Génération Noir Désir

Génération Noir Désir

Le groupe français Noir Désir vient de recevoir une victoire de la musique pour son double DVD live, sorti en automne 2005. C’est l’occasion de revenir sur ce groupe qui, depuis vingt ans, a marqué une génération.

«Génération Noir Désir»: le terme peut sembler vide ou galvaudé, mais pourtant nous sommes nombreux et nombreuses à pouvoir nous retrouver dans ce qualificatif. Une génération qui a aujourd’hui entre 25 et 35 ans et pour qui les mots «militance», «rage», «révolte» et «politique» ont trouvé un sens et une résonance dans les huit albums et les vingt ans de carrière du groupe.

Une musique qui parle fort

Comment Noir Désir a pu sensibiliser un public à ce point? Il faut remonter au début du groupe pour comprendre son importance sur la scène musicale francophone.

Formé à la fin des années 80, le groupe bordelais s’est rapidement imposé auprès d’une jeunesse qui, dépitée par pauvreté musicale de l’époque, se réfugiait sur la scène punk/rock, revitalisée par les Béruriers Noirs et Mano Negra.

Dès leurs premiers albums1, on s’approprie les textes sombres et l’univers poétique et romantique2 de Bertrand Cantat. Les thèmes des chansons naviguent entre la mort, la souffrance, l’amour, la drogue, l’anarchisme, la révolution, ainsi que les nombreuses références à des auteurs comme Brecht, Lautréamont et Maïakovski. Leur rock est puissant, écorché et emplit d’une rage qui fait corps avec les textes.

En 1992 sort l’album Tostaky, un rock au son puissant et saturé. Ce titre, qui fait connaître Noir Désir au grand public, est d’une force et d’une rage exceptionnelles. Ce disque est en rupture avec le côté sombre des premiers albums et la critique du système capitaliste y est beaucoup plus apparente.

Toujours la révolte

En 1996, après un long silence, le groupe bordelais revient avec «666667 CLUB». Cet album, qui prônait le changement et l’apaisement, sera celui de la révolte contre la société: l’économie, l’extrême droite, les médias. Après 10 ans d’existence, ces textes touchent une nouvelle jeunesse. Ceci étant d’autant plus étonnant que la scène rock de l’époque est moribonde, suite à la déferlante du RAP. Noir Désir devient alors le porte-parole de la jeunesse anti-mondialiste.

En 2001, le groupe se réinvente une fois de plus avec «Des visages et des figures». C’est cette capacité à toujours de se remettre en question et à ne jamais se répéter qui constitue la ligne invisible, le lien entre les six albums du groupe. C’est désormais un son radicalement neuf, apaisé et épuré, qui met en valeur les paroles de Cantat. Des textes d’une toute particulière sensibilité, servis par une voix exploitée et mise en avant comme jamais, aux dépens des guitares électriques. Une sérénité et une maturité apparente, dans laquelle la révolte, le mal de vivre et la poésie sont plus que jamais présent.

Le choc du drame

En juillet 2003, le drame de «l’affaire Cantat / Trintignant» provoque un choc. Les médias s’acharnent sur Bertrand Cantat «celui qui a toujours refusé et dénoncé le pouvoir des médias». La presse et la télévision poubelles prennent leur revanche, tout heureuses de démontrer mettre en parallèle le crime de Cantat avec les positions politiques du groupe.

Malgré la tourmente, Noir Désir est toujours présent. La sortie du double DVD et CD live en public, ainsi que l’édition des poèmes de Cantat l’atteste. Ce DVD est un document exceptionnel pour découvrir le groupe: il montre ses combats, son univers et l’évolution de sa musique. Mais, au-delà des ces documents et des projets des musiciens avec d’autres artistes, c’est l’esprit Noir Désir qui est toujours présent. Car la «génération Noir Désir» est représentée par une multitude de groupe qui se revendiquent de cet héritage et se battent également pour une création artistique libre et indépendante.

Présent pour longtemps

L’intérêt de l’engagement de Noir Désir réside dans sa capacité à tisser des liens entre musique, engagement associatif et lutte politique. Dès le début, Noir Désir a eu une approche novatrice: avec leur maison de disque, ses musiciens ont été les premiers a négocier leur contrat en imposant aux labels une autogestion de leur carrière, un contrôle de la production, le refus de passer dans les médias télévisés, ainsi qu’une liberté totale de parole. Ce contrat a ouvert la porte à de nombreux groupes qui ont pu obtenir des conditions similaires (Zebda, par exemple).

Leur soutien à des causes comme celles des sans-papiers, du Chiapas, de José Bové ou des anti-FN, a contribué à la médiatisation de ces combats. Ils assument pleinement leur rôle d’artistes engagés, ce qui leur a permis de faire émerger un réseau de créateurs3 œuvrant ensemble sur le terrain associatif et politique. Tout cela, sans jamais négliger la qualité artistique.

Aujourd’hui, «la génération Noir Désir» a produit beaucoup de militant-e-s politiques ou associatifs. A un moment de notre vie été, nous avons été largement influencés par Noir Désir. Cette musique résonne toujours en nous et continue à nous donner la force de lutter. Noir désir est bien présent, et pour longtemps encore.

Romain KULL

  1. 1987: Où veux tu que je regarde?; 1989: Veuillez rendre l’âme à qui elle appartient; 1990: Du ciment sur les plaines.
  2. Lire l’excellent ouvrage de Candice Isola: Noir Désir, le creuset des nues, Paris, éd. Les Belles Lettres.
  3. Entre autres, des groupes comme Les Têtes Raides, Zebda, Assassin.