Monde rural et alimentation: Via Campesina résiste

Monde rural et alimentation: Via Campesina résiste

Lors des mobilisations contre l’OMC de la mi-mai à Genève, voir solidaritéS no 87, organisées entre autre par Via Campesina, nous avons pu nous entretenir avec l’un de ses coordinateurs, Paul Nicholson.

Quel est le principal danger si le volet de l’accord, concernant l’agriculture, est signé?

C’est très simple, en ayant des objectifs de concurrence et de compétitivité, c’est l’agriculture des petits paysans-annes, tant au Sud qu’au Nord, qui va disparaître. Cela veut dire que des centaines de millions de personnes n’auront plus de quoi vivre. Les conséquences sont déjà dramatiques: famine, exode rural, suicide, émigration… Avec une marchandisation totale, c’est la dérégulation de tous les droits humains.

Via Campesina se bat sur le terrain de l’agriculture mais également sur celui d’autres secteurs, pourquoi?

Dans le round de négociations actuelles, l’agriculture, les services publics et les produits non agricoles sont concernés. Il y a une transversalité dans ces domaines. C’est un système global contre lequel il faut se battre. Ce n’est pas possible de lutter pour la souveraineté alimentaire, qui implique un contrôle démocratique et le respect des besoins de toute la population, et ne pas se mobiliser quand il s’agit de libéraliser les services publics à tour de bras, puisque c’est la population qui sera lésée. L’OMC ne peut pas être réformée, elle doit disparaître.

Quelle analyse fais-tu des actuelles négociations et de leur éventuelle issue?

C’est évidemment difficile de savoir comment ces négociations se passent, mais ce qui est sûr c’est qu’il y a des dissensions entre les pays. L’Union Européenne est historiquement très libérale, mais elle pense ne pas gagner autant dans les services que ce qu’elle va perdre sur l’agriculture. De plus, les crises en Italie et en France fragilisent les gouvernements pour aller plus loin dans la négociation. C’est dur d’envisager que ça puisse être encore plus flexible que ça ne l’est déjà avec la PAC (réforme déplaçant l’aide à la production, à une aide découplée de la production). Le premier ministre indien a annoncé qu’il valait mieux ne pas signer d’accord, plutôt que d’en signer un mauvais. Les Etats-Unis poursuivent leur politique d’accords bilatéraux. Le Brésil serait le plus à même de signer l’accord, actuellement. Ces différents éléments rendent l’OMC plus fragile, il se murmure que si l’accord devait être signé, il le serait lors de la finale de la coupe du monde de football, pour ne pas susciter de mobilisation et ne pas faire les gros titres dans la presse.

Et l’économie dans tout cela?

Au-delà de l’aspect politique, il faut savoir que c’est le lobby agro-alimentaire exportateur – extrêmement puissant – qui est le véritable moteur. Par l’intermédiaire des multinationales, c’est l’alimentation qui est au cœur du marché, mais également les semences, l’eau, la terre et la biodiversité.

Et qu’apporte la présence de présidents de gauche dans plusieurs pays d’Amérique latine?

Cela donne de l’espace aux mouvements sociaux, car il y a l’apparition d’un contexte alternatif au paradigme néolibéral. Il n’y a qu’à voir les nationalisations que Morales a entreprises en Bolivie. La mobilisation sociale augmente, les alliances et réseaux sont mieux articulés.

En Europe est-ce que les questions de l’agriculture, de l’alimentation et du monde rural sont suffisamment prises en compte par les mouvements sociaux?

Pas assez et il faut que ces thèmes deviennent prioritaires. Dans l’Union Européenne, une exploitation agricole disparaît chaque minute, il y a donc urgence. Une explication est que l’Europe compte 4% d’agriculteurs-trices alors que cette proportion est de 70%, dans les pays du sud. C’est important de traiter la question de l’agriculture pour faire le lien avec l’immigration. En effet, la majorité des migrant-e-s qui viennent en Europe sont des exclu-e-s de la terre. Au niveau des citoyen-ne-s, il y a plus de consommation de produits locaux et sains, ce n’est pas forcément fait consciemment, mais ça s’oppose à des produits sans traçabilité, à une alimentation globalisée. Il faut développer cette agriculture de proximité qui permet à la population de savoir ce qu’elle achète et aux petits producteurs-trices de gagner leur vie correctement. Du côté des paysans-nes, on observe une augmentation de la résistance – partout – contre les privatisations, les méga projets.

Quelles sont les prochaines échéances de Via Campesina et la stratégie?

Ces prochains temps, Via Campesina va continuer à se mobiliser contre les négociations de l’OMC et contre des accords régionaux bilatéraux.

Lors des prochaines discussions à l’OMC, au mois de juillet, il y aura une parade navale, ici à Genève, de pêcheurs du sud-est asiatique membres de Via Campesina. A la même période, le mouvement organisera des mobilisations partout où il est présent.

Nous allons aussi renforcer le processus de lutte contre les accords régionaux, notamment l’accord Euromed. Ce texte, débattu depuis le début de l’année, vise à tisser des liens plus étroits entre l’Egypte, la Turquie, le Maroc et l’Union Européenne, en ouvrant les frontières pour l’import et l’export. Ca va tuer les économies locales, alimentaires et industrielles. La souveraineté alimentaire et politique est mise en jeu.

En février 2007, nous participerons très activement au forum sur la souveraineté alimentaire qui se tiendra au Mali. Nous travaillerons avec trois objectifs sur lesquels avancer. Un plan d’action concret pour la souveraineté alimentaire, il y aura des débats avec des chefs d’état du sud. Le deuxième est de renforcer le concept citoyen de la souveraineté alimentaire et que le mouvement social prenne cela comme revendication principale. Finalement, il y a une urgence à ce que la société civile africaine augmente les mobilisations autour de la souveraineté alimentaire.

Propos recueillis par Marie-Eve TEJEDOR