Élections italiennes: battre la droite, et après?

Élections italiennes: battre la droite, et après?

Les électeurs et électrices italiens voteront les 9 et 10 avril prochains. La violence avec laquelle la formation de Berlusconi fait campagne devient de plus en plus préoccupante. Ainsi, les initiatives de la «Maison des libertés», coalition de Berlusconi, nous rappellent l’urgence de sa défaite électorale et d’un tournant rapide dans la politique italienne. Elle souffle sur le feu de l’affrontement social et titille les plus bas instincts d’une société occidentale précarisée et en crise d’identité.

Si le programme déjà réalisé par Berlusconi ne suffisait pas – celui qu’il a souscrit auprès de la Confindustria (faîtière patronale) et de la Maison Blanche –, ce qui est arrivé au cours des dernières semaines suffit pour motiver une bataille résolue pour chasser les forces de droite. Mais comme la gauche le répète, battre la droite n’est pas suffisant, si l’on ne va pas au-delà de ses politiques et de son horizon, au-delà du berlusconisme qui domine le pays.

Changer de politique

Cet horizon ne concerne pas uniquement la politique économique. Il s’agit également de la politique étrangère et du climat d’opposition entre «l’Occident» et le «monde islamique» qui se renforce de plus en plus. (…) Pour un éventuel gouvernement de centre-gauche, cela signifie savoir proposer des options et des choix profondément différents de ceux qui dominent la scène mondiale, non seulement depuis 2001, mais aussi depuis la première guerre du Golfe de 1991. En somme, si le retrait des troupes de l’Irak est un passage obligé, il est évident que cet acte ne réglera pas tout (…). Il ne faut pas oublier non plus, à la «frontière» du monde musulman, que l’Italie est également engagée en Afghanistan (…). En somme, le tournant face à Berlusconi passe par une nouvelle politique internationale (…).

Outre la politique étrangère, il est clair que la rupture de la continuité avec Berlusconi passe par une nouvelle politique économique (…), [qui mette] en avant l’urgence d’une rupture radicale avec les politiques néolibérales en s’orientant vers un accroissement des salaires et une nouvelle intervention publique (…). Le problème c’est [que] le contexte (…) est actuellement dominé par une offensive centriste, au sein même du centre-gauche, qui s’articule sur plusieurs plans et s’appuie sur des pouvoirs très consistants, à laquelle il faut une réponse forte sur le plan de la mobilisation et du contenu.

Les recettes de Prodi

Le premier niveau de cette offensive est économique. Prodi a déjà fait un pas explicite en annonçant la réduction des charges fiscales sur l’emploi, en continuité avec les politiques antérieures, alors que ces rabais avantagent quasi exclusivement les entreprises. Mais le piège est plus complexe et se cache dans les plis du budget public. Le montant du déficit que le gouvernement Berlusconi lègue à son successeur, et que L’Union européenne a déjà mis sous surveillance, reste inconnu. En 2005 il était de 4,3% du PNB, alors que l’Italie s’est engagée envers l’UE à le porter au-dessous de 3% en 2007. Pour 2006, le gouvernement a prévu 3,5%, mais il n’existe aucune certitude [d’atteindre] ce résultat. Cela peut se traduire par un lourd héritage pour le prochain gouvernement, dans la mesure où un point de pourcentage du PNB vaut environ 13 milliards d’euros… Cette situation paraît préoccupante si l’on considère comment Prodi l’explique à la presse internationale: «Si nous gagnons les élections, notre engagement fondamental est justement de donner un signal d’assainissement des finances publiques. Notre objectif est de revenir progressivement à un déficit satisfaisant et de faire beaucoup mieux que les critères de Maastricht d’ici à cinq ans» (Les Echos, 22 février 2006).

Le deuxième niveau correspond à une restructuration du système industriel italien pour faire face à la concurrence internationale. La Confindustria ne veut pas céder sur les règles qui introduisent la précarité, continue à exiger des subventions et aides diverses, et a besoin d’un système de négociation qui permette à l’Italie de faire ce qu’a fait l’Allemagne (…). Le capital italien a entamé une profonde réorganisation financière, comme le montre l’affrontement au sein du système bancaire. De ce fait, la majorité des groupes bancaires, du moins les plus importants, comme Intesa et Unicredit, se sont rangés aux côtés de «l’Union» [Coalition de centre gauche qui regroupe les Démocrates de gauche, La Marguerite et Rifondazione, ndlr]. Cette offensive se nourrit de deux rengaines idéologiques: 1. pour retrouver la compétitivité il faut réduire les coûts d’entreprise; 2. pour aider les entreprises à mieux évoluer sur le marché mondial il faut libéraliser les services (directive Bolkestein). (…)

Le troisième niveau de l’offensive est politique et démocratique, et touche en général le rôle des mouvements, de la citoyenneté active et du conflit social. Il est par exemple insupportable de constater comment certains porte-parole influents de «l’Union» et les principaux quotidiens italiens qui lui sont favorables traitent les habitants du Val de Susa. Cette attitude face à toute une population en lutte [contre une liaison ferroviaire à grande vitesse passant par cette vallée, ndlr] est un indice du rapport établi envers toute forme de ferment social qui n’entre pas dans le moule établi par les dirigeants de la Marguerite [la formation chrétienne-démocrate de Prodi, ndlr] ou par les principaux porte-parole de DS [Démocrates de gauche, ex-majorité du Parti communiste, devenu sociale-démocrate en 1990, ndlr]. Ce n’est pas un hasard si Rifondazione est visé, vu ses liens avec le mouvement «No Tav» (contre le train à grande vitesse) et son engagement au sein des mouvements pacifiste et altermondialiste. (…) Il y a un droit à la désapprobation, qui semble octroyé par en haut et passe la camisole de force à tout ce qui échappe aux compromis possibles et aux équilibres internes de la coalition, spécialement quand il s’agit de politique internationale.

Enfin, il y a un quatrième niveau, celui de la culture démocratique et des droits civiques. «L’Union» a réussi à se mettre à dos presque toutes les associations homosexuelles, ainsi qu’une partie du mouvement des femmes. Son option quant aux unions civiles a fait naître non seulement amertume et déception, mais aussi rage. Le refus d’Arcilesbica [association des lesbiennes, ndlr] de s’engager pour le vote en faveur de «l’Union» est symptomatique d’un état d’esprit plus diffus et le prix ainsi payé à la hiérarchie catholique pourrait être très élevé.

Au-delà du programme de «l’Union»…

Il faut donner une réponse à cette agression avant tout sur le plan du contenu. On ne peut pas rester fixé au programme de «l’Union» (…). Nous devons dessiner notre propre tableau pour éviter que les autres ne le fassent. Notre objectif: abroger toutes les lois scélérates du gouvernement Berlusconi: outre la loi Bossi-Fini sur l’immigration, il faut abroger la loi 30 [déréglementation du droit du travail, ndlr], la loi Moratti sur l’éducation, celle sur les retraites, les lois sur les stupéfiants [qui ne font aucune différence entre drogues dures et le cannabis, ndlr] et la loi sur la fécondation assistée. «Les abroger toutes», ce n’est pas une perspective propagandiste ou symbolique. (…)

En deuxième lieu, priorité aux salaires et à l’intervention des pouvoirs publics. Des syndicalistes de base et la gauche de la CGIL ont mis en avant la proposition d’une «nouvelle échelle mobile». Ce qui est certain, c’est qu’on n’obtiendra pas une redistribution du revenu, la récupération de tout ce qui a été arraché aux salarié-e-s au cours des vingt dernières années, sans rétablir une forme de rattrapage automatique des salaires et une redistribution de la productivité. De même, on ne pourra pas donner une place centrale à l’intervention des pouvoirs publics sans lui en donner les moyens. Aujourd’hui, le Trésor contrôle encore quelques secteurs essentiels, comme l’énergie, les transports, les communications, la Poste et certaines industries lourdes comme Finmeccanica. Reste à étouffer dans l’œuf les privatisations envisagées, comme celles d’Enel [électricité, ndlr] et de la Poste. Mais il faut commencer à penser aussi au retour de l’ingérence publique dans le système bancaire, vu son importance cruciale et sa dépendance totale à l’égard du capitalisme international; de même, il faut envisager une forme de régie pour assurer le caractère social des services d’utilité publique, à commencer par l’eau. Cela pose la question des ressources mais aussi du Pacte de stabilité, qui ne peut pas être respecté. De même, il faudra une réforme pour agir contre l’évasion fiscale et les profits des entreprises qui voyagent à des rythmes de plus en plus rapides.

En troisième lieu, par respect pour l’article 11 de la Constitution [contre la guerre comme solution aux conflits, ndlr], inséré de manière opportune au programme de «l’Union», il faut relancer une vision de la politique étrangère prévoyant le rappel de nos soldats des missions de guerre, et, dans le cadre de la réduction des dépenses militaires, la reconversion de l’industrie militaire à des fins civiles (on en revient à la Finmeccanica) ainsi que le refus d’une professionnalisation ultérieure des forces armées, surtout dans le contexte européen.

Enfin, il ne faut pas tergiverser par rapport au PACS et à la loi 40 [réglementation de la procréation assistée selon les exigences du Vatican, ndlr]. Les attentes des mobilisations de ces dernières années, de la Gay Pride au retour des manifestations féministes, doivent affronter l’un des legs les plus insidieux de la droite, qui cherche à récupérer sur le plan des valeurs le contrôle et l’hégémonie qui lui échappent sur le plan social. La reconnaissance des PACS, l’abolition de la loi 40, la pleine reconnaissance du droit à l’autodétermination des femmes, notamment avec l’introduction de la pilule abortive Ru-486, sont pour nous des objectifs fondamentaux.

Salvatore CANNAVÒ*

* Directeur adjoint du quotidien Liberazione (PRC) et animateur de la revue ERRE (Resistenze, Ricerche, Rivoluzioni). Version intégrale italienne sur le site: www.erre.info.


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