À qui profitent la division, la répression et la précarisation?

À qui profitent la division, la répression et la précarisation?

Au cœur de la politique fédérale des migrations et des deux lois que nous rejetterons, il y a la référence aux intérêts économiques du pays. Une notion que le Conseil fédéral, dans son message sur la Loi sur les étrangers, qualifie lui-même «d’assez vague d’un point de vue légal» et «qui ne peut être interprétée de façon identique. En effet, elle dépend en particulier de la situation effective du marché du travail. Il incombe aux autorités du marché du travail – et dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation – d’examiner concrètement chaque cas au vu des conditions économiques et de la situation donnée sur le marché de l’emploi».

Autrement dit, fort respectueux de l’évangile selon Saint-Dividende, le Conseil fédéral veut pouvoir utiliser l’immigration sur deux plans, à la fois comme amortisseur conjoncturel et comme élément structurel, constitutif, de la population laborieuse. Il s’agit «d’assurer une évolution régulière du taux de l’emploi et d’améliorer la structure de notre marché du travail». Perce alors le regret d’avoir dû abandonner le statut de saisonnier, avec sa souplesse légendaire, et plus encore, de n’avoir pas pu tenir les immigré-e-s à l’écart de l’assurance-chômage: «Les dispositions légales devraient surtout éviter que l’entrée en Suisse des nouveaux étrangers en provenance des Etats tiers ne se traduise par une nouvelle vague d’immigration de main-d’œuvre peu qualifiée, présentant des problèmes accrus d’intégration». Et pour ceux et celles qui n’auraient pas senti les effluves nostalgiques du bon vieux temps où l’on pouvait renvoyer les immigré-e-s à la première difficulté économique, le message ajoute dans une note de bas de page: «La politique d’admission généreuse de personnel auxiliaire et de saisonniers adoptée au cours de ces trente dernières années, s’est traduite par un accroissement du nombre d’étrangers peu qualifiés. Ce phénomène a augmenté le chômage des étrangers-ères, entravé les transformations structurelles indispensables dans l’économie et ralenti la productivité». Quels ingrats, ces étrangers! De vrais comploteurs contre les «intérêts économiques du pays»! Ils/Elles sont au chômage, ils/elles entravent les transformations indispensables et ralentissent la productivité! A se demander pourquoi on les a fait venir…

Et surtout qui les a fait venir. Car dans le conte à dormir debout que nous narre le Conseil fédéral lorsqu’il revisite l’histoire de l’immigration dans notre pays, plein de choses arrivent sans que l’on sache trop comment. Qui donc a décidé de la politique d’admission rétrospectivement trop «généreuse»? Qui donc a envoyé des recruteurs jusqu’au fin fond des Pouilles et de la Galice? Mystère et boule de gomme. Ne seraient-ce pas justement les «intérêts économiques du pays» et leurs serviteurs et interprètes au gouvernement? On n’en saura pas plus. Visiblement, le capitalisme néolibéral a besoin de conserver sa part de mystère.

En revanche, ce qui n’a rien de mystérieux, c’est la rigueur avec laquelle s’appliquera la nouvelle politique fédérale. Et c’est en fonction des effets supposés de cette rigueur que la loi sur l’asile a été revisitée. Non pas comme les Tartuffe gouvernementaux le prétendent, pour sauvegarder les traditions humanitaires de la Suisse – parlons-en! –, mais bien parce que la politique d’admission restrictive en matière d’immigration «pourrait amener les immigrants ne disposant pas des qualifications suffisantes à éviter cet écueil par le biais d’une demande d’asile». La politique d’asile devient ainsi un volet de la politique du marché du travail, son durcissement découle aussi de ce principe.

Oh, bien sûr, nos gouvernants expliqueront en long et en large combien ils sont prêts à lutter contre… «la disposition» (!) des étrangers nouvellement admis à «accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail». La lutte contre les abus sera donc essentiellement une lutte contre les immigré-e-s. On s’en convaincra facilement en lisant le petit dépliant officiel du Conseil fédéral pour ces votations. Au chapitre «prévenir les abus», il est fait mention des activités des passeurs, du travail au noir et des mariages fictifs. Une fois encore, les employeurs ont, comme par magie, disparu de ce tableau. Du reste, leur porte-parole, l’Union patronale suisse, a déjà prévenu. En matière de sanctions contre les patrons, «il convient de se garder de toute inflation excessive dans ce domaine car la tendance permanente au durcissement des sanctions à l’égard des entreprises non conformes à la loi ne va pas sans poser problèmes.» (communiqué du 13.2.2002). Par ailleurs, qui pourrait croire un seul instant que le Conseil fédéral va s’engager pour le bien-être des travailleurs et des travailleuses de ce pays? Ni le Parti radical, ni le Parti démocrate-chrétien ne remettent en cause le primat absolu des intérêts de l’économie, donc du patronat. Personne ne s’attendait d’ailleurs à ce qu’ils le fassent. Quant à l’UDC, elle réclame à cor et à cris plus de flexibilité, moins d’impôts et de contrôle pour les entreprises et milite pour la suppression des salaires minimums. Et le Parti socialiste ne s’est rangé que peu à peu dans le camp des opposants, prétextant une aggravation de la loi pour la refuser enfin. Sans que cela entraîne de sa part un rejet de principe de la situation actuelle, qui n’est déjà, pour l’essentiel, que le régime de la LEtr sans la LEtr.

Segmenter, diviser, précariser, jouer les salarié-e-s les uns contre les autres, voilà les mots d’ordre gouvernementaux. Nous leur répondrons deux fois clairement NON. Mêmes droits, mêmes conditions de travail pour tous ceux et toutes celles qui travaillent dans ce pays!

Rédaction