Elections du 9 octobre: tirer toutes les leçons

Elections du 9 octobre: tirer toutes les leçons

Cette première tentative d’analyse à chaud des résultats électoraux du canton de Genève est destinée à ouvrir une discussion et à favoriser le débat. Il ne prétend pas épuiser les questions abordées.

Il nous a manqué un peu plus de 250 listes, soit 3 pour mille des suffrages, pour franchir le quorum de 7%. En tenant compte de l’éviction de la liste 4 de l’Alliance de Gauche (Parti du Travail et Indépendants), qui a fait un score équivalent au nôtre, et de la liste 10 des Communistes (1,2%), 15% des électrices et électeurs – soit plus que l’électorat du Parti socialiste – ne sont pas représentés au Grand Conseil. N’est-ce pas une insulte à la démocratie?

Avec une moyenne cantonale de 6,7% des suffrages, notre mouvement a certes obtenu un score sans précédent, avec des pointes de 11 à 14% dans les quartiers populaires de la ville de Genève (Cropettes-Vidollet, Pâquis, Mail-Jonction, Cluse-Roseraie, Saint-Jean, Prairie-Délices et Acacias) et de bons résultats à Carouge (8,7%), au Petit-Lancy (8,3%), aux Avanchets (7,9%), à Avully (7,5%) ou à Meyrin (7,4%). La liste 8 est ausssi celle qui a reçu proportionnellement le plus de soutiens de l’extérieur.

Toutes ensemble, les forces qui se situent à la gauche du PS et des Verts ont progressé de 2% par rapport à 2001. Elles n’ont cependant pas réussi à se rassembler autour d’une liste large, combative et démocratique, capable d’exprimer sur le terrain et sur le plan parlementaire une alternative à la politique néolibérale des milieux patronaux et de la droite, avec laquelle les Socialistes et les Verts cherchent le plus souvent des accomodements. Il est évident qu’une grande partie de notre électorat a de la peine à le comprendre. C’est pourquoi, nous devons en tirer toutes les leçons.

Pourquoi la droite a-t-elle gagné?

Les élections cantonales de cet automne se sont déroulées dans un climat de crise sociale aiguë, dont la pénurie de logement, l’aggravation du chômage et la précarisation accrue des plus défavorisé-e-s étaient les signes les plus évidents. Un tel climat aurait pu provoquer une montée de la résistance s’exprimant par un vote de gauche. Il a en effet conduit au recul de l’Entente bourgeoise (libéraux, radicaux et démocrates-chrétiens), qui perd 5,8%. Mais il s’est traduit aussi par un tassement de la gauche modérée, qui perd 0,5% (voire 3%, si l’on tient compte de la disparition d’Action Citoyenne), au détriment du PS (-3,2%) et au profit des Verts (+2,7%). Cependant, en favorisant une augmentation des divisions parmi les victimes de ces politiques et un repli sur le “chacun pour soi” , cette crise sociale débouche surtout sur une poussée de la droite populiste (+ 7%, au profit du nouveau Mouvement des Citoyens Genevois).

Depuis deux ans, le mouvement de la fonction publique, principal foyer de mobilisation collective, s’était heurté à un refus de négocier quoi que ce soit de la part de la droite au pouvoir, tandis que la gauche minoritaire refusait de défendre clairement des solutions alternatives, notamment en matière budgétaire. Par exemple, nos propositions fiscales – supprimer l’abattement de 12% sur les revenus de plus de 230’000 francs ou augmenter la taxation de la part des fortunes dépassant 1,5 million – avaient été accueillies sans enthousiasme, non seulement par le PS et les Verts, mais aussi par nos partenaires de l’ADG, privant ainsi la population d’un débat sérieux sur les véritables causes des déficits actuels: la baisse d’impôts pour les plus favorisés.

En réalité, toute opposition durable aux politiques des milieux dominants nécessite la multiplication d’expériences de lutte. Et pour que celles-ci prennent de l’ampleur et puissent se poser en alternative globale, il faut aussi qu’elles fassent progresser, dans l’esprit de celles et ceux qui les portent, un horizon d’attente qui rompe avec la logique du système. Il faut enfin qu’elles permettent de retisser, dans la résistance, des liens sociaux durables, ce qui implique de combattre concrètement les divisions entre salarié-e-s du public et du privé, entre Suisses et immigré-e-s, entre femmes et hommes, etc… Ceci ne peut être bien entendu qu’un processus global de longue haleine, auquel nous entendons contribuer localement dans toute la mesure de nos moyens.

Les effets du NON de gauche

A l’opposé, la campagne contre l’extension de la libre circulation, dominée par l’extrême droite nationale, a contribué à diviser entre elles les victimes de l’injustice sociale, renforçant l’idée que les difficultés actuelles proviennent avant tout de la libéralisation de l’immigration. Avec un label de gauche, dès le début de l’année 2005, cette campagne a été “naturalisée” à Genève par l’ADG (PdT-I) au nom de la préférence pour les salarié-e-s résidents: l’adéquation entre hausse du chômage et arrivée massive de frontalier-e-s français était déjà au centre de l’exposé des motifs du projet de loi “pour la protection de l’emploi” , lancé par l’ADG (PdT-I) sous forme d’initiative cantonale complémentaire au référendum national contre la libre circulation!

L’impact de cette campagne a continué à travailler les esprits, bien au-delà de la victoire du OUI – plus forte que prévue – le 25 septembre, ouvrant la voie à une nouvelle flambée du populisme de droite contre les frontalier-e-s. Le Mouvement des Citoyens Genevois (MCG) – “ni de gauche, ni de droite” ­–, né à cette occasion, était dès lors mieux placé que l’UDC pour récupérer, dans l’immédiat, les retombées de ce NON de “préférence cantonale” . Il a surpris tout le monde en franchissant la barre des 7% (7,7%), tandis que l’UDC de Blocher marquait le pas (9,6%).

Pourquoi l’ADG
s’est-elle divisée?

Afin de relancer un rassemblement unitaire et démocratique à la gauche des Verts et des Socialistes, que nous avons toujours défendu, il nous faut tirer aujourd’hui les enseignements des faiblesses de l’ADG.

En effet, de 1993 à 1999, l’Alliance de Gauche avait bien réussi à impulser la résistance à la politique du Conseil d’Etat monocolore de droite (1993-1997) et au paquet ficelé de mesures antisociales et d’impôts injustes cautionnée par le PS et les Verts (décembre 1998), rassemblant de 17 à 28% des suffrages à toutes les élections, en dépit de ses premières divisions en Ville de Genève. C’est cette ADG-là, que nous avons contribué à construire et dont nous n’avons pas cessé de nous revendiquer.

Cependant, dès 2001, la tête de proue des Indépendants, Christian Grobet, préconisait la constitution d’une liste ADG réduite pour le Grand Conseil afin de protéger les candidat-e-s du PdT et des Indépendants de la croissance “dangereuse” de solidaritéS. Résultat de cette politique frileuse: l’ADG tombait à 13%, perdant 4 points de pourcentage et 5 sièges, dont 4 au détriment de solidaritéS. En bloquant la progression de solidaritéS, l’ADG mettait au pas son principal pôle de croissance, s’interdisant à l’avenir toute dynamique de progrès et de renouvellement.

En 2003, c’est le PdT qui faisait cavalier seul, aux municipales, pour tenter de sauver le siège d’André Hediger à l’exécutif, frisant alors la barre du quorum en Ville de Genève; aux nationales pour sauver celui de Jean Spielmann, n’obtenant que 2,7% des voix. Quant aux Indépendants, hormis la brillante élection de Christian Ferrazino au Conseil administratif, soutenue par solidaritéS, ils n’obtenaient que très peu d’élu-e-s dans les conseils municipaux, tandis que Christian Grobet se retirait de la course aux nationales.

Une occasion perdue…

Les cantonales de 2005 étaient donc les élections de la dernière chance pour relancer une dynamique de rassemblement autour d’une liste large et unitaire de l’ADG sur un programme de résistance à gauche. Nous l’avions affirmé clairement par écrit à nos partenaires, dès juin 2004. C’était sans compter avec les Indépendants, qui exigeaient une liste plus réduite encore qu’en 2001, avec une représentation renforcée de leur groupe. En même temps, ils impulsaient la campagne que l’on sait sur la “préférence cantonale” pour l’emploi, désignant l’afflux des frontalier-e-s comme cause du chômage.

Parce que nous savions que la division de l’ADG, à l’occasion de ces élections cantonales, risquait de favoriser une victoire de la droite, nous avons été jusqu’à accepter une liste de 12 candidat-e-s par composante, plus réduite encore qu’en 2001, proposée in extremis par le PdT. Malheureusement, les Indépendants l’ont rejetée sans appel.

Les raisons d’une telle obstination sont d’ailleurs clairement expliquées aujourd’hui par Marie-Paule Blanchard, députée sortante des Indépendants: “Je n’ai pas de regrets. Avec une liste unique, le PdT et nous-mêmes aurions été bouffés” (TdG, 11 octobre). Ce qu’elle oublie de préciser, c’est que si la liste ADG (PdT-I) avait passé la barre du quorum, ce sont les Indépendants qui auraient absorbé le PdT, avec 5 élu-e-s sur 7… Cette logique concurrentielle est donc bien stérile.

Dès lors, solidaritéS, prenant acte de cette volonté évidente de rupture, ne pouvait que constituer une liste large, représentative de forces nouvelles, dans la logique politique de l’ADG des années 90, en rupture avec le repli auto-conservateur de nos partenaires. Ce choix difficile ne nous a pas permis, de justesse, de passer la barre du quorum. Il peut cependant représenter un gage d’avenir, à condition que nous sachions en tirer toutes les leçons.

Reconstruire
un projet unitaire…

Notre campagne a été extrêmement active et a contribué à souder une équipe de militant-e-s plus large dans un excellent climat de travail collectif. Elle a aussi permis de faire apparaître de nouveaux-elles porte-parole publics. Elle a enfin dégagé un spectre de soutiens sans précédent, autour d’un appel à voter solidaritéS, signé par plus de 300 personnes, qui nous vaut aujourd’hui une série d’adhésions.

Nous appelons plus que jamais à regrouper toutes les forces de résistance sur le terrain politique, syndical et associatif pour contrer la politique ultra-réactionnaire que va conduire la nouvelle majorité de droite, plus nombreuse et plus agressive. Nous en avons déjà un avant-goût avec le projet de budget 2006 du Conseil d’Etat sortant, présenté au lendemain des élections en violation de la loi et des règles démocratiques les plus élémentaires.

Sur un terrain que nous connaissons bien, sur les lieux de travail et dans la rue, nous soutiendrons activement l’ensemble des mouvements de résistance au démontage social. Nous n’épargnerons aussi aucun effort pour appuyer les référendums qui ne manqueront pas d’être lancés contre les décisions réactionnaires de ce parlement.

Au plan national, nous appelons au lancement d’une campagne unitaire de longue haleine pour l’introduction de salaires minimaux et lutterons pied à pied contre toute mesure visant la libéralisation accrue ou la privatisation des services publics (nouvelle Loi sur le marché de l’électricité).

Tirer parti des expériences de l’ADG

Nous serons aussi aux côtés de celles et ceux qui défendent les libertés publiques et les droits démocratiques contre le renforcement de politiques sécuritaires aux accents racistes et xénophobes. Face aux mesures toujours plus restrictives prises à l’égard de l’immigration et des réfugié-e-s, nous soutenons le lancement de référendums au plan national contre les nouvelles lois fédérales sur les étrangers (LEtr) et sur l’asile (LAsi). Sur ce terrain, plus que sur tout autre, nous ne devons pas nous limiter aujourd’hui aux batailles qui peuvent être gagnées.

Au niveau national, solidaritéS est engagé avec d’autres forces, notamment le POP vaudois et neuchâtelois, ainsi que les “Alternative Liste” en Suisse alémanique, dans le renforcement d’un pôle unitaire de la gauche combative, déjà représenté au Conseil National: “A Gauche Toute!” . Il nous faut absolument progresser dans la construction de ce collectif en renforçant les discussions et les échanges internes, mais aussi en développant des campagnes communes sur le terrain.

Au niveau cantonal, nous entendons aussi relancer la construction d’un regroupement politique ouvert, à la gauche des verts et des socialistes, au-delà des frontières de notre mouvement, bien entendu, mais aussi des trois composantes de l’ADG. Pour cela, il est essentiel qu’il fonctionne de façon démocratique et transparente sur des bases politiques claires et ne se réduise pas à un comité électoral. L’expérience des succès initiaux, mais aussi des déboires ultérieurs de l’ADG, devrait nous permettre de ne pas commettre les mêmes erreurs à l’avenir.

Jean BATOU