«Non entrée en matière» et aide sociale genevoise

«Non entrée en matière» et aide sociale genevoise

L’Hospice général (HG) à Genève est chargé d’appliquer la politique fédérale d’asile dont celle qui relève de la prise en charge des «Non Entrée en Matière» (NEM). Afin d’assumer cette prise en charge à moindre coût, la direction de l’HG a décidé d’«héberger» ces êtres humains dans d’anciens baraquements de l’armée, à quelques mètres des pistes de décollage de l’aéroport international de Genève (la Voie-des-Traz). Avec le froid qui a sévi en janvier dernier, la température dans les baraquements ne dépassait pas 14°, les canalisations d’eau pour les cuisines, les toilettes et les salles de bain étaient gelées. Où sont les responsables?

Après avoir alerté le Conseiller d’Etat en charge du Département genevois de l’Action Sociale et de la Santé (DASS) de la situation, le député Alain Charbonnier s’interroge sur les méthodes choisies par ce même DASS et par la direction de l’HG pour prendre en charge cette population qui, si l’on devait établir un palmarès de la précarité serait certainement tout en bas de l’échelle. Pourtant, le mandat d’intervention sociale de l’HG est clair et extrêmement riche dans sa diversité d’intervention.

Si cette situation est effectivement inhumaine et inadmissible pour l’un des pays les plus riches de la planète, elle n’est en fait que l’aboutissement d’une politique mise en place par la direction de la fonction d’aide aux requérants d’asile de l’Hospice général (ARA/HG), qui a par la suite, eu l’opportunité d’appliquer «sa politique de gestion du personnel» à l’ensemble de l’institution en se retrouvant à la tête de la direction générale de la fonction action sociale (ASOC) et du service informatique.

La politique de la terre brûlée

J’ai pour ma part, travaillé dix ans pour cette institution, tout en ayant un mandat de représentation du personnel. Les syndicats et la commission du personnel n’ont eu de cesse de dénoncer auprès de la direction générale et auprès du Conseil d’administration – dans lequel les partis de gauche et les Verts sont représentés – une politique de direction inspirée principalement par l’idéologie et les méthodes de la nouvelle gestion publique, mais sans projet d’avenir pour l’aide sociale fédérale en faveur des requérant-e-s d’asile et des bénéficiaires de l’aide sociale cantonale.

Le projet déclaré était la mise en place d’outils de pilotage et d’un tableau de bord, appuyés sur la multiplication des postes de cadres intermédiaires, ainsi que d’un programme informatique qui a depuis longtemps démontré son peu de fiabilité1. La pratique en usage a consisté, d’une part, à diviser les tâches de prise en charge des bénéficiaires, et d’autre part, à diviser les salarié-e-s afin d’induire un climat de crainte et de suspicion. Par exemple, un pool de travailleurs sociaux tournants a été mis en place, chargé de dénoncer les «dossiers» qu’ils estimaient mal gérés à la hiérarchie intermédiaire, créant ainsi un climat délétère, sans considération pour le projet social et le cheminement entre le bénéficiaire et l’agent social.

L’arrivée de cette direction à la tête de l’institution a également été marquée par une volonté déclarée de «mettre au pas» les travailleurs sociaux, conduisant à des licenciements «sur-le-champ» et à des démissions en masse. Les événements évoqués en introduction et qui touchent les «NEM» ne sont donc que l’aboutissement d’une politique institutionnelle voulue, appliquée en totale opposition aux mandats de cette institution. Une telle autorité oppressive, exercée sur dix ans, a donc porté ses fruits.

Une nouvelle direction, un nouveau
projet… mais sur quelle base légale?

Gageons que la nouvelle direction et sa volonté de réorganiser ses activités saura prendre en compte les missions de l’Hospice général, qui devraient relever d’une restitution de la responsabilité aux travailleurs sociaux de terrain qui sont formés à évaluer et prendre des décisions d’intervention en fonction de chaque situation, et également donner les moyens de prendre part à des actions communautaires qui représentent souvent un ressourcement et un enrichissement. Cependant, une réorganisation ne pourra être efficiente que dans le cadre d’une loi d’application d’aide sociale qui tienne compte de la réalité vécue par les bénéficiaires. La dure réalité vécue à la Voie-des-Traz par les «NEM» doit conduire à une réflexion plus globale sur le projet de loi dont les député-e-s seront bientôt saisis en matière d’aide sociale individuelle (LASI), qui doit remplacer l’actuelle loi sur l’assistance publique (LAP). Ce projet met, entre autres, en avant la responsabilité individuelle du/de la demandeur-euse qui devra s’engager dans un contrat individuelle d’aide sociale, contrat qui aura également une incidence sur le montant mensuel d’aide sociale qui lui sera attribué puisque aligné sur les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale, signifiant une baisse de revenu de 28%2. Enfin, le projet stigmatise fortement les bénéficiaires comme de potentiels fraudeurs-euse. En résumé, ce projet contient en lui l’ensemble des ingrédients qui serviront à faire porter le fardeau de la preuve aux bénéficiaires en instaurant un contrat individuel d’insertion, dont le/la garant-e sera l’agent social, isolé dans son face à face avec l’usager-ère. L’agent social aura le pouvoir de sanction, alors que le projet de loi fait totalement abstraction des facteurs extérieurs tels les bas salaires, le manque de lieux d’accueil pour la petite enfance, le manque de places de travail salarié, le manque de perspectives d’apprentissage et de formation pour les jeunes adultes, le manque de logements, etc.

Nous sommes donc dans le cas de figure d’un contrat de dupes, puisque le projet de loi n’offrira aucun moyen financier à l’institution pour réellement réinsérer les bénéficiaires – le RMCAS a démontré les limites de l’exercice – tandis que ceux-ci devront se soumettre aux éventuelles injonctions de l’agent social. Nous sortons donc d’un processus d’insertion pour nous engager dans un processus de contrôle et de punition des pauvres. Le contrat social doit rester ce qu’il est: un outil parmi d’autres à disposition des assistant-e-s sociaux/ales.

Enfin, dans le contexte actuel, vouloir doter l’Hospice général d’un contrat de prestations, comme le prévoit le projet de loi, ne présente pas les garanties nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements qui ont fait régulièrement la une de la presse.

Jean-Daniel JIMENEZ

  1. solidaritéS N°40 du 10 février 2004 p. 19 / N°42 du 18 mars 2004 p.21 / N°45 du 10 mai 2004 p. 23
  2. solidaritéS N°49 du 25 août 2004 p.7