Genève: la justice ne doit pas être mise au pas
Genève: la justice ne doit pas être mise au pas
A Genève, le Procureur général est nommé par élection populaire. La dernière remonte à douze ans et fut celle de Bernard Bertossa. Il a été depuis une épine dans le pied pour certains milieux de la finance. La campagne pour sa succession a été ouverte en septembre par la révélation dans Le Temps dun document confidentiel du parti libéral genevois auquel a «uvré» Michel Halpérin, avocat daffaires et chef du groupe libéral au parlement genevois. Laxe tracé est naturellement une plus grande «retenue» en matière de poursuite du blanchiment dargent et de criminalité économique.
Le texte de ce manifeste mérite dêtre cité: «Ce qui apparaît essentiel, cest (
) deffectuer un tri, aussi bien en début de procédure quune fois celle-ci à linstruction afin déviter des dépenses dénergie inutiles. Les procédures financières complexes offrent une bonne illustration du problème. Elles impliquent en effet un important investissement personnel et matériel en raison de la recherche dinformations et de preuves quil y a lieu deffectuer à létranger.»1
Juger la place financière?
Les hérauts de la mondialisation néolibérale ne sont pas en faveur dune justice dépassant le bout du lac et ne sachant pas assez fermer les yeux sur les trafics financiers, spécialité du cru. Ils sinsurgent, affirmant qu«il est choquant de lire et dentendre les propos de certains magistrats genevois qui sexpriment sans retenue dans les médias étrangers et prennent position sur la législation suisse, voire sur la manière dont elle est appliquée .» Sacrilège: «Certains vont même jusquà émettre des jugements de valeur sur la place financière genevoise, comportement qui est susceptible de porter un tort considérable à un secteur de léconomie qui est vital pour le canton de Genève.»
Les deux autres points forts du document sont la fin de la «tolérance» face aux squatters et le projet de caresser les automobilistes avinés dans le sens du poil. Citation: «La tolérance dont bénéficient les squatters pour laménagement de leur environnement, alors que les locataires ordinaires respectent les contraintes de la réglementation en vigueur (
) nest pas acceptable.» et «Larrestation des conducteurs interpellés en flagrant délit débriété au volant ne devrait pas être immédiate et systématique…»
Suite aux intrigues
de palais, au sein de lEntente bourgeoise, cest le juge radical Zappelli qui porte le flambeau de la droite qui veut liquider lhéritage de Bertossa. Un échantillon de ses prises de position? La Tribune lui a posé la question: «Lévasion fiscale nest pas un délit en droit suisse. Cela doit-il changer?»
Réponse du candidat: «Il est manifeste que la place financière suisse est lobjet de jalousies, méritées puisquelle est efficace. Ce mérite nest pas simplement dû au fait que de largent qui est déposé en Suisse provient de lévasion fiscale, mais parce que les banquiers connaissent et font bien leur métier. Si les autres pays allégeaient leur fiscalité, il y aurait probablement moins dévasion fiscale vers la Suisse. Je reste fondamentalement favorable au secret bancaire. Dire quil ne sert quà dissimuler largent des tricheurs est faux.»2
Bats ta femme… mais pas éternellement
Sur la question des chauffards Zappelli pense lui aussi quil faut leur «éviter lhumiliation de la prison»3 et se montre créatif en étendant cette tolérance à la violence conjugale: Par rapport à larrestation de maris violents, il se dit «nuancé», affirmant que «celui qui maltraite son épouse depuis une éternité peut être conduit à Champ-Dollon si de nombreux certificats médicaux lattestent»! Pour le surplus, il mène une campagne axée sur l«insécurité» et une politique répressive dans la ligne de la «tolérance-zéro»…
Pour lui barrer la route il y a un seul candidat, ancien avocat de lASLOCA, reconnu comme intègre et compétent. Cest Jean-Bernard SCHMID, membre des Indépendants de lAlliance de Gauche et candidat de lAlternative (ADG, PSG, Verts). Au rebours du discours populiste de Zappelli, ses déclarations et intentions sont infiniment plus respectables.
Pour des espaces de transgression
Un exemple. Dans une interview récente de Jean-Bernard SCHMID, il note: «Jen reviens au rôle de procureur général; la dimension, non pas politicienne mais politique, de la fonction, cest larbitrage des moyens. La justice na pas les moyens de poursuivre toutes les infractions qui sont commises. On peut même faire le constat, ou souhaiter que dans une démocratie il serait illusoire, et faux, de vouloir poursuivre toutes les infractions. La conséquence serait un Etat policier. Une démocratie doit tolérer et gérer les espaces de transgression. Ce nest peut-être pas très porteur électoralement de dire cela, mais cest une réalité. Lorsque lon doit arbitrer les moyens, cest-à-dire quel type dinfraction poursuivre, quand et comment, on définit le rôle de la politique judiciaire du procureur général. Ce que je retiens du programme politique de mon adversaire et de ceux qui le soutiennent cest surtout: «On en a marre de Bertossa; on nen veut pas un deuxième.» ( ) Ce quil a montré, cest quen poursuivant les cols blancs, les gens qui ont du pouvoir, de largent, on ne sen prend pas seulement aux petits. Eux, ils ont toujours été poursuivis, tout le monde le sait et eux en premier. Sattaquer aux puissants, cest plus complexe, ça coûte plus dargent, et vous vous faites détester. Mais pour la légitimité de la justice, le citoyen doit savoir quelle nhésite pas à les poursuivre aussi.»4
Un appel ferme mais lucide
solidaritéS a décidé dappeler à voter Jean-Bernard SCHMID, pour barrer la route au programme libéral. Cela a été lobjet dun réel débat, qui doit se poursuivre Cet appel est lucide, sachant que, quelles que soient les bonnes intentions dun Procureur général, sa tâche est prisonnière du carcan dun droit bourgeois dont la vocation centrale est dêtre un rempart au service dun ordre social injuste que nous récusons.
Nous savons que lessentiel est ailleurs, quune justice véritable, se conquiert par en bas et ne sortira – évidemment – pas des urnes le 21 avril. Nous savons que nous aurons sans aucun doute à remettre en cause des décisions du candidat que nous soutenons aujourdhui, comme ça a été le cas pour Bertossa. Mais nous avons refusé pour autant daccepter passivement
le vrai changement de cap en matière judiciaire, au service des nantis, que la droite néolibérale se fait fort dimposer à Genève.
Votez donc Jean-Bernard SCHMID !
Pierre VANEK
- Réflexion dans la perspective des prochaines élections judiciaires 2002, Le Temps, 3.9.01
- Tribune de Genève, 8.4.02
- Le Temps 3.4.02
- Tribune 8.4.02