La photographie du sommet Amérique latine-Union européenne

La photographie du sommet Amérique latine-Union européenne

La photo officielle du sommet circule déjà dans les journaux du monde, les chefs d’Etats arborant le sourire exigé par le protocole. Cependant, au-delà de cette image de convenance, les distances qui séparent l’Amérique latine de l’Europe sont chaque jour plus évidentes.

Dans la division internationale du travail, les pays du Tiers Monde se sont vu assigner le rôle éternel de fournisseurs de matières premières, ce qui les a privés des technologies nécessaires pour se développer. Et lorsqu’on parle de coopération internationale, celle-ci n’est que palliative ou paternaliste, et quand on investit en infrastructure, c’est presque toujours en fonction des investissements des multinationales, notamment en Amérique latine.

Néocolonialisme triomphant

L’Amérique latine est toujours un enjeu de rivalités entre l’UE et les USA Objectifs: ses ressources stratégiques, sa biodiversité, ses réserves d’eau, ses richesses génétiques. En revanche, sa main d’œuvre bon marché paraît moins séduisante pour les Européens, compte tenu de leur extension vers l’Est. Le caractère spéculatif des investissements européens illustre bien la nature des relations entre le vieux continent et l’Amérique latine. Leur but: rapatrier leurs profits rapidement dans les maisons mères.

Les pays latino-américains qui ont privatisé leurs secteurs stratégiques et assoupli leurs législations pour attirer des capitaux étrangers ont vu à quel point les multinationales ne réinvestissent pas leurs profits sur place. Au contraire, ils doivent faire face à une double comptabilité afin d’éluder les impôts, comme cela a été montré par la société espagnole Repsol, qui a escroqué l’Etat bolivien depuis des années. Ces entreprises ont aussi bénéficié d’exceptions par rapport à la législation du travail: des garanties pour offrir des contrats temporaires, qui leur ont permis d’échapper aux conventions collectives de travail en toute impunité, ce qui leur a permis de disposer d’une main d’œuvre bon marché et non syndiquée.

Quel Etat souverain?

Ce scénario pourrait être quelque peu mis en cause par les derniers changements de gouvernement en Amérique latine. En accueillant la présidente chilienne, le chef du gouvernement espagnol avait qualifié le Chili de «pays sérieux pour l’investissement», faisant ainsi clairement allusion à la Bolivie, qui vient de nationaliser le gaz. Madame Bachelet a cependant répondu en demandant de la compréhension pour la Bolivie. Il faut relever que la nationalisation du gaz en Bolivie a bien été accueillie par des secteurs démocratiques, ceux-là mêmes qui ne comprennent pas le contraste entre la pauvreté structurelle bolivienne et les immenses profits que génère l’industrie du gaz aux mains du capital international.

Aujourd’hui, plus que jamais, la souveraineté et le rôle que doit jouer l’Etat sont des sujets débattus en Amérique latine, ce qui va certainement produire davantage de frictions avec l’UE et les USA, comme nous l’avons vu récemment avec le Venezuela. Parler de souveraineté devant les pouvoirs illimités des multinationales paraît aujourd’hui anachronique, de même que de parler d’Etat, à l’heure où ils sont invités à s’incliner devant les marchés.

L’impérialisme européen durcit le ton

Evo Morales a défendu la décision de nationaliser le gaz, la qualifiant de décision souveraine de l’Etat et du peuple bolivien. «Les indigènes latino-américains ont été condamnés à l’oubli et ont été presque exterminés. Ce que nous avons fait en Bolivie, a-t-il déclaré, c’est de sortir de l’oubli historique auquel nous avons été condamnés». Ces mots contrastaient avec ceux prononcés par Javier Solana, représentant de la politique étrangère de l’UE, qui a demandé de la «sécurité juridique» pour les investissements étrangers en Amérique latine, sans évoquer, bien entendu, des thèmes sensibles comme les dommages écologiques que certaines entreprises ont déjà causés.

Comme nous voyons, les sourires de la photo cachent mal l’opposition brutale des intérêts. Compte tenu de l’asymétrie des niveaux de développement de l’UE et de l’Amérique latine, il est bien évident qu’il s’agit de partenaires inégaux. Par-dessus le marché, l’UE entend conserver un certain protectionnisme dans des domaines sensibles – manufactures, produits agricoles et main-d’œuvre – en les occultant, d’un côté par des exigences de qualité difficiles à satisfaire pour l’Amérique latine, et de l’autre par des politiques migratoires ultra-restrictives qui blindent l’espace européen contre les citoyen-ne-s latino-américains.

La Bolivie: un enjeu qui fâche

L’UE et les USA se sont habitués à avoir des relations commerciales avec des pays latino-américains dirigés par des élites locales qui protègent de manière soumise leurs intérêts, au détriment des intérêts de leurs propres peuples. Ceci est confirmé par les tensions apparues au sein de la Communauté andine de nations, entre certains alliés inconditionnels des USA, tels la Colombie et le Pérou, qui sont en train de signer des traités de libre commerce avec les Etats-Unis, et d’autres qui s’y opposent, contradictions aggravées maintenant par l’exemple de souveraineté que donne le gouvernement bolivien à propos du gaz (le bras de fer est cependant loin d’être terminé), ainsi que par la politique multipolaire promue par Cuba et le Venezuela.

Pour ce qui est des conclusions du sommet, au moment où nous mettons sous presse, on peut d’ores et déjà s’attendre à une déclaration d’intentions prônant des alliances stratégiques et des accords bilatéraux, mais sans toucher aux sujets sensibles. n

Johnson BASTIDAS


Sujets sensibles pour l’Amérique latine

  • Aide pour le développement technologique.
  • Politique de migration solidaire.
  • Elimination des restrictions à l’exportation.
  • Respect de la souveraineté.
  • Réparation des dommages écologiques causés par les multinationales européennes.
  • Réinvestissement de la richesse produite sur place.
  • Investissements conditionnés par la création d’emplois productifs.

Sujets sensibles pour l’Union Européenne

  • Accès aux ressources naturelles et stratégiques (énergétiques) de l’Amérique latine.
  • Sécurité juridique des investissements.
  • Participation aux privatisations en Amérique latine.
  • Accroissement du pillage des cerveaux.
  • Restrictions accrues des migrations d’Amérique latine.
  • Contestation de l’influence des USA en Amérique latine.