Capitalisme ou planète habitable: il faut choisir!

Capitalisme ou planète habitable: il faut choisir!

Il n’est de réponse sérieuse aux problèmes que soulève le changement climatique sans remise en cause intégrale des rapports sociaux. Un seuil par-ci et un quota par-là ne suffiront de toute évidence pas. Nous pouvons en bricoler les contours tant que nous le voulons, nous ne pourrons rendre la biosphère soutenable dans le cadre du système économique actuel.
C’est la nature même du capitalisme qui rend ce système insoutenable. Celui-ci repose sur l’expansion infinie des marchés, sur une consommation de plus en plus rapide, et sur une production industrielle dont le volume s’accroît en permanence, tout ceci sur une planète aux confins limités. Mais malgré ce fait, l’idéologie économique actuelle demeure le principe d’organisation fondamental de nos existences. Aussi longtemps qu’elle le restera, le capitalisme découragera automatiquement (par le biais de sa main invisible) toutes les initiatives écologiques dignes de ce nom.

Un capitalisme «vert»?

Bien des discussions consacrées à la problématique de l’énergie croient possible d’instaurer un capitalisme «vert» mis au service de l’écologie. Ces discussions négligent de prendre en considération la dimension du pouvoir. Le régime de la propriété privée du commerce et de l’industrie implique que la puissance politique décisive dans le monde actuel est la puissance privée. Les entreprises contournent ainsi la moindre loi ou régulation, si minime soit-elle, qui chercherait à limiter leurs taux de profit. Elles empêchent de ce fait l’émergence du contrôle démocratique que nécessite le renversement de la tendance actuelle au réchauffement climatique. C’est uniquement en brisant l’hégémonie des entreprises et en plaçant ces dernières sous le contrôle de la société, que nous serons à même de surpasser la crise écologique globale.
Dans les pages de ce journal [The Guardian de Londres, ndlr], nous avons souvent été invités à admirer la capacité du capitalisme à agir de façon énergique, alors que les gouvernements tergiversent. On complimente ainsi Wal Mart pour avoir imposé une réduction de 20% de ses émissions de carbone. Mais le fait est que les supermarchés sont une forme dépassée. Nous ne pouvons plus continuer à compter sur des circuits de distributions aussi longs. Le modèle même du supermarché est écologiquement insoutenable, avec sa pratique du packaging, du stockage de la nourriture et de la destruction de la paysannerie qu’il induit. (…)

Bien des écologistes «officiels» craignent que l’adoption d’une position anti-capitaliste conduise les gens à ne pas suivre leurs irrésistibles arguments. Pourtant, le peu d’intérêt de la population envers ces arguments ne résulte-t-il pas précisément du caractère extrême de la crise actuelle et de la faiblesse des solutions proposées? (…)

Sortir du pétrole maintenant…

Le pire qui pourrait arriver à notre espèce serait sans doute la découverte de nouveaux gisements de pétrole. Ou même, la combustion dans l’atmosphère de toutes les réserves connues à ce jour. Le chaos climatique qui s’ensuivrait ferait de l’effondrement de la société industrielle une simple bagatelle. Ainsi, puisque nous devrons de toute façon apprendre à nous passer de pétrole, pourquoi ne pas commencer dès à présent?

Les solutions doivent venir de la population. Mais une fois organisés, les groupes locaux autonomes devront bénéficier de transferts technologiques, du national vers les communautés. L’installation isolée de panneaux solaires, et davantage encore celle d’un réseau énergétique local, coûteraient trop cher. (…) Mais aussi longtemps que les entreprises de l’énergie existent, elles se battront bec et ongle pour empêcher le fractionnement des secteurs du réseau national. Les banques et la CBI (faîtière patronale britannique) ne seront pas non plus des observatrices neutres, satisfaites de constater les avancées de la démocratie participative dans le domaine de la réduction des émissions de carbone, ou encourageant les syndicats en grève en faveur de quotas de carbone.

Il y a bien des projets organisationnels dont il est possible de s’inspirer. La «Just Transition Alliance» a été créée aux Etats-Unis par des groupes latinos et noirs. Ceux-ci collaborent avec les syndicats pour établir des alliances entre salarié-e-s et communautés locales. L’objectif est de faire dialoguer les ouvriers-ères travaillant dans des usines polluantes, qui risquent de perdre leur emploi si celles-ci ferment, avec des personnes vivant près de ces usines, qui risquent de perdre leur santé si elles ne ferment pas.

…pour sauver l’espèce humaine

Il nous faut non seulement planifier sérieusement la mise en place d’un système de rationnement de la consommation individuelle de carbone, mais aussi fixer des limites à l’émission nationale de carbone. Une fois fixées de telles limites en Grande-Bretagne, à quoi consacrer le carbone disponible? Quelles infrastructures cons­truire, réhabiliter ou, au contraire, démolir? Quelles structures organisationnelles seront viables au moment où le changement climatique menacera toutes les communautés et où tous les emplois seront en cause? (L’essentiel de nos émissions de carbone est produit pendant le temps de travail.)

Afin de parvenir à cet objectif, il nous faut situer le débat concernant le chaos climatique à venir au niveau de la survie de l’espèce, plutôt que de vouloir le ramener à uniquement à ce qui est possible ou à ce que les gens sont ou non à même d’approuver dans l’imédiat. (…) Nous avons vécu une ère où l’énergie était à la fois bon marché et abondante. (…) Elle nous a conduit à penser que l’impossible était possible, que les gens dans les pays du nord industrialisés pouvaient bronzer en hiver et manger des pommes en été. Mais la bulle pétrolière nous a fait oublier l’existence de réalités physiques incontournables. Or, il est grand temps d’admettre que celles-ci n’ont jamais disparu. On ne peut avoir à la fois le capitalisme et une planète habitable. C’est l’un ou l’autre, mais en aucun cas les deux.

Robert NEWMAN*

* Paru dans The Guardian du 2 février. L’auteur, un écrivain britannique bien connu, est lié à l’Alliance Mondiale des Peuples (fédération de réseaux internationaux dans la foulée du soulèvement zapatiste de 1994). Traduction, intertitres et coupures de notre rédaction.