Trois regards inédits sur les dessous de l'histoire suisse
Trois regards inédits sur les dessous de l’histoire suisse
Trois contributions à la démystification de l’histoire suisse viennent de paraître aux éditions Antipodes, qui feront date: Hans Ulrich Jost, A tire d’ailes . Contributions à une histoire critique de la Suisse ; Malik Mazbouri, L’émergence de la place financière suisse (1890-1913) ; Sandra Bott, Sébastien Guex, Bouda Etemad, Les relations économiques entre la Suisse et l’Afrique du Sud durant l’apartheid (1945-1990) , Lausanne, Editions Antipodes, 2005.
A tire d’ailes est le titre du premier. Il ne constitue pas vraiment une nouveauté, mais plutôt une nouvelle porte d’entrée dans des textes-phares de l’historiographie suisse de ces vingt dernières années. Pour le départ à la retraite d’Hans Ulrich Jost, ses collaborateurs et collaboratrices ont en effet édité trente-six de ses articles particulièrement intéressants et difficilement accessibles. On y retrouve les grands thèmes qui ont empreint les travaux du professeur de Lausanne: le mythe de la neutralité, le regard critique sur la production culturelle, les autoreprésentations trompeuses de ce pays Les chapitres sont introduits par des ami-e-s, chercheurs et chercheuses, qui partagent des réflexions sur leur rencontre avec cet homme qui a joué un rôle capital dans l’édification d’une histoire critique en Suisse.
L’émergence de la place financière suisse , ainsi s’intitule le volume publié par Malik Mazbouri. En prenant comme point de départ la biographie de l’un des principaux banquiers helvétiques du tournant du 19e siècle, l’auteur fournit une analyse pertinente et inédite sur le développement et l’affirmation de la place financière suisse, de 1895 à 1913. La trajectoire de Léopold Dubois, qui se retrouve notamment à la direction de la Société de Banque Suisse, permet, en la considérant comme un cas particulier du possible, de mieux appréhender les grands bouleversements structurels que connaît la finance helvétique durant une période d’extraordinaire croissance internationale. Comment les grandes banques commerciales réussissent-elles à s’implanter sur le marché suisse et quel rôle joue leur lien avec l’industrie? Bref, cet ouvrage permet de mieux comprendre comment la Suisse est devenue le premier gestionnaire de fortune offshore de la planète. Pour reprendre les termes de l’auteur, il s’agit de l’histoire « de la conquête d’une place au soleil ».
Le troisième ouvrage met le doigt là où ça fait mal: Les relations économiques entre la Suisse et l’Afrique du Sud durant l’apartheid (1945-1990). Il analyse le tissage de liens intimes entre le régime raciste de l’Afrique du Sud et les banques suisses, et vient ainsi confirmer ce que le mouvement anti-apartheid clamait haut et fort en son temps. Au coeur de ces relations: les capitaux généreusement prêtés au Gouvernement de Pretoria par les grandes institutions financières helvétiques, en contrepartie de l’accès privilégié au marché des métaux précieux, que l’Afrique du Sud leur garantit. Les trois auteur-e-s démontrent que ces rapports s’intensifient encore durant la période d’isolement international du régime, suite aux sanctions économiques déclarées par l’ONU en 1977. Le mérite de cette étude est d’autant plus grand, que le Conseil fédéral, pourtant à l’origine du programme national de recherche sur cette question, n’a pas ordonné l’ouverture des archives publiques et privées, rendant ainsi très difficile l’accès aux sources les plus importantes.
Janick SCHAUFELBUEHL