Violence de genre en Espagne: une loi et des attentes...

Violence de genre en Espagne: une loi et des attentes…

Après l’article sur la loi espagnole contre la violence de genre, publié dans le numéro 62, nous revenons sur la question par un entretien avec Justa Montero, membre de l’Asamblea feminista de Madrid.

Quels sont les antécédents de la Loi contre
la violence de genre1?

Le mouvement féministe est parvenu à introduire le thème de la violence, et plus précisément celui des mauvais traitements, envers les femmes dans l’agenda politique. En 2003, plus de 76000 plaintes pour mauvais traitements ont été déposées. En 2004, le nombre de femmes tuées par leur mari, ex-mari ou compagnon s’est élevé à 72. Il faut savoir que la majorité des femmes qui meurent des suites de violences sont en instance de séparation. Cela a eu une énorme répercussion médiatique. De fait, la campagne a acquis une dimension publique sans précédent à partir de la déclaration d’une femme vivant à Granada, Ana Orantes, qui a rapporté lors d’un programme de télévision, les menaces proférées par son mari. Une semaine plus tard, elle mourait brûlée vive.

La loi a été adoptée en décembre 2004, les enfants et les personnes âgées demeurent-elles inclues dans la loi?

Cette loi, en dépit de son intitulé, est limitée à la violence à l’encontre des femmes dans la sphère privée. Dans l’article préliminaire, on explique qu’il s’agit «d’agir contre la violence qui s’exerce contre les femmes par ceux qui sont ou ont été leur conjoint, ou par ceux qui sont ou ont été liés à elles par des relations similaires d’affection sans obligation de cohabitation» (c’est-à-dire les compagnons). Cette loi traite ainsi de la violence qui survient dans le cadre des relations de couple. Ce n’est donc pas une législation sur la violence de genre, mais sur un aspect de la violence de genre. Ensuite, la partie pénale inclut d’autres sujets passifs («toute personne spécialement vulnérable qui vit avec l’auteur»), c’est-à-dire qu’elle s’applique également aux enfants, aux personnes âgées et aux employées par exemple. Il s’agit là d’une dénaturation de ce qui est défini dans l’article préliminaire.

Comment expliques-tu le fait que les revendications des groupes féministes n’aient pas été entendues par les autorités politiques?

Tout d’abord, il faut savior qu’un secteur du mouvement féministe – les organisations les plus proches du parti socialiste (PSOE), parmi lesquelles on trouve des associations d’aide aux femmes victimes de violence – a fait campagne pour une «loi contre la violence de genre». Mais cette proposition ne faisait pas l’objet d’un consensus, en particulier au sein du mouvement féministe. Lors sa campagne électorale, le PSOE a promis de faire approuver cette loi en cas de victoire aux urnes. Après sa victoire, c’est la première loi qui a été déposée au parlement. Etant donné la grande sensibilité sociale pour ce thème, c’était un atout important pour le PSOE; cela lui permettait d’apparaître comme le porte-drapeau d’une proposition issue de l’ensemble de la population.

Plusieurs organisations féministes, des juges et des avocat-e-s progressistes, des enseignant-e-s, des professionnel-le-s de la santé ont critiqué la rapidité avec laquelle cette loi a été présentée et aprouvée, ainsi que l’absence de débat approndi sur plusieurs aspects particulièrement compliqués. Il faut ensuite prendre en compte une autre donnée: la discussion sur le contenu de la loi a reçu une faible couverture médiatique, à l’exception de l’aggravation des peines et des nouveaux types de délits et du débat soulevé par l’Académie royale de la langue sur l’inconvenance de parler de violence de genre. C’est pourquoi, même si des secteurs du mouvement féministe ont célébré l’approbation de la loi comme un succès personnel, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une loi consensuelle et élaborée avec toutes les forces politiques et sociales.

Un des problèmes de cette loi réside dans le fait qu’on a présenté cette législation comme une avancée importante, comme la solution à un problème très grave et préoccupant et qu’on n’a pas pratiquement pas eu de débat sur son contenu, sur les implications des dispositions adoptées, sur les moyens économiques nécessaires pour l’appliquer. Or, il faut savoir que la majorité des mesures concrètes, à l’exception des dispositions pénales, sont du ressort du gouvernement des régions autonomes; ces dernières détiennent en effet la compétence en matière d’éducation, de santé et de services sociaux. Pour ces différentes raisons, il était très difficile d’entendre des positions critiques. La loi génère des attentes énormes, mais on ne dit rien des limites et des problèmes qu’elle comporte. C’est un problème important, parce qu’il sera difficile de modifier une loi d’une telle envergure à moyen terme.

Quelle a été la position des différents partis
politiques face à ce projet de loi?

Si le parti communiste (Izquierda Unida) a fait des critiques, ce n’est pas le cas du PSOE qui a défendu inconditionnellement cette loi. Et au bout du compte, elle a été approuvée au Congrès par tous les partis. Le PSOE est ainsi parvenu à faire adopter à l’unanimité la première loi de son programme politique. Ensuite, il faut savoir que l’affrontement entre parti socialiste et parti populaire est antérieur à l’adoption de cette loi. Le gouvernement d’Aznar avait en effet adopté une série de modifications légales et élaboré un plan contre la violence. Le PSOE s’y était opposé en soulignant l’insuffisance de ces moyens et posé l’alternative de la loi. De mon point de vue, il n’était pas nécessaire d’adopter une loi spécifique pour prendre des mesures dans tous les domaines, mais c’est là une discussion complexe.

Entretien réalisé par Magdalena ROSENDE

  1. Le titre exact de la loi est Ley orgánica de medidas de protección integral contra la violencia de género.