Les contorsions de Chirac ny ont rien fait, le CPE ne passe toujours pas !
Les contorsions de Chirac ny ont rien fait, le CPE ne passe toujours pas !
Les ressorts comiques du théâtre de boulevard français reposent sur les relations plus ou moins saugrenues dun trio de base, comportant habituellement un personnage cocufié. Labiche y a excellé, Chirac sy est essayé. Avec un résultat nettement moins drôle. Il fallait sauver le soldat Villepin, imprudemment monté en première ligne à la recherche dune improbable stature dhomme providentiel, sans pour autant donner limpression de le désavouer publiquement, tout en confiant à Sarkozy et au groupe parlementaire de lUMP le soin de sortir de la crise. Sans, cependant, que ce passage de témoin ne puisse trop apparaître comme lintronisation du ministre de lIntérieur à la candidature présidentielle de 2007.
Pour juguler la crise qui requinque les syndicats et offre un espace inespéré à la gauche, alors que la crise sociale des banlieues couve encore Chirac na pas hésité à faire dans labracadabrantesque. Il a ainsi approuvé et promulgué une loi quil suspend dans le même mouvement, tout en demandant simultanément au parlement une nouvelle délibération sur le même objet. Du point de vue institutionnel, le résultat nest pas moins ébouriffant: le Premier ministre cède le dossier clé de son gouvernement à son numéro 2, le ministre dEtat Sarkozy, cependant que le Président de la République, inversant les rôles, fait office de fusible pour Dominique de Villepin. Quant à lAssemblée nationale, que le gouvernement avait contrait de voter le CPE en engageant sa responsabilité (le célèbre article 49-3 de la Constitution), il ne lui reste plus quà se contredire.
Ces contorsions ne doivent cependant pas tromper. La divergence dans le camp de la droite porte bien plus sur la méthode que sur le fond. La tentative de passage en force de Villepin, flamberge au vent, est jugée maladroite par les sarkozystes, qui lui préfèrent la négociation avec des syndicats estimés assez complaisants pour se satisfaire de quelques concessions ou trop faibles politiquement pour mobiliser durablement contre un dispositif légal formellement modifié. Les déclarations de différents responsables de la majorité, lieutenants de Sarkozy, sur la mort plus ou moins virtuelle du CPE (Devidjian, Méhaignerie) ne doivent sur ce point pas trop faire illusion.
Lobjectif reste en effet de réformer le droit du travail français en ouvrant la porte à un arbitraire patronal digne de lHelvétie. Président de lUMP, Sarkozy continue de revendiquer une «simplification du Code du travail», afin de permettre linstauration dun «contrat unique de travail à durée indéterminée dont les garanties se renforceraient au cours du temps». Ce qui, en bon français, signifie quelles seraient faibles voire inexistantes au début, et cela pour tout le monde. Voilà qui tombe bien, cest justement un discours semblable que tient la nouvelle patronne des patrons, Laurence Parisod. La présidente du MEDEF explique que «léquité» commande de faire peser «leffort de flexibilité» non seulement sur une «catégorie spécifique, les jeunes», mais sur tous les salariés.
On le voit, le bras de fer ne cessera pas au soir du 4 avril. La lutte engagée porte en effet sur une modification durable et fondamentale du rapport de forces entre salarié-e-s (futurs ou non) et patrons, entre ce que le siècle précédent aurait appelé le Travail et le Capital.
Avouons, non sans une certaine admiration, que dans ce mano a mano, jeunes et moins jeunes, étudiant-e-s, lycéens et lycéennes, syndicalistes et militant-e-s associatifs ont jusquà maintenant fait preuve dune impressionnante capacité de mobilisation. Après deux mois de lutte et cinq vagues de manifestations, des millions de protestataires réaffirment résolument leur refus de marchander une éventuelle embauche contre une surexploitation à outrance. Il ne sera pas simple ni facile de poursuivre cela dans la durée, mais leffacement de Villepin, le retrait sans le dire du CPE dans sa forme actuelle, sont déjà des signes encourageants. Lexpérience que fait ainsi une nouvelle génération de jeunes dont certains sont entrés en politique en avril 2002, lors des manifestations spontanées qui avaient suivi lannonce du score de Le Pen au premier tour de la présidentielle sera précieuse pour lavenir. Un avenir que ne peut dessiner le pointillé de la précarité généralisée, mais que seul un emploi digne pour tous et toutes peut assurer.
Daniel SÜRI