Génocide arménien: la Suisse fait des progrès
Génocide arménien: la Suisse fait des progrès
La question de la reconnaissance du génocide arménien est, une nouvelle fois, posée au parlement, avec cette fois-ci, semble-t-il, de bonne chance daboutir. Interview de Stefan Kristensen*.
Après plusieurs tentatives, une nouvelle démarche visant la reconnaissance par les autorités suisses du génocide arménien a été initiée au parlement. Il semble que cette fois-ci on soit plus proche du but, quen est-il?
Effectivement, il y a eu, en 1995, linterpellation dAngeline Fankhauser, en 1998, la motion de Jean Ziegler et en 2001, le vote sur le postulat Zisyadis1 sans jamais aboutir. Aujourdhui, on assiste incontestablement à un tournant. Si jusquà maintenant, la question arménienne a été le fait dinitiatives relativement isolées provenant de la gauche, le postulat Vaudroz qui vient dêtre déposé a été signé par 115 parlementaires toutes tendances confondues. Deux facteurs expliquent cela. Tout dabord, la persistance de cette question depuis bientôt dix ans et ensuite, le fait que les milieux arméniens, coordonnés par lAssociation Suisse-Arménie (ASA) et la Société pour les peuples menacés, ont entamé depuis une année un lobbying efficace auprès des parlementaires. Ces deux facteurs combinés nous amènent aujourdhui à pouvoir compter sur lengagement dune partie importante de la droite, qui devrait nous permettre de lemporter. Ainsi, après la France, lItalie, la Grèce, la Russie et la Suède, comme la sous-commission des droits de lhomme des Nations Unies et le Parlement Européen, la Suisse pourrait faire avancer lexigence de mémoire et de reconnaissance.
Ce postulat est, dans sa formulation même, une avancée pour la reconnaissance du génocide.
En effet, ne possédant pas la procédure de la résolution, le parlement ne peut pas adopter de son propre chef un texte qui exprime simplement sa volonté, il ne peut quinterpeller le gouvernement ou proposer des lois. Dès lors, jusquà maintenant, toutes les interventions parlementaires invitaient le Conseil fédéral à reconnaître le génocide, ce dont il na jamais eu le courage. Lastuce du présent postulat consiste à inviter le gouvernement à prendre acte de la reconnaissance du génocide faite par le parlement et de la transmettre par voie diplomatique.
Bien que consensuel et nengageant pas le Conseil fédéral, le postulat Vaudroz a suscité des réactions officielles de la Turquie, qui une nouvelle fois menace de rompre ses relations politiques et économiques avec la Suisse. Ces pressions sont-elles de nature à faire échouer la procédure en cours?
La Suisse a pour près de deux milliards de francs dinvestissements en Turquie, dont une grande partie sous forme de garanties à lexportation. Or, une semaine après le dépôt du postulat, Pascal Couchepin se trouvait en visite officielle à Ankara. Le gouvernement turc en a profité pour exprimer son courroux et tout ce que notre ministre de léconomie a trouvé à répondre, cest de minimiser la portée de linitiative du parlement, en disant quau fond, les parlementaires signent différentes propositions sans savoir vraiment ce quelles contiennent! De plus, ce qui est plus grave, il a assuré comprendre la sensibilité des Turcs sur cette question. Si on flatte à ce point les héritiers des bourreaux sans dire un mot sur la mémoire des victimes et de leurs descendants, on se fait complice du négationnisme. Cela dit, dans la situation actuelle de son économie, cest plutôt la Turquie qui a besoin de la Suisse que le contraire. Les investisseurs peuvent être tranquilles.
Quelle a été lattitude de la Suisse pendant et après le génocide?
Il y a toujours eu deux tendances. Au niveau de la population et de certains responsables politiques, il y a eu, à plusieurs reprises, des mouvements de solidarité de grande ampleur. Il faut entre autre rappeler la fameuse pétition de 1897, qui demandait au Conseil fédéral dintervenir pour faire cesser les massacres en cours. Cette pétition a recueilli plus de 400000 signatures, ce qui est un record encore inégalé dans lhistoire suisse. Pourtant, les différentes campagnes populaires de solidarité avec la cause arménienne nont pas empêché la Suisse officielle de développer des bons rapports avec les autorités turques.
Aujourdhui on constate toujours ces deux tendances contradictoires, entre un soutien massif dans lopinion publique et une frilosité terrible des autorités fédérales, tant politiques quadministratives. Les exigences de la realpolitik sont souvent plus fortes que celles de la mémoire historique
Mais ce nest pas nouveau et le cas arménien nest de loin pas isolé.
Une autre démarche, initiée par lAssociation Suisse Arménie (ASA), a fait parler delle en septembre dernier. Il sagit du procès pour négationnisme qui sest tenu à Berne et qui a vu comparaî-tre 17 responsables dassociations turques. Où en est-on aujourdhui?
En 1995, la communauté arménienne a mené une campagne pour soutenir linterpellation Fankhauser, contre laquelle les milieux turcs avaient lancé une pétition niant le caractère génocidaire des événements de 1915-1917. Nous avons donc, conjointement à un certain nombre dONG suisses, déposé une plainte le 24 avril 1997. Lors du procès, qui sest déroulé en septembre 2001, le juge, estimant, dune part, que la nature génocidaire des massacres de 1915-1917 nétait pas établie officiellement en Suisse et, dautre part, que les accusés avaient agi plus par «nationalisme borné» que par racisme, les a acquittés. Doù limportance, même si nous avons bon espoir que le Tribunal fédéral montrera plus de courage, de la démarche lancée actuellement au parlement.
Au-delà des démarches visant à la reconnaissance du génocide, quelles sont les activités de lASA?
Nous attachons beaucoup dimportance au soutien aux intellectuels dissidents et militants de droits de lhomme en Turquie. Nous entretenons avec ces personnes des contacts étroits depuis plusieurs années notamment en les invitant en Suisse pour des rencontres et des conférences. Par ailleurs, nous travaillons également au développement des rapports entre la Suisse et lArménie, que ce soit au niveau économique ou de la coopération. La reconnaissance du génocide constitue la première étape, incontournable, vers le développement de relations bilatérales plus intenses entre la Suisse et lArménie. Il faut savoir que dans la région, la Suisse a privilégié, de manière évidente, ses relations avec les pays turcophones, quelle représente au sein des institutions du FMI. Ces pays, que lon appelle le groupe de l«Helvetistan», reçoivent une aide bien plus importante que celle dont bénéficie lArménie.
Si on compare les chiffres de la DDC, il y a environ 2,5 millions de francs de coopération suisse en Arménie, contre 18 millions en Azerbaïdjan, dont 5 millions correspondant à la cotisation de ce pays au FMI et à la Banque mondiale
Il sagit donc pour nous de rétablir un équilibre au sein de la coopération suisse dans la région. Les dossiers prioritaires sont, entre autres, la défense des droits humains, le développement dénergies renouvelables (le solaire), la prévention du sida et la coopération culturelle.La nomination cette année dun ambassadeur dArménie en Suisse contribuera certainement à cela.
Propos recueillis par Erik GROBET
- Refusé par 73 voix contre 70 le 13 mars 2001 au Conseil national.
* Coprésident de lAssociation Suisse-Arménie (ASA) et petit-fils dAram et Archa Djambazian, orphelins du génocide réfugiés en Suisse en 1926.
Rappel sur le génocide arménien
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Pour aller plus loin
- Vahakn N. Dadrian: Histoire du génocide arménien. Editions Stock, Paris 1996.
- Hans-Lukas Kieser: La question arménienne et la Suisse. Editions Chronos, Zurich 1999.
- Yves Ternon: Les Arméniens, histoire dun génocide. Editions du Seuil 1977. Réédition Points-Histoire 1996.
- Le site de lASA http://www.armenian.ch/gsa/
- Le site de lArmenian national institute http://www.armenian-genocide.org/
- Le site des organisations arméniennes de France http://com24.armenweb.org/