La Suisse tourne le dos à la régularisation des sans-papiers

La Suisse tourne le dos à la régularisation des sans-papiers

En excluant les ressortissant-e-s des Etats des quatre cinquièmes du monde de toute possibilité d’obtenir un titre de séjour, la Loi sur les étrangers (LEtr) les place dans l’illégalité et les transforme en «délinquant-e-s». En effet, par définition, leur séjour sur territoire helvétique est contraire à la loi. La LEtr fabrique ainsi des sans-papiers dans la mesure où des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, l’économie domestique, l’agriculture, la construction, ont besoin d’une main-d’œuvre non qualifiée, venant immanquablement au-delà des frontières de l’Union européenne.

Selon plusieurs études, un nombre très important de femmes et d’hommes sans-papiers vivent en Suisse dans des conditions extrêmement précaires, avec en permanence la peur de se faire dénoncer, de tomber sur un contrôle policier, puis d’être renvoyés. Pour le Forum Suisse pour l’étude des migrations1, ils sont entre 70 et 180 000; pour l’Office fédéral des migrations2 90 000 et, selon une étude lausannoise3, 15 à 20 000 dans le canton de Vaud, dont 5 000 pour la ville de Lausanne. Les sans-papiers sont soumis à l’arbitraire – voire parfois à la violence – des autorités policières et livrés à une exploitation éhontée de certains employeurs sans scrupule. La circulaire Metzler ouvrait, depuis décembre 2001 et de manière limitée, la porte à une possibilité de régularisation individuelle pour les sans-papiers. Elle s’est révélée une impasse totale. S’appuyant sur une jurisprudence très restrictive du Tribunal fédéral, le Département fédéral de justice et police (DFJP), dirigé par Christoph Blocher, en est arrivé d’abord à relativiser très fortement la durée du séjour des sans-papiers en Suisse en tant que critère important pour la reconnaissance d’un cas de rigueur et l’obtention d’un permis humanitaire: «Le fait que l’étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’il s’y soit bien intégré socialement et professionnellement et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité.» Dix à douze ans de séjour, dont le sans-papiers apporte la preuve, ne suffisent pas! En outre, le DFJP, se fondant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral, développe une argumentation particulièrement tordue, qualifiant les sans-papiers de complices d’un marché du travail illégal! «Le marché illégal du travail existe et subsiste uniquement parce qu’il permet la rencontre d’une certaine offre et d’une certaine demande, souvent du reste au détriment de la rationalisation souhaitée de certains secteurs économiques. Or l’attitude que les recourants ont adoptée pour pouvoir travailler en Suisse contribue à ce marché condamnable.» Le taux de rejet des demandes individuelles est très élevé: le jeu n’en vaut pas la chandelle pour les sans-papiers qui, en déposant une demande auprès de l’autorité cantonale, s’autodénoncent, avec le risque très important de se voir menacer de renvoi à l’issue de la procédure. Selon les statistiques de l’Office fédéral des migrations, de 2002 à août 2005, les cantons ont présenté 1’125 demandes de permis fondées sur la circulaire Metzler pour des sans-papiers (hors du domaine de l’asile), dont 421 pour le canton de Vaud et 540 pour Genève. Au total 695 ont été acceptées, dont 405 pour Genève et 157 pour Vaud. Un chiffre dérisoire au regard du nombre total des sans-papiers, et qui illustre l’absurdité du refus de tout processus de régularisation collective.

Alors que l’Espagne a mené, ces dix dernières années, cinq processus de régularisation collective, dont la dernière a concerné 500 000 personnes régularisées, que l’Italie s’apprête à régulariser près de 517 000 travailleurs clandestins et que même l’Allemagne envisage une régularisation de quelque 150 000 à 200 000 d’entre elles/eux, la LEtr comme la LAsi vont pousser davantage encore des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs vers la clandestinité.

Jean-Michel DOLIVO

 

  1. Wanner, P., Compter les clandestins. Méthodes d’estimation de la population sans autorisation de séjour à partir des données sur la population. Forum Suisse pour l’étude des migrations, Discussion paper, 13/2002, Neuchâtel, 26 avril 2002.
  2. Sans-papiers en Suisse: c’est le marché de l’emploi qui est déterminant, non pas la politique d’asile. Rapport final sur mandat de l’Office fédéral des migrations, Gfs.bern., avril 2005.
  3. Valli, M., Les Migrants sans permis de séjour à Lausanne. Rapport rédigé à la demande de la Municipalité de Lausanne, mars 2003.

Aggravation de la sanction pour le délit d’hospitalité et de solidarité !

La loi actuelle (LSEE) comme la LEtr, criminalise celui ou celle qui «facilite un séjour illégal». Commet une telle infraction celui dont le comportement rend plus difficile le prononcé ou l’exécution d’une décision à l’encontre d’un étranger-ére en situation irrégulière ou restreint pour les autorités les possibilités de l’arrêter. Cette disposition a été invoquée, ces dernières années, pour poursuivre pénalement des personnes ayant apporté leur aide à des sans-papiers dans le cadre des mouvements de solidarité. La LEtr aggrave les sanctions possibles: l’auteur du délit, s’il agit dans le cadre d’un groupe ou d’une association de personnes formé dans le but de commettre de tels actes de manière suivie, par exemple un groupe de soutien à des sans-papiers, encourra une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de réclusion et Fr. 500 000 d’amende! (jmd)