Nicaragua: le sandinisme à la croisée des chemins

Nicaragua: le sandinisme à la croisée des chemins

Agé de 46 ans, directeur de la radio «La Primerisima» (l’une des plus écoutées au Nicaragua), William Grigsby Vado a derrière lui une vie intense de militant sandiniste et mène une activité professionnelle débordante. Directeur administratif (1997-2003) de la Fondation pour le développement municipal POPOL NA, ce journaliste réputé est un interlocuteur reconnu en matière de coopération internationale. Il s’était déjà exprimé dans les colonnes de solidaritéS à l’occasion du 25e anniversaire de la révolution sandiniste1. Lors de sa tournée en Suisse, durant le mois d’avril 2005, le directeur de «La Primerisima» est revenu sur la situation nicaraguayenne et les perspectives d’une coopération solidaire (à Berne, Genève, Delémont et Neuchâtel). Notre ami, Sergio Ferrari, résume ci-dessous les divers thèmes abordés lors d’un entretien avec William Grigsby.

Battu aux élections de février 1990, et resté jusqu’ici dans l’opposition, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) envisage son retour au gouvernement en novembre 2006. Ses excellents résultats, lors des élections municipales d’octobre 2004, ainsi que les divisions au sein de la droite, semblent étayer cette vision optimiste.

Sandinisme divisé

William Grigsby rappelle la dynamique interne complexe du FSLN: « Le sandinisme est divisé depuis longtemps, peut-être même depuis la Révolution. Son idéologie, plus nationaliste et anti-impérialiste que socialiste, couvre un éventail qui va des chrétiens conservateurs aux communistes orthodoxes. Ses divisions se sont accentuées durant ces dernières années: il existe aujourd’hui des riches et des pauvres, des gens de droite et des gens de gauche parmi les sandinistes. Il en fut peut-être toujours ainsi, mais cette réalité est désormais plus visible. Les sandinistes enrichis, et c’est grave, se sont emparés du Front, lors du congrès de 1998. Depuis lors, ce parti, jadis à l’avant-garde en Amérique latine, s’est transformé en une triste caricature. La direction du FSLN, menée par Daniel Ortega, est un groupe idéologiquement castré, politiquement opportuniste et socialement corrompu.»

«Aujourd’hui le plus important n’est pas de savoir si nous pouvons ou non gagner les élections. Il faudrait d’abord vouloir réellement les gagner, et savoir pourquoi vouloir arriver au pouvoir. Ensuite, il faudrait s’appuyer sur un parti structuré, conscient, démocratique, prêt à se battre, avec une identité socialiste. Si on analyse l’attitude actuelle de la direction du FSLN, on comprend qu’elle ne veut même pas gagner les élections (car elle a un pouvoir de veto suffisant en tant que deuxième force politique du pays et premier parti d’opposition), qu’elle n’a aucune idée claire de ce qu’elle fera si elle arrive au pouvoir et qu’elle ne cherche pas à construire un parti démocratique, conscient, combatif, et encore moins socialiste. La première tâche, pour les sandinistes de gauche, est de faire avancer la conscience de tous les sandinistes, pour retrouver le FSLN historique tel que l’avait imaginé son fondateur, Carlos Fonseca2. Ensuite, nous pourrons chercher à obtenir le pouvoir grâce aux élections et former un gouvernement capable d’apporter des solutions aux problèmes de la population»

La dynamique sociale

Dans la vie quotidienne du Nicaragua, «deux mondes cohabitent». D’une part, le débat des directions (sandiniste ou libérale) qui pensent surtout aux élections, à leurs accords, pactes et règlements sectoriels. D’autre part, la base qui ne comprend souvent pas les thèmes négociés par ceux d’en haut. «Aujourd’hui, les gens sont angoissés par la crise du pétrole, l’augmentation constante des prix, le manque de travail, les bas salaires, la privatisation de l’eau». Mais «aucun parti ne tient sérieusement compte de leurs besoins les plus immédiats, ni ne leur offre de véritables solutions». Même si le mouvement social est aujourd’hui sur la défensive, «les tensions sociales subsistent», comme le montrent de nombreux exemples:

  • Les mobilisations des producteurs de café – secteur qui vit une crise aiguë.
  • Les protestations, à Managua, des ouvriers agricoles empoisonnés par les pesticides utilisés par les transnationales bananières, et qui exigent un appui juridique et médical.
  • Les rébellions populaires à Jalapa et Wiwili, dirigées par des sandinistes hors des structures du FSLN.
  • La mobilisation des syndicats des enseignant-e-s et de la santé (les plus combatifs du pays), dont les dirigeants sont aussi députés sandinistes à l’Assemblée nationale.
  • Les dernières protestations étudiantes, fin avril, contre l’augmentation du prix des billets de bus3.

«Historiquement, le mouvement populaire nicaraguayen a été enfanté par le FSLN». D’où l’effet néfaste du pacte de 1997 entre le libéral pro-somoziste (partisan de l’oligarchie) Arnoldo Aleman et Daniel Ortega. «En contrepartie de son institutionnalisation dans la vie politique, la direction du FSLN s’est engagée à arrêter les mobilisation sociales».

Sergio FERRARI

  1. William Grigsby Vado, «Le Nicaragua, vingt-cinq ans après la victoire sandiniste», solidaritéS, no 49, 25 août 2004.
  2. Fondateur du FSLN en 1961, Carlos Fonseca est tombé au combat, le 8 novembre 1976, dans la région de Zinica. Déclaré héros national lors de la victoire sandiniste, la place de Managua qui portait son nom a été rebaptisée «place Jean-Paul II» par la présidente Violeta Chamorro, lors de la seconde visite du défunt pontife romano-polonais au Nicaragua (1996).
  3. Sur ces mobilisations, voir le site Internet (en français): www.risal.collectifs.net