11ème révision de l'AVS: la régression continue

11ème révision de l’AVS: la régression continue

Après les baisses de prestations en matière d’assurance chômage, les baisses constantes dans les prestations du 2ème pilier, la restriction des droits dans le cadre de la 5ème révision de l’assurance invalidité, nous ne pouvons que constater que la 11ème révision de l’AVS constitue une nouvelle attaque aux principes même de la redistribution, de l’universalité et de la solidarité, bases fondamentales de tout système de sécurité sociale. Le texte soumis à consultation annonce clairement la couleur. L’allongement de la durée de vie est invoquée pour justifier la réduction des prestations. Mais en réalité, il s’agit d’un choix politique: réduire la part des richesses produites consacrée au financement de la prévoyance vieillesse. Ainsi, le mandat constitutionnel – garantir des rentes couvrant les besoins vitaux – est négligé pour ne répondre qu’à des exigences comptables: c’est la négation du pricipe même de la sécurité sociale.

Synthétiquement, nous assistons à un désengagement de l’Etat comme le préconisent les «milieux économiques» attachés au néolibéralisme. On connaît la musique: réduction des impôts pour les banques, les grandes entreprises et les gros revenus; frein aux dépenses; «responsabilisation» individuelle… Pour preuve, la 11ème révision prévoit une économie d’un demi-milliard, l’équivalent de 1% du budget 2005 de la Confédération, tandis que les besoins augmentent. Nous ne connaissons pas d’ailleurs les économies indirectes réalisées sur les autres assurances sociales, également touchées par l’éventuelle modification du système d’adaptation des rentes. Ce sont donc bien les retraité-e-s et les futur-e-s retraité-e-s qui financeront les cadeaux fiscaux aux privilégié-e-s de ce pays. Dans le même temps, la 11ème révision de l’AVS prévoit de toucher aux droits acquis en supprimant certaines prestations et en en transférant d’autres vers des systèmes d’aide sociale ciblée.

Attaque contre les femmes

Le message prévoit une augmentation de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, qui ferait «gagner» 565 millions aux caisses de l’AVS. Pour faire passer la pilule, on invoque l’harmonisation de l’âge de la retraite entre femmes et hommes… une harmonisation qui va toujours dans le sens d’une suppression des acquis.

Par ailleurs, il est prévu de supprimer les rentes des veuves sans enfant. Cette mesure représente une attaque frontale contre les droits acquis et s’inscrit dans une logique de ciblage des prestations, puisque les veuves d’une même classe d’âge ne seront plus traitées sur un pied d’égalité: celles qui assument d’autres tâches d’assistance au sens de l’Art. 29septies de la LAVS pourront prétendre à une rente de veuve; par contre, les veuves sans enfant qui vivent dans des conditions économiques modestes pourront prétendre à l’octroi de prestations complémentaires sous condition de ressource.

Dans le même temps, le projet de «rente pont» devrait être financé par un crédit d’engagement de la Confédération en faveur du système de prestations complémentaires (PC), système qui relève de l’aide sociale soumise à condition de revenu, donc ciblée et non d’un véritable principe assurantiel.

Nous ne pouvons adhérer à ce principe et ceci pour trois motifs:

  1. Les milieux économiques utilisent depuis plusieurs années l’assurance invalidité (AI) comme «retraite anticipée» pour les travailleuses et travailleurs de plus de 55 ans, expulsés du monde du travail, qui débouche sur une rente vieillesse anticipée réduite dès 60 ans.
  2. Octroyer une «rente pont» relevant des PC dès 62 ans pour les plus précaires ne donnera accès qu’à une sous-retraite relevant des conditions de ressources. Nous touchons ici à une rupture de la solidarité.
  3. L’augmentation de l’âge de la retraite des femmes financerait le principe de «rente pont», ce qui revient à dire que les femmes vont financer leur propre système de préretraite, puisque ce dernier est destiné à des personnes qui, en raison de leur situation économique difficile, ne pourraient se permettre d’anticiper leur rente vieillesse (AVS et LPP) avec une réduction actuarielle à vie à la clé. Or, les catégories de la population les plus concernées par des difficultés économiques sont souvent soit des femmes, mères célibataire ou divorcées, élevant seules leurs enfants, soit des femmes ayant renoncé à une activité rémunérée suite à la naissance d’un ou de plusieurs enfants (LAVS, Art. 29 sexies: Bonifications pour tâches éducatives) ou prenant en charge une personne (LAVS, Art. 29 septies).

Baisse du pouvoir d’achat
des retraités

L’Art. 33ter, al. 1 à 4 révisé ne propose plus qu’une indexation basée sur l’indice suisse des prix à la consommation, uniquement lorsque ce taux aura augmenté de 4%, rendant l’adaptation des rentes très aléatoire. Une telle modification aura des incidences directes sur d’autres assurances de notre système de sécurité sociale comme l’assurance invalidité et les prestations complémentaires, qui s’alignent sur la LAVS en matière d’indexation.

Enfin, nous tenons à relever ici que cette modification s’inscrit dans une logique de baisse des prestations et du pouvoir d’achat. Pour mémoire:

Le taux d’intérêt en matière de prévoyance professionnelle a été abaissé de 4% l’an au 31 décembre 2002, à 2,25% l’an au 1er janvier 2004, marquant une première baisse de l’avoir vieillesse, alors que le rendement moyen des caisses de prévoyance suisse a été de 4,3% en 2004. C’est une manière de faire payer aux seuls futurs retraité-e-s le renflouement des caisses en difficulté.

La première révision partielle de la LPP a inscrit une baisse du taux de conversion des rentes de la prévoyance professionnelle. Cette mesure est entrée en vigueur le 1er janvier 2005 et elle prévoit de ramener le taux de 7,2% au 31 décembre 2004 à 6,8% au 1er janvier 2014, mesure qui représente également une diminution des rentes mensuelles dès l’âge de la retraite survenue. Au 1er janvier 2005, le taux a déjà été ramené à 7,15%.

Mais il y a plus scandaleux encore: sur la base d’un rapport de travail mis en place par la commission fédérale de la prévoyance professionnelle, cette dernière a proposé une baisse plus rapide du taux de conversion afin de le ramener à 6%, et que le taux de 6,8% soit atteint en 2010 et non en 2015. Cette accélération est justifiée par la baisse supposée du taux de rendement des avoirs financiers, qui devrait être compris entre 3,25 et 4%1.

Quand les pauvres aident
les riches

Le lobby des assureurs privés revendique un taux de rendement de 2%. Pourtant, les milieux financiers visent des rendements dépassant les 10%. Il y a donc des rendements très différents en fonction des bénéficiaires.

  1. Afin de compenser la baisse des prestations de prévoyance vieillesse entraînée par ces deux mesures, les montants du salaire coordonné ont été élargis. Jusqu’au 31 décembre 2003, le salaire soumis à cotisation était de 50’640.- maximum par an. Depuis le 1er janvier 2004, il a été relevé à 53’805.-. Les baisses du taux d’intérêt et du taux de conversion sont ainsi compensées par une augmentation des cotisations.
  2. Par ailleurs, comme les rentier-ère-s les plus aisés (le quart supérieur) vivent en moyenne 3,5 années de plus que les rentier-ère-s les plus pauvres (le quart inférieur), ils bénéficient de prestations qui excédent d’environ 2 à 3% le capital qu’ils ont eux-mêmes accumulé. Inversement, parce qu’ils vivent moins longtemps que la moyenne, les rentier-ère-s les plus pauvres touchent des prestations qui sont de 5 à 7% inférieures à leur propre capital. Cerise sur le gâteau, le Conseil fédéral vient de décider d’augmenter à 58 ans, dès le 1er janvier 2006, la possibilité de prendre une retraite anticipée.

Ainsi, la 11ème révision de l’AVS et les réformes de la prévoyance professionnelle débouchent sur des baisses de prestations uniquement aux dépens des assuré-e-s, et donc en totale rupture avec le principe de solidarité. Par contre, aucune mesure à l’encontre de la prévoyance individuelle et des allègements fiscaux qui y sont liés n’est proposée ou même envisagée, ce qui est bien conforme au désengagement de l’Etat du champ de la prévoyance vieillesse. En effet, ce ne sont pas les bénéficiaires de l’aide sociale, les chômeurs-euses en fin de droit, les travailleuses et les travailleurs pauvres qui pourront se constituer un 3ème pilier. En conclusion, les classes sociales les plus défavorisées durant la «vie active» le seront aussi au moment de l’âge de la retraite.

Des justifications
inacceptables

L’ensemble de la réforme proposée va à l’encontre du bien commun et, dans certaines situations, elle ne contribuera qu’à conforter un état d’indigence après l’âge de la retraite. Le Conseil fédéral continue ainsi à bricoler des projets de démantèlement de la prévoyance vieillesse, comme si le corps électoral ne lui avait pas adressé un sérieux avertissement en refusant, à plus de 70%, la première mouture de cette 11ème révision.

Nous ne pouvons concevoir d’entrer en matière sur une réforme fondée uniquement sur des justifications démographiques: c’est regarder la réalité par le petit bout de la lorgnette. Nous estimons que nous devons avoir un regard d’ensemble sur la sécurité sociale et ne pas en isoler tel ou tel aspect. Aujourd’hui, tant l’AVS que le 2ème pilier sont «excédentaires». Les secteurs «déficitaires» sont principalement l’assurance invalidité et chômage, qui ne sont que les emplâtres d’un système économique qui expulse de plus en plus de salarié-e-s.

Nos propositions

Dans le cadre du travail salarié, soumis à l’exploitation capitaliste, non seulement nous nous opposons à toute élévation de l’âge de la retraite, ainsi qu’à toute autre restriction des droits acquis, mais nous continuons à militer pour la retraite à 60 ans pour toutes et tous. Quant à l’âge de la retraite flexible, déjà annoncé pour la future 12ème révision de l’AVS, à l’horizon 2008–2009, il ne sera défendable que si il permet un véritable choix, c’est-à-dire que les revenus garantis à l’âge légal de la retraite sont suffisants. En d’autres termes, la flexibilisation ne doit pas être une façon cachée d’élever l’âge de la retraite, les salarié-e-s se voyant contraints à travailler plus longtemps pour des raisons économiques uniquement.

Dans ce sens, nous remettons en cause le système des trois piliers. Comme déjà évoqué plus haut, le troisième pilier n’est rien d’autre qu’un ensemble de cadeaux fiscaux octroyés à celles et ceux qui peuvent se permettre une épargne privée supplémentaire, à l’exception des indépendant-e-s qui compensent ainsi leur absence de deuxième pilier. Dans le principe, on ne peut considérer des cadeaux fiscaux à une minorité comme partie intégrante de la sécurité sociale.

Notre système de prévoyance vieillesse repose sur l’hybridation de deux systèmes distincts: 1. L’AVS, qui repose sur un financement par répartition: ce sont les cotisations des actifs qui servent directement à payer les prestations des retraité-e-s (pour ne pas avoir un taux de cotisation qui varie constamment, un fonds de compensation a été instauré). 2. Le deuxième pilier, qui est financé par la capitalisation: les cotisations servent à accumuler un capital pour chaque salarié-e, qui servira à payer ses rentes.

Nous avons différentes raisons de prioriser la répartition (voir la prise de position complète sur notre site). Mais au centre de notre argumentation, il y a la solidarité. Le principe du deuxième pilier, c’est celui d’une assurance individuelle: on reçoit en fonction de ce que l’on a payé. L’AVS au contraire est basée sur la solidarité: les gros revenus payent plus qu’ils ne reçoivent, au profit des bas salaires. Cette solidarité est indispensable pour garantir à chacun-e une vieillesse décente: avec le chacun pour soi, les petits revenus sont dans l’incapacité de se payer une retraite digne de ce nom. C’est pourquoi nous soutenons l’initiative constitutionnelle de l’USS, qui propose une rente AVS de 3000 Frs. C’est pourquoi aussi, nous défendons une extension de l’AVS, aux dépens du 2ème et du 3ème pilier.

Jean-Daniel JIMENEZ2

  1. Communiqué de presse du 10 février de l’OFAS – Prévoyance professionnelle: La Commission LPP estime nécessaire d’agir pour une ultérieure diminution du taux de conversion
  2. Cet article résume la prise de position de notre mouvement, consultable dans son intégralité sur notre site: www.solidarites.ch