Élections du 10 avril: les enjeux...

Élections du 10 avril: les enjeux…

Dans le cadre de la campagne pour les élections neuchâteloises du 10 avril, nous nous sommes entretenus avec Marianne Ebel, députée de solidaritéS. (réd.)

Dans la campagne électorale une seule préoccupation semble traverser l’échiquier politique: comment réduire les dépenses publiques? En quoi solidaritéS se distingue-il dans ce débat?

Actuellement le débat public le porte en effet pratiquement que sur les déficits budgétaires et l’endettement du canton. On nous répète à l’envi que nous vivons au-dessus de nos moyens et qu’il faut voir ce qu’on peut couper. Pour solidarités, le véritable enjeu de ces élections est l’emploi des jeunes (filles et garçons), la formation et l’avenir du système de santé, mais pour cela il nous faut non seulement gagner une double majorité au Grand Conseil et au Conseil d’Etat, mais renforcer le groupe PopEcoSol (actuellement 16 député-es sur 115). Nous refusons de peindre le diable sur la muraille. De l’argent il y en a, mais la volonté politique pour le prendre là où il est, manque encore très largement. Les socialistes n’ont pas trouvé mieux que de s’allier à la droite radicale et libérale pour mettre en place un frein aux dépenses (et aux recettes!). C’est à une majorité simple que la droite a vidé vote après vote les caisses de l’Etat. C’est à une majorité de 3/5 qu’il nous faudra parvenir à l’avenir pour imposer un mouvement inverse…

Le canton de Neuchâtel compte plus de 3000 millionnaires et multi-millionnaires. Quatre fois plus qu’il y a 15 ans en arrière. A eux seuls, ils détiennent 42% de la fortune imposable. Pendant ce temps, le déficit du budget n’a cessé de se creuser et se chiffre à près de 100 millions de francs pour 2004, malgré des coupes brutales qui ont déjà frappé les personnes les plus pauvres (diminution des subsides pour la caisse maladie, diminution de 5% des normes pour l’aide sociale) et qui ont aussi touché à la qualité du service public (suppression des subsides cantonaux pour l’orthophonie, augmentation du nombre d’ élèves dans les classes, etc).

Comment sortir de cette spirale de l’endettement?

Les caisses de l’Etat se sont vidées à coups d’allègements fiscaux concédés aux plus riches. C’est par dizaines de millions de manque à gagner pour l’Etat que se chiffrent les décisions prises ces dernières années par la majorité bourgeoise du Grand Conseil, en général adoptées à quelques voix de majorité (droite contre gauche): suppression de l’impôt sur les successions et donations, mais aussi d’autres allègements fiscaux, notamment concédés aux entreprises dans le cadre de la «promotion économique». D’un côté, des cadeaux aux riches, de l’autre un nombre croissant de personnes dépendant de l’aide sociale.1

C’est dans ce contexte que le Syndicat des services(SSP) publics a déposé une «motion populaire» demandant une contribution de solidarité de 1% prise sur les fortunes de un million et plus, afin de permettre à l’Etat de mener sa politique sociale sans toucher à des services essentiels pour la population et lui permettant aussi d’honorer ses engagements – notamment la promesse faite et non tenue d’augmenter de 1% les salaires du personnel de la fonction publique.

Le Conseil d’Etat et la droite se sont levés comme un seul homme contre cette proposition (conçue comme temporaire), qui aurait permis de ramener plus de 70 millions par an dans les caisses de l’Etat: «c’est du racket organisé», «c’est contraire à la loi qui interdit la confiscation de la fortune», «c’est une motion suicidaire, dangereuse». Ils se sont défendus bec et ongle. Au vote, c’est par 57 voix contre 40 qu’ils ont refusé le principe d’un impôt de solidarité de 1%! Cette proposition était pourtant parfaitement réaliste, si le rapport de force le permet après les élections ,nous remettrons cette proposition sur le tapis.

Deux gros dossiers, l’EHM
(établissement hospitalier multisite) et l’Université ont été au centre des polémiques. Qu’en est-il ressorti?

Aussi bien pour l’Université que pour le domaine hospitalier, le Conseil d’Etat a avancé avec la même méthode:proposer une loi qui donne les pleins pouvoirs à un directeur (ou à un comité directeur), de manière à soustraire au contrôle du Parlement, et plus encore au contrôle de la population, les décisions importantes concernant l’avenir de ces institutions.

Dans le domaine de la santé, la loi proposée est allée jusqu’à la suppression du statut d’employé-e d’Etat du personnel hospitalier. Si un référendum n’avait pas été lancé, 2500 employé-e-s auraient, du jour au lendemain, passé d’un statut de droit public à un statut de droit privé. Un article de cette loi mettait par ailleurs en place un conseil d’administration indépendant de l’Etat, tout cela dans la pure logique de la préparation à la privatisation de la santé, comme le veut l’AGCS (Accord général sur le commerce des services). solidaritéS s’est opposé à cette loi et a soutenu (contre le Parti Socialiste Neuchâtelois) le référendum lancé par le syndicat SSP. Le peuple sera appelé à voter en juin. Il s’agira de mettre clairement en évidence que, dans le domaine de la santé, il est plus facile de promettre des économies que d’en réaliser, et que ce mode de gestion ouvre grand les portes à une privatisation dont l’exemple américain montre qu’il coûte très cher, notamment en frais administratifs.

Où en est la bataille pour le maintien des enseignements de grec et
d’italien à l’Université de Neuchâtel?

Pas de policiers
au Conseil d’Etat!

L’UDC neuchâteloise a un rapport très particulier à la population: c’est du 100% masculin avec une véritable obsession sécuritaire. Aucune femme n’est candidate sur sa liste, les policiers et les douaniers y sont légion …. à l’image de son chef de file, candidat au Conseil d’Etat qui est policier de la sûreté. Son programme? Prospérité, rigueur, sécurité (lisez: inégalités, restrictions, répression!).

Dans le district de Neuchâtel, sur 8 candidats de l’UDC, 5 viennent du Landeron, une petite commune à la frontière du canton de Berne. Renseignements pris sur la cause de la sous-représentation de candidats de Neuchâtel-Ville, il semblerait que la section UDC y est formée en grande partie de policiers et que la direction de la police verrait d’un très mauvais œil que ses employés s’affichent si ouvertement comme adeptes de la droite dure. (réd.)

Concernant l’Université, la bataille autour de la loi a fait rage. Le Conseil d’Etat a dû reculer quelque peu par rapport à son projet initial qui laissait au recteur les pleins pouvoirs; le projet initial confiait au seul recteur le soin d’engager ou de licencier, d’ouvrir ou de fermer des chaires d’enseignement, voire de créer ou de supprimer une Faculté tout entière. La loi a pu être en partie amendée, mais le principe d’un «rectorat fort» est resté: le premier plan du nouveau rectorat annonçait ainsi la fermeture des chaires d’italien et de grec. Ce fut le tollé, surtout que tout cela a été décidé contre l’avis des professeur-e-s et des étudiant-e-s. Malgré de très nombreuses manifestations et une mobilisation interne sans pareil, le Grand Conseil a entériné dans sa dernière séance le plan du rectorat de l’Université par 90 voix contre 13 (seul PopEcoSol s’y est opposé). Aujourd’hui, dans cette même logique, la Faculté des Lettres dans son entier est menacée.

Le 10 avril, la gauche peut devenir majoritaire au Parlement et au gouvernement cantonal. Cela annonce-t-il des changements politiques profonds?

D’abord, rien n’est gagné! Mais il est vrai qu’en 2001 il ne manquait que 200 voix pour faire basculer la majorité. Il n’est donc pas exclu qu’on y parvienne cette fois… Pourtant, si la gauche l’emporte, la mobilisation du monde du travail, des étudiant-e-s, des usagers des services publics restera un élément déterminant de ce que sera la politique de l’Etat cantonal. Il s’agira de savoir si la priorité ira à la réduction des dépenses ou à une politique de gauche favorable à la taxation de ceux qui en ont les moyens pour promouvoir l’emploi, l’éducation, la culture et la politique sociale.

Voter solidarités (liste compacte), c’est contribuer à élire des député-e-s qui utiliseront toutes leurs forces pour défendre des avancées dans tous ces domaines. Un renforcement de la gauche militante est nécessaire pour imposer un changement réel. Une chance s’ouvre pour des réformes sociales. J’espère que nous serons une majorité à vouloir la saisir; j’espère aussi que les nombreuses femmes qui se sont inscrites sur l’une des listes de gauche seront soutenues par les électeurs et les électrices!

Entretien réalisé par la rédaction

  1. La majorité des dossiers de l’aide sociale sont ouverts depuis plusieurs années déjà pour des jeunes entre 18 et 35 ans. Les personnes qui travaillent à plein temps et qui gagnent moins que le minimum vital ne sont pas rares.