Fraudes à Attac-France: les raisons d'une crise

Fraudes à Attac-France: les raisons d’une crise

Au début de
l’été, Attac-France était confrontée
à une crise sans précédent. En effet, des
expertises indépendantes ont confirmé, que les
élections du 17 juin de son Conseil d’Administration
avaient bien fait l’objet de fraudes. Pour Thomas Coutrot, membre
du Conseil scientifique d’Attac, dont nous publions quelques
éléments d’analyse ci-dessous, «tout
s’est passé comme si plusieurs centaines de bulletins
avaient été remplacés les mercredi 14 et jeudi 15
juin par des ‘bulletins OGM’ de façon à
renverser la majorité d’élu-e-s actifs qui se
dessinait clairement en faveur des candidat-e-s soutenus par Susan
George».

(…) Le projet constitutif d’Attac a toujours
été une véritable gageure: comment faire
travailler ensemble dans la durée, des militant-e-s issus de
courants aussi divers, de la gauche républicaine aux
écologistes radicaux, en passant par des tiers-mondistes, des
marxistes, des sociaux-démocrates keynésiens, etc, et
aussi des jeunes arrivant à la politique par les mobilisations
alter? (…) Le pari, qui a vite prouvé sa
fécondité, était qu’on pouvait
s’accorder sur la critique du néolibéralisme et les
fondements d’un ‘autre monde possible’ pour organiser
la résistance et la contre-offensive. (…)

De fait, le succès politique et populaire d’Attac –
en France et à l’international – a rendu sa
situation à la fois plus excitante et plus dangereuse.
Excitante, car les responsabilités d’Attac sont devenues
lourdes, face à l’approfondissement de l’offensive
néolibérale, des tensions guerrières et
sécuritaires, et à l’échec de la gauche
sociale-libérale en 2002. Dangereuse, du fait du capital
médiatique et politique qu’a rapidement
représenté Attac. D’une sympathique association
anti-mondialisation, Attac est devenue un acteur écouté
et courtisé de la vie politique française. (…)

Attac, outil au service de projets politiques ?

Le premier nœud de la situation est l’existence d’un
projet politique, jamais explicité, porté par le noyau
directionnel. Cimenté par une culture
«national-républicaine» (de type
chevènementiste), par une certaine conception de la
laïcité, par un goût certain pour
l’autorité, spontanément peu sensible aux
thématiques féministes (sauf quand elles permettent de
dénoncer l’intégrisme) ou écologique,
l’équipe Cassen-Nikonoff voit d’abord dans
l’association un outil pour peser sur la recomposition du champ
politique à gauche, ou en tout cas pour se poser personnellement
comme un recours indispensable dans une telle tâche. (…)
Pour autant ce projet politique n’est pas exempt de confusions,
voire de contradictions: «100% alter», qui a tenté
sans succès de présenter des listes aux élections
européennes de 2003 (…) préconisait par exemple
(lors du débat sur le référendum constitutionnel)
de former un «noyau dur» à quelques Etats (France,
Allemagne, Italie, Belgique…) pour débloquer la construction
européenne, coupant ainsi a priori en deux le mouvement social
européen, alors même que le Forum Social Européen
n’a pas encore vraiment réussi à s’emparer de
ce débat.

Plus fondamentalement, il est acrobatique de concilier une vision assez
classiquement souverainiste (prônant par exemple le
protectionnisme à l’égard des importations
provenant des pays à bas salaires) avec
l’internationalisme souvent radical qui prédomine dans le
mouvement alter. (…) L’indifférence voire le
mépris pour les «réseaux», les
«mouvements sociaux» et la nébuleuse des
«sans» (…) mettent le noyau directionnel
d’Attac en décalage permanent avec la plupart des acteurs
du mouvement alter. (…)

Attac, refuge identitaire et source de capital politique

Faute d’expliciter son projet politique, le noyau directionnel
d’Attac met systématiquement en avant la
nécessité d’une «identité forte»
pour Attac et joue le «patriotisme d’organisation»
contre des membres fondateurs supposés jaloux du succès
de l’association. (…)

[Cette] manœuvre révèle la stratégie de
constitution de capital politique adoptée par le noyau
directionnel. Par contraste avec les membres fondateurs, qui tiennent
leur légitimité dans le débat public de leurs
engagements militants extérieurs ou de leur
notoriété personnelle antérieure, les membres du
noyau directionnel doivent entièrement à Attac
l’audience dont ils disposent dans le champ politique et social:
Attac est leur seule source de capital politique. (…)

Ce n’est qu’ainsi qu’on peut expliquer le
caractère aventureux de l’affaire des «bulletins
OGM». (…) Ceci impose de rompre avec cette conception du
président omniscient et omnipotent (qui a d’ailleurs
permis au noyau directionnel de diriger Attac, alors même
qu’il n’était pas majoritaire au CA), pour instaurer
un mode de direction collégial et modeste.

La fracture éthique

(…) On ne peut pas penser le trucage d’une élection
dans Attac comme un événement anecdotique ou fortuit, ni
comme le fruit de responsabilités partagées. Le trucage
provient d’un seul des deux camps en présence (même
si la négligence de l’autre a pu faciliter les choses), et
cette répartition des rôles n’est pas le fruit du
hasard. L’impensable s’est produit, et oblige chacun
d’entre nous à une réévaluation et à
un réajustement radical de son investissement dans Attac. La
rupture de confiance est irréversible.

En ce qui me concerne, et je ne suis certainement pas le seul, je ne
pourrais plus militer dans une association qui maintiendrait dans son
équipe de direction les auteurs et/ou inspirateurs du coup du 17
juin 2006. Car la crise d’Attac ne se situe plus principalement
dans le registre des divergences politiques, elle est devenue une
véritable incompatibilité éthique.
 
J’espère que nous pourrons ensemble refonder Attac autour
de son projet initial de mouvement d’éducation populaire
tourné vers l’action, pluraliste et ouvert, immergé
au cœur du mouvement altermondialiste, sa vocation à
mobiliser les citoyen-nes et éclairer les voies d’un autre
monde possible, sans esprit de boutique ni logiques d’appareil.
Je crois dans les mois qui viennent à un sursaut collectif qui
permettra de rompre avec ces pratiques d’un autre âge et de
redonner un avenir à Attac.

Thomas COUTROT*


*La version complète de cette prise de position est disponible à l’adresse suivante: www.campus.attac.org/article.php3?id_article=240.
On trouve aussi sur le net une synthèse des rapports d’expert concernant cette élection: http://france.attac.org/article.php3?id_article=65620