Un projet de loi qui menace les libertés fondamentales
Un projet de loi qui menace les libertés fondamentales
Le projet de loi des partis de l’Entente et de l’UDC «sur les manifestations sur le domaine public» figure à l’ordre du jour de la prochaine séance du Grand Conseil genevois. Rappelons que ce projet, déposé devant le Grand Conseil en décembre 2003, suite aux événements du G8, a ensuite été renvoyé en commission.
De nombreux mouvements sociaux ont tenu à être auditionnés par cette dernière pour exprimer leur opposition résolue à ce projet. Ces pressions ont débouché sur un premier résultat: la suppression de certaines dispositions choquantes, mais aussi inapplicables, comme l’obligation pour les organisateurs-trices de manifestations de conclure une assurance responsabilité civile ou la subordination à la police du service d’ordre des organisateurs-trices d’une manifestation. Il n’en reste pas moins que le projet de loi, tel qu’il a été voté au final par la majorité de la commission, continue de porter gravement atteinte à des droits démocratiques fondamentaux, protégés par la Constitution.
Ce que veut la droite
Ce projet de loi, sous couvert de «lutte contre les casseurs», s’attaque en réalité à la liberté de manifester et d’exprimer opinions, revendications ou protestations sur le domaine public. En effet:
- Il soumet le droit de manifester à un ensemble de conditions et restrictions qui seront déterminées «librement» par le Département de justice, police et sécurité (DJPS).
- Il consacre sur toute la ligne la priorité aux conceptions sécuritaires du «maintien de l’ordre public» par rapport à l’exercice des libertés démocratiques fondamentales. Toute expression, sur le domaine public, de critiques contre les politiques de plus en plus régressives sur le plan social et environnemental ou contre les atteintes aux droits humains fondamentaux, que l’on voit se multiplier aujourd’hui, pourrait ainsi être soumise à des conditions restrictives, voire interdite.
- Il renvoie à un règlement, dont personne ne connaît aujourd’hui la teneur, toute une série de conditions pour délivrer une autorisation (délai pour déposer une demande d’autorisation, contenu de la demande, dispositions pratiques pour l’organisation d’une manifestation, etc.). Selon le rapporteur de la majorité, le contenu de ce règlement serait déterminé par le DJPS, auquel serait ainsi « laissé plus de flexibilité pour organiser les modalités des manifestations ».
- Il permet au DJPS de refuser l’autorisation de manifester selon le thème de la manifestation ou sur la base d’une évaluation par celui-ci du « danger que la manifestation sollicitée pourrait faire courir à l’ordre public ».
- Il prévoit, selon le rapport de majorité de l’entente et de l’UDC, que « les conditions d’autorisation seront à la discrétion du DJPS ». Ce dernier pourrait ainsi refuser l’autorisation demandée, retirer l’autorisation après coup, exiger des changements de dernière minute dans les modalités de manifestation. De plus, selon le projet de loi, c’est le DJPS qui fixerait unilatéralement le lieu, l’itinéraire, l’heure du début et de fin de la manifestation. Toutes les pratiques antérieures, où ces conditions étaient discutées entre les organisateurs-trices de manifestations et la police, seraient ainsi abolies au profit d’une décision unilatérale de cette dernière.
- Il légalise certaines pratiques policières attentatoires aux droits démocratiques et aux libertés individuelles. Aujourd’hui, par exemple, la police filme et photographie systématiquement les manifestant-e-s, ce qui constitue une indéniable atteinte au droit de manifester. Le projet de loi légalise, de plus, la possibilité d’utiliser ce matériel auprès du grand public, dans le cadre d’appels à la délation, dans le but d’identifier des manifestant-e-s; il ouvre ainsi grande la porte à la violation de la présomption d’innocence et de la protection des données personnelles.
- Il autorise le DJPS à privilégier des intérêts publics (transports publics, circulation) ou privés (commerces) par rapport à la liberté démocratique fondamentale de manifester et de s’exprimer.
- Il soumet la demande d’autorisation à des délais excessifs, excluant ainsi toute expression spontanée de protestations ou de revendications.
- Il autorise la police à procéder « à la dispersion des manifestations non autorisées ou ne respectant pas les conditions de l’autorisation ». Un tel article ouvrirait la porte à des interventions policières excessives et dangereuses, y compris contre des manifestations se déroulant de manière parfaitement pacifique. Rappelons-nous l’agression parfaitement gratuite de la police contre un groupe de manifestants en mars 2003, à la gare Cornavin, et le tir par un policier avec une arme non autorisée de «balles marquantes» contre une syndicaliste, au terme d’une manifestation qui s’était déroulée sans le moindre incident.
Référendum indispensable
Contrairement à ce que prétend la droite, ce projet ne vise nullement les «casseurs»: ceux-ci ne demandent jamais la moindre autorisation pour agir; de plus, des lois existent déjà qui permettent de combattre leurs agissements.
Ce projet de loi vise en fait tous les mouvements sociaux qui recourent à ces moyens démocratiques que sont la manifestation, le rassemblement et la réunion sur le domaine public pour exprimer des revendications, opinions ou protestations.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de se préparer à lancer un referendum contre ce projet de loi liberticide et de regrouper dans ce but toutes les forces qui sont attachées à la défense des libertés démocratiques fondamentales.
Une premier succès a été remporté: suite au recours déposé par le GSsA contre la décision du DJPS d’interdire une manifestation devant la mission permanente des Etats-Unis, le Tribunal administratif genevois vient ainsi de réaffirmer le caractère « fondamental » du droit à la liberté de réunion. Il a aussi reconnu «l e réel intérêt à pouvoir manifester devant la mission américaine et non en un autre lieu au risque de voir la manifestation perdre son caractère symbolique ». Voilà qui est de bon augure pour la suite de notre bataille pour la liberté de manifestation et d’expression.
Eric DECARRO*
* Nous avons consacré un Cahier émancipationS (inséré dans solidaritéS n° 65) à une analyse détaillée d’Eric Decarro sur contexte plus général de l’offensive sécuritaire des milieux dominants: «La Suisse vers une société de contrôle» (www.solidarites.ch).