Le Tribunal fédéral donne raison à Rhino

Le Tribunal fédéral donne raison à Rhino

Dans la lutte qui oppose les habitant-e-s de Rhino aux propriétaires des immeubles occupés, nous avons assisté à un nouveau revers pour ces derniers. Après l’aboutissement d’une initiative populaire, l’été dernier, visant à soumettre au vote le projet locatif et culturel de Rhino, ainsi que la décision du Tribunal administratif annulant l’ordre d’évacuation des habitant-e-s, le Tribunal fédéral vient de leur donner une nouvelle fois raison. Pour éclaircir cette situation complexe, nous avons rencontré Maurice Pier, porte-parole de l’association Rhino.

Quelle est la situation actuelle de Rhino?

Pour commencer, je vais faire un petit récapitulatif des derniers épisodes. Au début octobre 2005, nous avions reçu un ordre d’évacuation de la police pour le 22 novembre. Il s’agissait d’une décision du procureur général Zappelli, prise en l’absence de jugement civil d’évacuation. Dans un premier temps il avait refusé de commenter cet ordre, puis il avait déclaré se fonder sur le droit pénal pour justifier cette action. Un avocat est alors constitué pour un habitant et demande la raison de cet ordre d’évacuation. Les réponses n’étant pas acceptables, les habitant-e-s contestent la validité de cette décision et, dans le cadre du droit public, interjettent un recours directement auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier constate que le recours de droit public est fondé, mais il le renvoie au Tribunal administratif genevois, qui doit trancher en 1ère instance. Le Tribunal administratif suspend l’ordre d’évacuation, jusqu’à ce qu’il ait statué. Cette instance donne finalement raison à Rhino sur le fond. En réaction, les propriétaires des immeubles demandent à être partie à la procédure au Tribunal administratif et font recours auprès du Tribunal fédéral contre cette décision. Ils ont perdu ce recours fin juin. Les considérants ne seront connus qu’au début de l’automne. Nous savons que nous avons gagné, mais nous ignorons encore les détails du jugement.

Qu’apporte à Rhino le rejet du recours des propriétaires?

Ce qui semble acquis, c’est que Rhino ne peut plus être évacué sur seul ordre du procureur, puisqu’il n’a pas qualité pour ordonner ce genre d’évacuation sans jugement préalable. Le statut des habitant-e-s devient plus proche de celui de locataires ordinaires. L’issue de cette situation est largement due à la passivité des propriétaires, qui n’ont jamais demandé formellement et directement aux habitant-e-s de quitter les lieux. Pour eux, la justice devait défendre activement leur droit à la propriété – et à la spéculation – en évacuant les habitant-e-s. Désormais, l’avenir des habitant-e-s de Rhino dépend des manœuvres juridiques des propriétaires. Mais on peut imaginer que nous pourrons sans doute rester un certain temps dans ces immeubles.

Parallèlement à tout cela, il y a des attaques sur la validité de l’initiative populaire?

Rappelons que cette initiative vise à donner à la population genevoise le dernier mot quant à l’avenir de ces immeubles et du projet associatif et culturel de Rhino. C’est la défense d’un acquis démocratique. Or, le Grand Consil a invalidé notre initiative. Nous avons donc entrepris un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.

Vous devez aussi vous battre contre une dissolution de l’association décidée par un Tribunal. Où en êtes-vous?

Il y a aussi une procédure de recours contre cette dissolution de l’association Rhino, décidée par le Tribunal de 1ère instance. Cette dissolution est motivée par les buts défendus par Rhino, qui seraient soi-disant illicites. Si la Cour de justice confirme le jugement du Tribunal de 1ère instance, l’association sera dissoute, tous les fonds saisis, un liquidateur nommé par le Tribunal et l’association perdrait sa qualité de personne morale, ce qui rendrait impossible toute action en justice et la récolte de fonds. Au niveau politique, ce serait un précédent juridique pour toutes les autres associations, notamment celles à but caritatif, humanitaire, politique ou défendant les droits humains. Elles pourraient alors être attaquées de la même manière. La lutte contre des injustices deviendrait alors illégale. Toute contestation, même pacifique, de l’ordre établi deviendrait répréhensible, toutes les voix discordantes seraient donc muselées. Ces groupes de personnes pourraient alors être assimilées à des malfaiteurs. Toutes les associations doivent être vigilantes quant à ce jugement, issu d’une logique qui pourrait les toucher. La liberté d’association serait alors très restreinte, il y a un combat à mener pour que ce droit démocratique subsiste.

Vous avez également entrepris une action en justice auprès du Tribunal de baux et loyers?

Oui, des habitant-e-s de Rhino essaient de faire valoir l’existence d’un bail tacite entre elles-eux et les propriétaires. En effet, les immeubles sont occupés depuis 18 ans et entretenus entièrement par les habitant-e-s depuis le début de l’occupation. Il y a notamment eu 2 incendies – dont un criminel – et toute la restauration a été à la charge de l’association. Pour les 18 ans de présence, on chiffre ainsi à 2,5 millions de francs l’apport en nature à ces lieux et aux propriétaires, apport effectué sous forme de rénovation, régie et entretien. Les propriétaires ne se sont jamais opposés ni à la présence des habitant-e-s, ni à l’entretien des bâtiments, il s’agit donc d’un bail tacite, de notre point de vue.

Quel est le programme de l’association pour l’année prochaine?

Nous allons poursuivre nos activités habituelles. La programmation culturelle du Bistr’ok et de la Cave 12 va reprendre de plus belle dès la rentrée. Nous tenterons aussi des pourparlers avec les propriétaires pour sortir de cette guerre juridique. Enfin, nous continuerons à nous mobiliser pour que notre projet de logements associatifs et bon marché, intégrant des logements étudiants et des lieux culturels, perdure et s’amplifie.

Entretien réalisé par Marie-Eve TEJEDOR