Pourquoi un «non de gauche» est illusoire

Pourquoi un «non de gauche» est illusoire

Le comité «pour un NON de gauche» à l’extension de la libre circulation des personnes aux 10 nouveaux pays de l’UE se dit favorable au principe de la libre circulation, mais juge insuffisantes les mesures d’accompagnement.

A mon sens, la libre circulation des personnes est un droit humain fondamental que l’on ne saurait conditionner à l’obtention préalable de droits sociaux pour les travailleurs-euses en Suisse. Car sinon, où mettra-t-on la limite en-deçà de laquelle on continuera de refuser la libre circulation des personnes et au-delà de laquelle on l’acceptera?

L’affirmation des référendaires «de gauche» selon laquelle ils seraient favorable au principe de la libre circulation est sujette à caution. Dans les faits, ils prônent son refus au moment où la question se pose très concrètement. Ils considèrent d’ailleurs ce refus comme «une occasion historique d’obliger le patronat à lâcher du lest». Ils appellent ainsi à refuser la libre circulation pour atteindre un objectif indirect, non seulement parfaitement hypothétique, mais aussi totalement irréaliste dans le rapport des forces en présence.

Les référendaires «de gauche» se trompent lourdement lorsqu’ils croient qu’un NON le 25 septembre déboucherait sur un renforcement des droits sociaux des salarié-e-s en Suisse. Dans un contexte marqué par le durcissement des politiques envers les migrant-e-s et compte tenu du rapport de forces entre les tenants du referendum, c’est de toute évidence l’extrême-droite nationaliste qui sortirait gagnante dans ce cas. Elle a fait aboutir le referendum (80000 signatures déposées, contre 8000 pour le «comité de gauche») et marquera de son empreinte une campagne qui se déroulera sous le signe de l’hostilité envers les étrangers et de la peur des travailleurs-euses polonais, tchèques, slovaques, etc. présenté-e-s comme une menace pour «nos» emplois et «nos» salaires. Le référendum «de gauche» sera «plombé» par ces contenus xénophobes.

De plus, l’extrême droite refuse catégoriquement, quant à elle, toute mesure d’accompagnement au nom de la «liberté de l’économie». Dans de telles conditions, croit-on sérieusement que la majorité du parlement pourrait décider, en cas de vote négatif, de rouvrir les négociations pour renforcer les droits sociaux des salariés?

A mon sens, un rejet de la libre circulation se traduirait au contraire par un nouveau tour de vis répressif à l’égard de toutes les catégories d’immigré-e-s, en particulier les «sans papiers», et par une accentuation des attaques aux droits sociaux de tous les travailleurs/euses, suisses ou immigré-e-s. Les milieux dominants ne manqueraient pas d’exploiter la division accrue entre travailleurs-euses qui résulterait d’un tel vote.

Le comité référendaire «de gauche» croit qu’en cas de refus de la libre circulation, les travailleurs-euses de ce pays seraient préservé-e-s de la concurrence sur le marché du travail. C’est une illusion! En réalité, nous sommes nous aussi soumis, en Suisse, à la globalisation néo-libérale et à la concurrence capitaliste. En cas de referendum victorieux, le capital réagira à coup sûr par des délocalisations et des attaques aux intérêts sociaux des salarié-e-s pour imposer des mesures de réduction des coûts «au nom de la compétitivité». L’extrême-droite elle-même prônera des baisses de salaires pour affronter la concurrence internationale de manière plus agressive.

En cas de rejet de la libre circulation, qu’on le veuille ou non, des travailleurs des 10 nouveaux pays de l’UE viendront quand même chez nous pour tenter de trouver des conditions meilleures pour eux, mais ils viendront alors sans statut légal et seront à la merci de tous les abus patronaux. Les référendaires «de gauche» prétendent ainsi renforcer les droits sociaux des travailleurs en Suisse en s’attaquant aux droits que cet accord conférerait aux travailleurs/euses des pays concernés.

De plus, en cas de vote négatif, on peut parier que l’extrême-droite lancerait un nouveau referendum en 2009, mais cette fois contre le 1er accord de libre circulation des personnes signé en 1999 entre la Suisse et l’UE des 15 pays membres. En prônant un refus de la libre circulation, on contribuerait ainsi à enclencher, et alimenter, une spirale nationaliste. On accréditerait aussi l’idée que les migrant-e-s seraient la cause des graves problèmes sociaux actuels, alors que ceux-ci sont causés par une logique de système, et par les politiques néo-libérales qui la concrétisent.

Nous devons au contraire adopter une position qui favorise la solidarité entre les travailleurs, quelle que soit la couleur de leur passeport, et non adresser aux travailleurs-euses polonais, tchèques, hongrois, etc. le message qu’ils/elles seraient «indésirables» chez nous. Nous devons nous rapprocher des travailleurs/euses des autres pays, en particulier européens, et non nous en isoler. C’est dans ce cadre que nous pourrons conquérir des droits sociaux nouveaux pour les travailleurs-euses de ce pays et non en nous barricadant dans nos frontières. C’est dans cette perspective aussi que nous pourrons véritablement lutter contre la globalisation néo-libérale. C’est pourquoi je voterai OUI à la libre circulation le 25 septembre.

Eric DECARRO
Paru dans le Courrier