Allemagne: «Die Linke» à la croisée des chemins

Allemagne: «Die Linke» à la croisée des chemins

Les dernières élections législatives allemandes avaient été marquées par l’échec de la droite et de la coalition SPD-Grünen, et par la poussée d’une nouvelle alliance de gauche: Die Linke (8,7%). Pour aller au-delà d’une fraction parlementaire et former un véritable mouvement, de nombreuses questions politiques et organisationnelles restent cependant à résoudre. Tout récemment, nous avons eu confirmation qu’une candidature commune à Berlin s’annonce impossible… Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec Wilfried, du courant internationale sozialistische linke, dont la plupart des membres militent au sein de la WASG (Alternative électorale travail et justice sociale), l’une des deux composantes, avec le Linkspartei.PDS, du nouveau parti en gestation.

Quelle est la situation politique en Allemagne, six mois après les élections au Bundestag en septembre dernier?

Ces élections anticipées ont marqué la fin du gouvernement «rouge-vert». Elles ont signifié aussi la fin des carrières de Gerhard Schröder (SPD) et de Joschka Fischer (Die Grünen). Mais ce résultat n’a pas conduit à un changement en faveur d’une coalition de droite des deux partis chrétiens-démocrates (CDU et CSU en Bavière) et des libéraux (FDP). Les résultats du vote, la répartition des sièges et le score relativement bon du Linkspartei (Parti de gauche, 8,7%) n’ont pas permis la formation d’un gouvernement «noir-jaune», que les patrons et les courants néolibéraux de l’opinion publique avaient attendu avec pas mal d’enthousiasme. Donc, pour la deuxième fois depuis les années 1966 à 1969, une «Grosse Coalition» (grande coalition) des deux «Volksparteien» (CDU/CSU et SPD, sous la direction des «noirs») s’est formée. Vu l’état des luttes et des mouvements sociaux, c’était un résultat relativement bon pour la gauche anti-néolibérale. En effet, la social-démocratie n’est pas dans l’opposition, mais continue de porter la co-responsabilité de toutes les «réformes», ce qui va continuer à pousser des pans entiers de sa base – électeurs-trices et adhérent-e-s – en partie vers la gauche politique.

A la fin de ce mois, plusieurs élections sont prévues dans deux Länder du Sud-Ouest, Rheinland-Pfalz et Baden-Württemberg, ainsi que dans le Sachsen-Anhalt (à l’Est). En plus, il y a des élections municipales en Hesse. On peut dire que ce sera un premier test surtout pour les grands partis au gouvernement fédéral. Il y a aussi un autre élément d’actualité très important: les grèves de la fonction publique (employé-e-s des Länder et des communes) contre l’allongement du temps de travail. Ce mouvement se poursuit et semble déboucher sur un compromis: il est trop tôt pour savoir comment un tel débouché est perçu par la masse des grévistes. 30 000 grévistes, cela ne représente guère plus que 1% des salarié-e-s des services publics. Néanmoins, dans notre pays, c’est du jamais vu depuis des années.

Comment le Linkspartei et ses deux principales composantes, le PDS et la WASG, vont-ils affronter les prochaines échéances électorales?

Le paysage est assez différencié. Ces deux partis ont encore leurs propres structures avec une importante instance commune: la fraction au Bundestag (appelée «Die Linke»). Tandis qu’aux élections au Bundestag, en septembre, il y avait partout des listes PDS, rebaptisées «Linkspartei» ou «Linkspartei.PDS» (L.PDS) en été, avec des candidat-e-s de la WASG, maintenant c’est l’inverse dans le Baden-Württemberg et la Rhénanie-Palatinat. Il y a des listes WASG avec quelques membres du PDS. Dans les «neue Bundesländer» de l’ancienne RDA, où le Linkspartei est un vrai parti de masse – souvent la deuxième force politique, derrière la SPD ou le CDU – comme en Sachsen-Anhalt, il y a par contre une liste du L.PDS. Ce parti s’est malheureusement prononcé clairement pour un co-gouvernement avec le SPD dans un troisième Land. Et ce ne serait pas un gouvernement régional issu de mouvement sociaux et visant à défendre des acquis, des améliorations sociales et des mesures de redistribution des richesses à faveur des travailleurs-euses.
Aux élections de septembre prochain dans le Land de Berlin, la WASG vient de décider, à une courte majorité, de ne pas présenter de liste commune avec le PDS. Peux-tu expliquer les raisons invoquées pour ce choix?
A Berlin, SPD et PDS ont une majorité dans le «Abgeordnetenhaus» (Parlement municipal et régional). Ils ont formé un gouvernement dit «rouge-rouge». Beaucoup de choses sont donc différentes dans cette ville de 3 millions d’habitant-e-s, d’abord aux yeux de la population, mais aussi des membres des partis et des militant-e-s des mouvement sociaux et politiques. Pour le grand public, qui croit qu’il y a déjà un parti de gauche – une unification des forces de Gregor Gysi et d’Oskar Lafontaine – il s’agit du premier éclatement important du Linkspartei. Pour la gauche radicale, les secteurs critiques et les activistes des mouvements sociaux, qui ne sont pas des sectaires isolés et forment la majorité de la WASG de Berlin, la politique gouvernementale du L.PDS est inacceptable. Une petite partie d’entre eux a d’ailleurs rompu avec le PDS, il y a deux ou trois ans, à cause de sa politique de co-gouvernement. Pour eux, il faut s’opposer au social-libéralisme et développer des alternatives progressistes.

C’est la direction berlinoise du L.PDS qui porte la responsabilité principale de cette situation. Ce serait certes souhaitable qu’il n’y ait qu’une seule alternative anti-néolibérale radicale et crédible aux yeux de centaines de milliers d’électeurs-trices. Une alternative qui ne dirait pas, comme les politiciens du PDS de Berlin: «avec la CDU au gouvernement il y aura des coupures bien pires que celles dont nous devons accepter la co-responsabilité, vu la situation grave des caisses vides…». Cependant, la consultation interne des adhérent-e-s de la WASG-Berlin montre que la base pour un tel projet, à côté du L.PDS, est plutôt restreinte… En revanche, en Allemagne de l’Ouest, le L.PDS est un partenaire moins fort. Les courants de la gauche critique et alternative, les syndicalistes ex-SPD qui ont enfin décidé de le quitter et les militant-e-s de la gauche des Verts pourraient peser plus lourd face à l’appareil du L.PDS. Les questions importantes pour les prochains mois seront: quel type de parti former? une simple fusion ou un vrai processus de refondation? son orientation anti-néolibérale sera-t-elle claire? comment construire un parti électoral, mais qui soit en liaison avec les mouvements sociaux? y aura-t-il un vrai pluralisme au sein de ce parti, avec de l’espace pour les courants anticapitalistes?

Entretien réalisé par la rédaction