Produits chimiques

Produits chimiques : L'Europe Reachement dotée

La législation REACH – acronyme anglais pour Registration, Evaluation, Autorisation and restriction of Chemicals – a commencé à se déployer il y a cinq ans. A l’origine, ce programme avait été décrit comme l’apocalypse par les dirigeants des entreprises du secteur, dont le marché annuel s’élève à 540 milliards d’euros. Cinq ans plus tard, elles sont toujours là et se portent plutôt bien.

L'idée de base de la législation REACH n’est pas mauvaise. Elle consiste à renverser ce que l’on appelle la charge ou le fardeau de la preuve. Jusqu’alors, lorsqu’un produit chimique était mis sur le marché, les autorités publiques devaient évaluer le risque de la substance avant de pouvoir en interdire le commerce, le cas échéant. Désormais, ce sont les industriels qui doivent fournir des données démontrant la sûreté du produit. Ces données sont remises dans un dossier d’enregistrement, sésame de l’accès au marché selon le principe « pas de données, pas de marché » no data, no market»). 30 000 substances sont concernées. A ce jour, 6600 ont été enregistrées.

 

Une usine à gaz

Le problème est que cette législation est très complexe et qu’elle a pris la place de 40 anciens textes (directives et règlements). Or les usines à gaz, l’industrie chimique, elle connaît. Un intense travail de lobbying lui a permis d’élargir ses marges de manœuvre et d’émousser passablement les aspects les plus tranchants du projet. A tel point que REACH ne fait même plus figure d’épouvantail pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et que les pressions exercées par les Etats-Unis et leurs alliés font figure de batailles d’arrière-­garde. Pour les entreprises récalcitrantes, une « solution » réside dans la délocalisation de la production en Chine, qui représente désormais 27 % du marché mondial (deuxième producteur et premier consommateur de fibres d’amiante. p. ex.). Pour les autres, un certain nombre de failles existent :

 

  • La conformité des dossiers présentés pour l’enregistrement n’est vérifiée que pour 5 % des dossiers, par sondage. Pourtant en 2012, un tiers des dossiers examinés présentaient des lacunes significatives en terme de qualité. Jusqu’à être pratiquement vides, ne contenant que des informations recueillies sur la Toile. Or ces informations inadéquates ou incomplètes sont ensuite utilisées pour évaluer les dangers et définir les manipulations des produits !
  • Les informations supplémentaires sont réclamées par l’agence européenne idoine (ECHA) ; elles doivent être fournies dans un délai précis. Sinon… sinon rien ! L’ECHA n’a pas la compétence de sanctionner l’entreprise. Seules les agences nationales pourraient le faire, mais elles sont en sous-effectif chronique. Curieux, non ? 
  • L’autorisation, qui permet de remplacer les substances les plus dangereuses par d’autres, plus respectueuses de l’environnement et de la santé humaine, ne concerne à ce jour que 22 substances. 144 autres ont été identifiées comme candidates à l’autorisation. Mais la procédure peut prendre jusqu’à sept ans ! A ce rythme, il faudra un siècle pour inciter les industriels à changer de substances.
  • La restriction, qui permet de limiter la fabrication, l’utilisation ou la mise sur le marché de produits particulièrement dangereux, intervenait à raison de deux cas par an dans l’ancien système. Avec REACH, on n’en est plus qu’à un cas par an.
  • Grâce à REACH, plus de 700 substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) n’ont pas été enregistrées (sur les quelque 1100 CMR classifiées, seules 406 l’ont été auprès de l’ECHA). On peut en conclure que leur production – il s’agit en l’occurrence de volumes de plus d’une tonne par an – a été abandonnée. Version moins optimiste et certainement plus réaliste : la production continue illégalement. Vu les contrôles lacunaires au niveau national et les réseaux de sous-traitance existants, cela n’aurait rien de surprenant.

 

Et la Suisse, dans tout ça ?

Pour l’industrie chimique suisse, l’importance du marché européen est telle (60 % des exportations) qu’elle s’est rangée sans trop traîner aux procédures – allégées, on l’a vu – de REACH. Sans pour autant que la législation suisse suive. Il y a certes eu des reprises de certains éléments au niveau des ordonnances, comme pour les substances chimiques extrêmement préoccupantes. Mais l’adaptation des lois sur l’environnement et sur les produits chimiques n’est qu’un objectif à moyen terme. Le Conseil fédéral envisage surtout de négocier un nouvel accord bilatéral sur REACH, afin de faciliter l’accès des entreprises suisses à l’ECHA, qui actuellement n’est possible qu’à travers un importateur. Il cherche aussi à avoir un droit de regard sur l’établissement des normes de REACH, qui sont aujourd’hui imposées. La Commission européenne n’a toutefois pas encore de mandat de négociation. Et utilisera sans doute la demande fédérale comme moyen de pression dans les négociations sur l’après-9 février.

 

Daniel Süri