Lois sur limmigration et lasile: causes et effets
Lois sur limmigration et lasile: causes et effets
Nous publions ici de larges extraits
dun article de Claude Calame, que nos lecteurs-trices trouveront
dans sa version intégrale sur notre site.
Les Helvètes viennent daccepter la nouvelle mouture de la
Loi sur les étrangers et la sixième réforme de la
Loi sur lasile. On le sait moins: en France le nouveau Code de
lEntrée et Séjour des Etrangers et du Droit
dAsile a été adopté au seuil de
lété par lAssemblée nationale, puis
par le Sénat en dépit de manifestations importantes.
[
]
Une rapide comparaison entre les deux textes de loi met à jour
des convergences qui ne sont pas pure coïncidence. Institution en
France, par exemple, dun titre de séjour de trois ans
destiné à valoriser «capacités et
talents» tandis que la loi suisse prévoit une autorisation
de courte durée réservée aux seuls «cadres,
spécialistes ou autres travailleurs qualifiés». Le
principe sous-jacent est clair: au-delà des règles
assurées par la libre circulation des personnes au sein de la
communauté européenne, il sagit dasservir
très strictement lentrée et le séjour
détrangers aux seuls besoins de léconomie.
La nouvelle carte de séjour de trois ans sera
délivrée «à létranger
susceptible de participer […] de façon significative et
durable au développement de léconomie
française ou au rayonnent de la France dans le monde ou au
développement du pays dont il a nationalité», quant
à la LEtr helvète elle stipule que
«ladmission détrangers en vue de
lexercice dune activité lucrative doit servir les
intérêts de léconomie suisse».
Sarkozy-Blocher même combat!
Cette perspective unique a pour conséquences des dispositions
discriminatoires et des mesures sécuritaires enfreignent les
principes des grandes conventions internationales sur les droits de
lhomme, sur les réfugiés ou sur les droits des
enfants. Si le CEDESA augmente jusquà dix mois le
délai dans lequel il est loisible à un immigré de
demander le regroupement familial, la loi helvète sur les
étrangers abaisse à 12 ans lâge des enfants
autorisés à résider dans le pays au nom du
regroupement familial. Du côté de la loi française
sur limmigration, on prévoit lexclusion des
centres daccueil des demandeurs dasile sans papiers (ou
déboutés) alors que les ressortissants dune
série de pays déclarés sûrs seront
écartés de laide sociale; du côté de
la loi suisse sur lasile, les requérants
déboutés rejoindront désormais les demandeurs
frappés de «non-entrée en matière»
pour être privés daide sociale; sil
nest pas possible de les renvoyer, ils ne
bénéficieront que dune aide durgence (dont
le montant se situe bien en dessous du minimum vital). Alors que le
CEDESA ne modifie pas la détention administrative de trente
jours en vue dun renvoi, la nouvelle loi suisse étend
jusquà vingt-quatre mois ce même type
demprisonnement préventif.
Quant aux sans-papiers, si la Lex Sarkozy biffe la
régularisation automatique après un séjour
clandestin de dix ans, les lois Blocher suppriment la transformation,
également après dix ans, dune autorisation de
séjour en permis détablissement. Cest dire
que, de part et dautre, les lois convergent pour condamner les
immigrés de pays hors Union européenne à la
clandestinité, à lillégalité,
à la précarité. Mais pas forcément au
chômage. En effet, dans un pays comme dans lautre, les
sans-papiers fournissent à plusieurs secteurs de
léconomie, notamment dans lhôtellerie ou la
construction, une main duvre dont les conditions de
travail sont dautant plus déplorables quelle ne
bénéficie daucune protection, ni sociale, ni
syndicale. Bien loin dêtre du côté des
immigrés et des requérants dasile, les abus sont
commis en premier lieu par les employeurs, résidents et
nationaux.
Prendre le mal à la racine
Mais pourquoi lexil? pourquoi les migrations? pourquoi la
nécessité de légiférer à ce propos?
Les causes en sont à lévidence multiples; comme
dans tout système complexe, elles sont souvent
imbriquées. Il y a dabord les situations de guerre et de
répression policière. [
] Mais au-delà des
faits de répression et de guerre, il faut compter avec les
énormes déséquilibres sociaux et
économiques provoqués, sur fond de
néo-impérialisme, par le nouvel «ordre»
mondial tant il est vrai que les flux migratoires sont nettement
orientés des pays les plus dépourvus vers ceux qui
bénéficient de limage de pays
«développés»: ce sont ceux-là
mêmes qui dominent léconomie mondiale (USA, Canada,
communauté européenne, avec lexception frappante
du Japon). Jusquà très récemment, les
mêmes disparités économiques criantes ont
orienté les déplacements migratoires de lEurope
méditerranéenne vers lEurope industrialisée
du Nord. Ce nest donc pas à coups de mesures
sélectives et répressives que lon
sattaquera aux raisons profondes
dinégalités dont les statistiques montrent
quelles ne font que se creuser, en comparaison internationale de
même quà lintérieur des Etats,
quils soient riches ou pauvres. [
] Sil faut agir,
cest sur les causes, et non pas sur les effets.
Rétablir les termes dun commerce équitable, donner
la priorité à la sécurité alimentaire,
soustraire lextraction des matières premières aux
pseudo-lois du marché, libérer la production industrielle
de la seule règle capitaliste du profit, renforcer les services
publics assurant formation et santé, assurer lautonomie
financière des médias dans la perspective dun
développement autonome des cultures, garantir la diffusion des
savoirs et des inventions technologiques à lécart
de tout système de brevets protecteurs, telles seraient les
tâches dun organisme du commerce international aux
réels pouvoir politiques, un organisme susceptible de valoriser
les ressources matérielles et intellectuelles propres à
chaque pays à travers des échanges
équilibrés et en évitant toute exploitation
destructrice de lenvironnement humain et naturel. [
]
Prof. hon. UNIL
Directeur détudes, EHESS, Paris