Prix Nobel de la paix... Microcrédit, maxibusiness ?
Prix Nobel de la paix… Microcrédit, maxibusiness ?
Lattribution, cet automne, du
prix Nobel de la paix au fondateur de la Grameen Bank, Mohamed Yunus,
fait suite à lAnnée internationale du
microcrédit décrétée en 2005 par
lONU. Paré de toutes les vertus, ce système de
prêts à montant réduit et taux élevé,
dirigé vers la couche «moyenne» des populations
pauvres et sadressant prioritairement aux femmes serait
«la» solution, libérale et miraculeuse, au
sous-développement. Moins lyrique, donc plus réaliste,
lhebdomadaire allemand Der Spiegel (14.10.6) expliquait
franchement quil sagissait dabord dune
maximisation des profits en zone de pauvreté.
La reconnaissance et la promotion officielles du microcrédit ont
été luvre de la Banque Mondiale. Son
président actuel, Paul Wolfowitz, ancien adjoint de Donald
Rumsfeld et créateur darmes de destruction massive
virtuelles, est un chaud partisan de cette activité. Il se situe
dans la continuité de son prédécesseur, James
Wolfensohn, et de sa croisade morale contre la pauvreté. Pour la
Banque Mondiale, mettre un terme à «lexclusion
sociale» (terme préféré à
pauvreté dans le politiquement correct de linstitution)
passe par la capacité de lêtre humain à
payer des factures et à accéder à un compte
bancaire. Devenir citoyen ou citoyenne, cest rentrer dans les
circuits marchands et financiers.
Le microcrédit donne ainsi la possibilité de tenir un
discours «développementiste» de lutte contre la
pauvreté, tout en mettant en avant les qualités que la
vulgate néolibérale reconnaît comme valeurs
essentielles: esprit dentreprise, initiative individuelle,
responsabilité personnelle, etc.
De plus, le public cible, à savoir les femmes, jugées
moins dépensières et plus attachées au
remboursement de leurs dettes, permet dévoquer leur
«empowerment», terme équivoque issu de la
Conférence de Pékin (1995) de lONU sur «La
Femme». Désignant tout processus dans lequel du pouvoir
peut être pris, reçu ou gagné; il donne une
coloration démancipation des femmes au microcrédit.
Une dette libératrice?
Répondant au magazine Counterpunch, le journaliste indien
Palagummi Sainath, spécialiste de lInde rurale, estime,
que le microcrédit peut, certes, être une aide dans
certains cas, mais quil na rien dune arme
fondamentale contre la pauvreté. Le fait de contracter une dette
na jamais libéré personne. Par ailleurs les taux
dintérêts sont de vrais «taux de
classe»: les femmes qui contractent des prêts en Inde
«paient entre 24 et 36% sur des prêts destinés
à des dépenses productives, alors quune personne
de la classe la plus élevée peut financer lachat
dune Mercedes à un taux de 6 à 8% grâce au
système bancaire». Et les prêteurs de
microcrédits se comportent comme de vulgaires usuriers:
«Lors des récentes inondations dans lAndhra Pradesh
(
) les premiers à revenir après
linondation étaient ceux qui avaient alloué des
microcrédits, qui menaçaient les femmes, exigeant
delles des versements mensuels alors quelles avaient tout
perdu».(www.alencontre.org)
Quant à leffet de levier supposé de cet
instrument, il suffit de constater que les deux pays dans lesquels les
programmes de microcrédits ont le mieux fonctionné, la
Bolivie et le Bangladesh, sont conjointement restés parmi les
pays les plus pauvres du monde.
De par sa définition même, en effet, le microcrédit
ne peut sattaquer au problème fondamental de la
pauvreté rurale dans de nombreux pays: la question de
laccès à la terre.
Orienter la production vers lexportation
Après avoir rappelé que le banquier Mohammed Yunus
sétait fait attribuer des hectares et des hectares
détangs au Bangladesh pour y produire des crevettes,
Hedwige Peemans-Poullet, critique féministe de la
première heure du microcrédit et ancienne
présidente de lUniversité des Femmes de Bruxelles,
souligne que le lancement de la Grameen Bank a largement profité
de subventions de la Banque du Bangladesh et des institutions
internationales. Elle note aussi que le microcrédit permet de
guider les productions vers les marchés internationaux «On
amène ainsi, par exemple, les femmes à abandonner leur
activité traditionnelle et spontanée pour les orienter
vers une activité économique adaptée au
marché mondial. On se souvient de cette opération
«flood» en Inde, au cours de laquelle on a incité
les paysannes à emprunter pour acheter une vache qui fournirait
du lait aux villes
Sans parler des déboires des
emprunteuses on sait que celles-ci finissaient par devoir acheter du
lait pour leur propre consommation
En fait ces femmes avaient
dû abandonner leur autoproduction alimentaire pour devenir des
productrices/consommatrices sur le marché. Beaucoup se sont
éreintées et ruinées. Très souvent il
sagit de productions qui changent les habitudes alimentaires des
gens: ils doivent par exemple cultiver des haricots au lieu de cultiver
ce quils mangent habituellement, parce que les haricots peuvent
être vendus sur le marché international». (Entretien
avec la revue Défis Sud: www.finance-solidaire.info).
Investissez éthique!
Et puis, grâce à son très bon taux de remboursement
(près de 98%, supérieur à celui du petit
crédit en Suisse) et à ses taux
dintérêts élevés, le
microcrédit est aussi une affaire. En 2005, la firme de
microcrédit bolivienne BancoSol (150 millions de dollars de
prêts, dont les deux tiers sont inférieurs à
300 dollars) déclarait fièrement un
bénéfice de 19%. Il est de bon ton parmi les capitalistes
de haut vol de faire un peu de philanthropie avec des projets de
microcrédit. Le fondateur du site denchères en
ligne Ebay, Pierre Omidyar, a ainsi mis à disposition
100 millions de dollars. Lancien président Bill
Clinton ne fait pas que rechercher des fonds pour le Parti
démocrate: à sa demande, ses amis de Merril Lynch, de la
Deutsche Bank et de Hewlett-Packard ont aussi débloqué
75 millions deuros pour cette activité
financière. Et last but not least, le Credit suisse vient de
lancer un fonds dinvestissement axé sur le
microcrédit, qui devrait sélever à
150 millions de dollars à la fin de lannée.
Pour le plus grand bien des femmes bangladaises,
sûrement