces dix dernières années. L’armée
indonésienne a déclaré qu’elle ne pourrait
assurer la protection des membres des
organisations humanitaires en-dehors de
Banda Aceh et Meulaboh. Mais qu’en estil
du personnel international d’ Exxon Mobil
qui n’a pas quitté Lhoksemawe (dans le
Nord d’Aceh) et qui ne semble guère
menacé? L’armée serait-elle plus encline à
«protéger» le personnel d’une multinationale
que les membres des organisations
humanitaires? Ou la guerre sale que mène
l’armée indonésienne dans les villages
d’Aceh doit-elle rester cachée?

Depuis le tsunami, l’armée répète
qu’elle souhaite la paix pour faciliter la
reconstruction. Comment expliquer
alors l’arrivée massive à Banda Aceh de
volontaires de la milice Laskar Merah
Putih (Force Rouge et Blanche – les
couleurs du drapeau indonésien) pour
«défendre l’unité indonésienne»? Cette
milice, soutenue par l’armée, s’est
notamment illustrée en tuant un grand
nombre de civils lors du référendum
pour l’indépendance au Timor Est en
1999. Le sociologue d’Aceh, Otto
Syamsuddin, a déclaré au sujet de cette
milice: «Il s’agit d’un instrument politique
qui sera utilisé par les militaires
pour créer le chaos, et ce chaos justifiera
l’importante présence militaire en
Aceh
».

La paix est-elle possible en Aceh? Pas tant
que des multinationales, et l’armée indonésienne
continueront à s’enrichir, unis
par une complicité qui se moque des souffrances
de la population!

Sylvie GRAENICHER