La droite en précampagne: mais où vont-ils chercher tout ça ?

La droite en précampagne: mais où vont-ils chercher tout ça ?

Le peu musical quatuor de la droite
vaudoise a entamé depuis quelque temps sa précampagne
électorale. Jacqueline de Quattro, Pascal Broulis, Philippe
Leuba et Jean-Claude Mermoud, candidat-e-s au Conseil d’Etat,
défendent donc en chœur les 38 propositions du
«Centre Droite vaudois». Ces propositions sont un
mélange de généralités qui ne mangent pas
de pain -on suppose qu’il s’agit de la part du
«Centre»…- et de revendications plus précises
fleurant bon le néolibéralisme. Ça, c’est
pour la vitrine. Et dans l’arrière-boutique des
«boîtes à idées» bourgeoises, les
projets s’affinent.

Prenons l’exemple de la formation pour illustrer comment
fonctionne le moteur à deux temps du Centre Droite vaudois. La
première proposition paraît banale et consensuelle:
«Affirmer la priorité du rôle formateur de
l’école et pratiquer une pédagogie efficace
permettant l’acquisition de connaissances et de
savoir-faire». A première vue, qui n’y souscrirait
pas? Bien sûr, la réduction du rôle de
l’école à la transmission de connaissances et de
savoir-faire annonce déjà la couleur, mais enfin,
personne ne peut honnêtement s’opposer à cette
transmission. La deuxième proposition en matière de
formation fixe un objectif bien moins consensuel: «Revaloriser la
filière VSO en augmentant les exigences orientées vers
les besoins du marché du travail (français,
mathématiques et langues étrangères)». En
clair, la voie secondaire à options (VSO), où se retrouve
la majorité des enfants d’ouvriers et
d’ouvrières et de salarié-e-s sans fonction
d’encadrement, doit se conformer encore plus aux exigences du
marché du travail, c’est-à-dire continuer à
fournir la main-d’œuvre faiblement ou moyennement
qualifiée dont le capital a aussi besoin. Remarquons que le
français, les mathématiques et les langues
étrangères sont justement les branches sur lesquelles
PISA se concentre. Ce système d’évaluation a
été mis au point par l’OCDE, organisme
économique pilotant désormais les politiques scolaires
dans le monde capitaliste développé. Voilà qui
confirme le rôle d’instrument d’orientation des
systèmes scolaires de cette prétendue évaluation,
dont la presse quotidienne fait régulièrement ses choux
gras, comme s’il s’agissait d’une mesure universelle,
incontestée et incontestable.

Un «think tank» bien de chez nous

La dernière proposition en matière de formation a elle
aussi des allures extérieures assez banales. «Créer
une Ecole cantonale de médecine en rapprochant la Faculté
de biologie et de médecine et le CHUV». Pourquoi pas? Cela
paraît relever du bon sens, non? En fait derrière cette
revendication se cache un projet bien plus vaste, aux enjeux autrement
décisifs. L’idée a été
développée lors d’un «workshop»
organisé par la Banque cantonale vaudoise (BCV) sur le
thème «Le canton de Vaud et l’Arc lémanique
à l’horizon 2010». Ce forum, regroupant trente
personnalités politiques, économiques et universitaires
était divisé en trois ateliers de réflexion (les
célèbres «workshop» de la
«Bicivi»). Parmi les invités, que du beau linge,
évidemment. Pascal Broulis, un ancien de la maison, Jacqueline
Maurer-Mayor, François Longchamp pour les politiques; les
inévitables Stéphane Garelli (professeur à
l’IMD et parrain politique de Jacqueline de Quattro) et Patrick
Aebischer (président de l’EPFL) pour les universitaires,
Georges-Henri Meylan (Audemars-Piguet) et Yvan de Rham (holding
immobilier), Michel Walther (Clinique La Source) et toute la direction
de la BCV pour l’économie (Kudelski devait être
malade ce jour-là!). Sans oublier l’incontournable
«agitateur d’idées» d’Avenir suisse,
Xavier Comtesse. Avenir suisse étant, rappelons-le, la
boîte à idées du patronat et de
l’économie suisse.

Trois idées-force pour l’avenir sont sorties de ce
colloque, censées «vaincre les crises à
venir»: la création d’un fonds
d’infrastructures, la mise sur pied d’une «Medical
school» et la dérégulation du secteur de la
santé, orchestrée par le Conseil économique du
canton de Vaud afin d’encourager les partenariats
publics-privés.

La mise en coupe réglée de la santé

Le secteur de la santé aiguise visiblement
l’appétit de cet aréopage. Le retrait de
l’Etat des structures d’accueil (EMS et crèches) et
l’ouverture de cette sphère aux capitaux privés
sont un premier élément: «la santé est un
marché qui peut très bien encourager
l’économie locale» (François Longchamp);
«Il y a effectivement une fenêtre
d’opportunité, notamment dans les EMS, où
l’on peut très bien envisager l’introduction de
contrat de prestation» (Pascal Broulis). Le deuxième
élément, la création d’une Ecole
médicale lémanique, sur le modèle anglo-saxon
(tiens donc!), avec un seul président, doté de larges
pouvoirs, pour chapeauter le domaine hospitalier et universitaire est
le cheval de bataille de Patrick Aebischer. Le système vise tout
simplement à étayer le développement de deux
domaines économiquement porteurs: les biotechnologies et les
soins médicaux de pointe en cliniques privées. Le premier
acte dans ce sens se jouera au moment du départ à la
retraite de l’actuel directeur du CHUV en 2008. Pour ses
influents promoteurs, l’Ecole de médecine permettrait au
CHUV de retrouver une vocation plus affirmée de recherche de
pointe et pourrait renforcer ses collaborations avec Genève et
l’EPFL. La médecine à deux vitesses et le
développement du marché de la santé: voilà
le projet réel que recouvre la proposition, à
première vue banale, d’Ecole cantonale de médecine.
Les hommes et les femmes politiques de droite ne sont jamais plus
dangereux que lorsqu’ils font semblant de n’avoir à
dire que des banalités.

Daniel SÜRI