Quelle place pour les activités et la mémoire du sieur De Pury ?

Une place et une statue sont des signes de reconnaissance publiques, honorant un personnage pour la grandeur de ses actes. Dans ce sens, débaptiser la place De Pury et retirer sa statue seraient les premiers éléments d’une mémoire réparatrice. Dans un article du 6 août 2020, M. Mutombo s’oppose au déboulonnage car il ne veut pas « braquer ni frustrer inutilement une partie de la population ». Plutôt que déboulonner, il propose « l’érection d’un monument bis… aux dimensions identiques de l’autre en rendant enfin hommage aux esclaves noirs».

Placer ainsi les victimes du trafic d’esclaves sur le même pied que le marchand est une curieuse manière de revisiter l’histoire ! M. Mutombo y voit un avantage car cela « reconnaît et relie les points de vue opposés…. l’hommage est complété de manière équitable ». En cherchant ainsi le consensus, les propositions mettent sur le même plan des réalités totalement différentes. Le sieur De Pury ne faisait pas du commerce par philosophie ou même pour la ville de Neuchâtel, mais pour s’enrichir et accroître son pouvoir de marchand et de noble. Son activité économique est-elle acceptable ? Non ! Par conséquent ce personnage n’a pas à bénéficier d’une statue et d’une place. Car il ne s’agit pas seulement de rendre un hommage aux esclaves noirs. Il s’agit aussi de condamner sans l’ombre d’un doute ces pratiques marchandes.

« L’oubli » et l’absence de mémoire publique sur le trafic d’esclaves ont en partie été couverts par l’hommage public au sieur De Pury. La principale place au cœur de Neuchâtel n’est pas un signe mineur ! Le faire disparaître de l’espace public ne signifie aucunement cacher son histoire. Au contraire, cela serait le premier pas vers une connaissance détaillée de cette période et de ces marchands.

L’histoire n’est pas simplement l’alignement et la pondération de points de vue différents. Il y a la recherche des faits, de tous les faits, et leur mise en perspective historique. Mais la création d’une commission d’étude ne devrait pas être la seule issue. Une place « De la liberté » pourrait rapidement être inaugurée, geste politique d’autant plus facile pour une commune gérée par une large coalition à gauche.

L’incohérence de la proposition de M. Mutombo saute aux yeux, si au lieu de parler de l’esclavagisme, on parlait du nazisme, de ses personnages et de ses symboles. Qui défendrait sérieusement la préservation dans l’espace public de leurs noms et de leurs symboles ? Qui oserait proposer la représentation « équitable » des bourreaux nazis et de leurs victimes, à Auschwitz ou ailleurs ? Les nostalgiques de l’empire de 1000 ans sont certainement très frustrés et braqués en Allemagne par les lois qui interdisent les actes et les expressions défendant le nazisme. Tant mieux ! Et l’histoire écrite par les nazis n’est pas l’histoire du nazisme.

Alors, si des nostalgiques de l’aristocratie neuchâteloise sont maintenant offusqués, cela est réjouissant. Beaucoup de personnes se sont longtemps accommodées du silence sur les activités odieuses du sieur De Pury.

Et s’il est grand temps de dépoussiérer l’histoire, ce n’est pas seulement pour rendre hommage aux victimes et dénoncer clairement les bourreaux. L’actualité nous apprend que sur tous les continents, des enfants, des femmes et des hommes continuent d’être exploités dans des conditions qui rappellent sinistrement celles de l’esclavage. La condamnation du sieur De Pury doit aussi servir à dénoncer et à faire disparaître ces situations barbares. Avec ou sans consensus.

José Sanchez, La Chaux-de-Fonds

SolidaritéS Neuchâtel, le 18.08.2020