Europe / OMC: même stratégie?

Europe / OMC: même stratégie?

La stratégie et l’orientation de l’OMC et de l’Union Européenne sont vraiment similaires à bien des égards. Les citoyennes et les citoyens d’Europe qui ont manifesté le 19 mars à Bruxelles contre la directive Bolkestein, qui expriment leur profond désaccord avec le projet de Constitution européenne s’opposent dans le même temps et dans une même analyse aux négociations de l’OMC. Libéralisation de l’économie mondiale, institutions européennes libérales, ces deux dynamiques sont complémentaires. Contrairement à ce qu’affichent les dirigeants européens, l’Europe n’est guère un rempart contre la déferlante néolibérale.

La Commission européenne est surtout adepte du double langage: elle tente de faire croire qu’elle fait preuve de flexibilité dans les négociations à l’OMC, alors que son comportement est celui d’un négociateur intraitable qui ne concède rien sur le fond. A Doha, comme à Cancun, les pays du Sud ont pu en faire l’amère expérience.

L’UE contre le Sud

Que ce soit par exemple au travers de l’Accord de Cotonou, ou encore dans la création de zones de libre-échange, les pays de l’ACP se voient imposer par l’UE le strict respect des règles de l’OMC les plus préjudiciables. C’est aussi à la demande de l’Union européenne qu’on a inclus, dans le programme d’un nouveau cycle de négociations, «l’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires en matière de biens et de services dans le domaine de l’environnement.» La Commission européenne s’est une nouvelle fois distinguée comme l’instrument politique le plus puissant d’Europe pour soumettre l’intérêt général à la logique du profit.

Depuis quelques années, la libéralisation des services est à l’agenda des décideurs politiques internationaux, aussi bien dans le cadre de l’OMC que de l’Union européenne, avec l’AGCS (Accord général sur le commerce des services) et la directive sur la libéralisation des services dans le marché intérieur de l’UE (dite «Bolkestein») [elle a été mise en veilleuse, mais non retirée, pour favoriser la victoire du OUI en France, ndlr]. Ainsi, ce projet de directive apparaît clairement pour ce qu’il est en fait: une transposition d’un AGCS encore plus libéral dans le droit européen.

L’UE pour la privatisation
des services publics

Il y a d’ailleurs un lien direct et avoué entre ce projet de directive et les négociations de l’AGCS. Au nom de la cohérence avec les autres politiques de l’Union, le projet indique clairement que les négociations de l’AGCS «soulignent la nécessité pour l’UE d’établir rapidement un véritable marché intérieur des services pour assurer la compétitivité des entreprises européennes et pour renforcer sa position de négociation.» En clair, si l’Europe a totalement privatisé les services dans son espace intérieur, elle sera en position de force pour exiger, dans le cadre des négociations de la mise en oeuvre de l’AGCS, la privatisation des services chez les autres!

En matière de services, c’est l’Union européenne qui a largement influencé l’OMC (son fonctionnement et ses traités: principes fondateurs, les quatre modes, AGCS, propriété intellectuelle, marchés publics, barrières non tarifaires, clauses de sauvegarde, investissements, clauses sociales a minima, clauses environnementales a minima, clauses de sécurité et de moralité, etc.). On retrouve des phrases entières identiques – mot pour mot – dans les traités de l’OMC. Ces phrases viennent des traités de l’Union européenne, qui ont été signés pour l’essentiel avant ceux de l’OMC.

L’UE comme anticipation
de l’OMC

Toutes les fonctions de l’OMC était le «pain quotidien» de l’Union: administration des accords commerciaux, cadre institutionnel pour les négociations commerciales, règlement des différends commerciaux, suivi des politiques commerciales, coopération avec les autres organisations internationales. Prétendre que l’UE est un rempart au libéralisme relève de l’hypocrisie, du mensonge.

Quant au projet de Constitution européenne, on voit que la logique qui inspire ce Traité est bien proche de celle de l’OMC. Ainsi à 68 reprises dans le traité constitutionnel, le plein emploi, le progrès social, la justice et la protection sociales sont soumis au «respect d’une économie de marché ouverte ou la concurrence est libre et non faussée.» Autrement dit, une économie où la concurrence n’est plus limitée par des droits sociaux, par des obligations fiscales, par des contraintes environnementales, par des choix politiques légitimes. Une économie de marché sur le modèle des accords de l’OMC. La libéralisation des services publics, c’est-à-dire l’obligation de les soumettre aux lois de la concurrence, figure, sans contestation possible, au programme du traité constitutionnel, que la directive «Bolkestein» anticipe. Ce projet de directive qui est donc une mise en œuvre aggravée de l’AGCS est bien une anticipation de ce que va favoriser le traité constitutionnel européen.

Une autre Europe
est indispensable

Face à la mondialisation libérale, à l’OMC et aux firmes transnationales, nous avons besoin d’Europe. Mais celle qui se fait aujourd’hui n’est pas l’Europe dont les citoyens d’Europe et les citoyens du monde, femmes et hommes, ont besoin. Derrière le maquis inextricable des textes de l’OMC, des directives européennes, du TCE, il y a un fil directeur qui est de plus en plus clairement mis à jour. Ils sont le vecteur d’une formidable agression contre les biens communs de l’humanité: l’éducation, la santé, l’eau, l’environnement, les droits sociaux… qui dans une société de justice sociale devraient échapper à l’emprise de l’appropriation privée et constituer autant de droits garantis pour tous et toutes. Le commerce, la concurrence doivent céder le pas là où l’intérêt général commande de poser les problèmes en termes de droits.

Et s’opposer à cette marchandisation du monde, à cette Europe libérale, ce n’est ni être anti-européen, ni anti-mondialiste de principe. Au contraire, les mobilisations de ces dernières années: les forums sociaux, les contre-sommets, la manifestation du 19 mars dernier à Bruxelles prouvent aussi par leur existence même d’une volonté largement partagée de dépasser les frontières. Il s’y construit les prémices d’une alternative, d’une autre Europe dans un autre monde.

Sophie ZAFARI
FSU (Fédération Syndicale Unitaire) France