Loi sur l'égalité: un instrument utile... et ses limites

Loi sur l’égalité: un instrument utile… et ses limites

La loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg), adoptée le 24 mars 1995 et entrée en vigueur le 1er juillet 1996, constitue une concrétisation du principe constitutionnel du droit à un salaire égal, et vise de manière générale à favoriser l’égalité entre femmes et hommes dans le domaine du travail. Cette loi représente donc une avancée, et offre aux travailleuses, aux syndicats et aux associations un instrument dans le combat juridique contre les discriminations et les inégalités.

Parmi les innovations les plus intéressantes apportées par la LEg, on mentionnera surtout l’allègement du fardeau de la preuve et la protection contre les congés de représailles.

Faciliter la preuve des discriminations

Ces éléments sont particulièrement importants compte tenu des obstacles et des craintes qui sont de nature à dissuader les travailleuses de faire valoir leurs droits et à se plaindre des discriminations qu’elles subissent. Parmi ces obstacles figurent l’extrême difficulté pour une travailleuse d’apporter la preuve d’une discrimination salariale, puisque tous les éléments d’information pertinents sont en mains de l’employeur, et bien sûr la crainte d’être licenciée si elle ose agir contre son employeur. De ce point de vue, la LEg améliore la situation pour les travailleuses: au lieu de devoir (comme c’est le cas dans tout procès) apporter la preuve formelle de l’existence d’une discrimination, la travailleuse devra seulement la « rendre vraisemblable », et si elle y parvient, il appartiendra alors à l’employeur de démontrer que la différence de salaire n’est pas discriminatoire.

Une meilleure protection
contre les licenciements

D’autre part, et c’est un point fondamental, la LEg introduit une protection contre les licenciements de rétorsion, pendant toute la durée d’une procédure faisant suite à une plainte pour discrimination. Comme on le sait, le droit suisse du travail ne prévoit pas la possibilité de faire annuler un congé abusif, de sorte que la LEg ouvre une brèche sur ce point, qui mériterait d’être davantage exploitée par les syndicats et partis de gauche pour exiger qu’enfin une véritable protection contre les licenciements abusifs soit introduite dans la législation suisse, en faveur de l’ensemble des travailleurs et travailleuses.

Le harcèlement sexuel enfin nommé
par la loi

La LEg consacre par ailleurs un article au harcèlement sexuel, défini comme comportement discriminatoire. Certes, des cas de harcèlement sexuel avaient été portés devant les Tribunaux et sanctionnés déjà avant l’entrée en vigueur de la LEg, par le biais d’autres dispositions qui ne mentionnaient pas expressément le harcèlement sexuel, mais se référaient de manière générale à l’obligation pour l’employeur de protéger et respecter la personnalité des travailleurs et travailleuses. Toutefois, la LEg a le mérite de nommer clairement le harcèlement sexuel, et de prévoir des dispositions qui ont pour but d’inciter les employeurs à adopter des mesures préventives, sous peine de devoir verser une indemnité à la victime.

Les limites de la LEg

En dépit du progrès indiscutable que représente donc la LEg, cette loi (pas plus qu’aucune autre loi…) n’a eu ni ne peut avoir d’effets « miracle ». Il est banal de constater que les écarts de salaire entre femmes et hommes subsistent, que le harcèlement sexuel n’a nullement disparu même s’il ne fait plus « la une » des journaux. Cela nous rappelle qu’aucune loi, à elle seule, n’a le pouvoir de transformer les rapports de force et la réalité sociale et économique. Néanmoins, il est légitime de relever aussi les limites et les faiblesses intrinsèques de la LEg.

La principale limite de cette loi relève de sa conception politique « libérale »: contrairement à d’autres législations européennes en matière d’égalité, qui prévoient sous une forme ou sous une autre l’intervention d’office des pouvoirs publics pour imposer le respect du principe d’égalité, l’application de la LEg repose quant à elle exclusivement sur l’action des particuliers, c’est-à-dire des travailleuses individuellement ou, dans certains cas limités, des organisations (syndicats ou associations féminines). Ces dernières ont la possibilité de saisir les Tribunaux uniquement pour faire constater l’existence d’une discrimination (mais non pas, par exemple, pour réclamer le versement de la différence de salaire). Or, même en tenant compte des dispositions mentionnées plus haut, il n’en reste pas moins que, surtout en période de crise économique, il faut beaucoup de courage à une travailleuse pour affronter en justice son employeur, et il est dès lors bien compréhensible que seule une petite minorité des cas de discrimination soient effectivement dénoncés.

Tribunal fédéral et loi du marché

On doit également souligner le rôle joué par les Tribunaux dans l’application de la loi. A cet égard, il est consternant que dans un arrêt rendu en mai 2000, le Tribunal fédéral ait retenu le critère de « la situation du marché » (sic) pour rejeter une plainte pour discrimination salariale d’une enseignante en soins infirmiers (à Saint-Gall) dont la rémunération était inférieure à celle des enseignants des écoles des arts et métiers. Une telle jurisprudence revient clairement à « saboter » le principe qui est à la base même de la LEg, celui du droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Enfin, signalons que la tendance de plus en plus répandue des employeurs, dans un système économique qui se déréglemente chaque jour un peu plus, à adopter des systèmes de salaire « au mérite » risque de rendre beaucoup plus difficile voire impossible de contester des inégalités salariales en se fondant sur la LEg.

Comme on le voit, la LEg constitue un acquis, malgré ses limites, qui mérite d’être défendu et développé, contre les tendances actuelles à faire de la loi de la jungle, pardon, du marché, la règle suprême.

Anne-Marie BARONE