Prendre les ondes pour prendre la parole
Les Archives contestataires viennent de publier un ouvrage collectif présentant et analysant différents cas d’appropriation féministes des ondes radiophoniques, du milieu des années 1970 à la fin des années 1990, en Suisse et dans d’autres contextes nationaux.

Nous ne nous tairons plus, pratiques féministes de la radio et leurs contextes (1975 – 2000) offre une plongée dans une période militante longue de près de trois décennies, qui se caractérise notamment par une importante transformation du mouvement féministe, au sein duquel la plupart des expériences radiophoniques exposées viennent s’insérer.
Pour chacun des cas présentés, les lecteur·icexs sont invité·exs à prendre connaissance de certaines de ces archives ↗︎, par le biais d’illustrations sonores (via un QR code) indiquées au début de chaque chapitre. Une manière de redonner une place à l’oralité dans l’écrit.
Des pratiques radiophoniques par, pour et dans les luttes féministes
Les années 1970 se caractérisent, en Suisse comme ailleurs en Europe, par l’émergence et le renforcement d’un mouvement féministe radical, organisé autour du mot d’ordre «le privé est politique» et qui se caractérise par des modes d’action comme l’occupation de bâtiment. Les années 1980, et peut-être plus encore la dernière décennie du 20e siècle, sont quant à elles caractérisées par un triple mouvement d’institutionnalisation, de professionnalisation et de spécialisation de l’engagement féministe.
Les expériences radiophoniques féministes accompagnent, et sont le reflet, de ces transformations. L’émergence progressive de radios libres – dont ces fréquences militantes et féministes – au cours des années 1970, ouvre de nouvelles possibilités relatives à la diffusion des expériences et de la parole des femmes. Il ne s’agit plus de parler à la place des femmes, mais bien leur donner directement la parole, d’ouvrir des espaces où peut s’exprimer une réflexion féministe en construction, moins figée et tranchée que celle qui est formulée notamment dans les tracts de l’époque.
Ces radios sont par ailleurs des lieux où les militantes s’organisent entre femmes, de manière non-mixte, et développent des compétences techniques propres au médium radiophonique. Une manière d’ébranler les rapports de genre et la division genrée du travail qui caractérisent, hier comme aujourd’hui, les espaces militants. Elles sont également le reflet de la circulation transnationale des mots d’ordre mais aussi des pratiques et de la culture féministes des années 1970.
L’expérience genevoise d’appropriation des ondes radiophoniques trouverait ainsi son origine dans une rencontre entre des militantes de L’Insoumise, journal du MLF genevois, et des féministes italiennes de Padoue qui leur transmettent leur premier émetteur radio.
Caisses de résonance pour la grande diversité des actions menées, notamment en ville de Genève au cours des «années mouvements», ces radios sont considérées par plusieurs des contributrices de l’ouvrage comme des espaces permettant de garantir la continuité des engagements féministes dans la période plus creuse des années 1980–1990 ; des structures de veille du mouvement. Elles connaissent, elles aussi, des processus d’institutionnalisation, de professionnalisation et de spécialisation, comme le montre notamment Géraldine Beck dans sa contribution qui revient sur les évolutions de différentes expériences radiophoniques féministes genevoises.
Archiver le son pour transmettre la mémoire des luttes
Nous ne nous tairons plus est une contribution riche pour celleux qui s’intéressent à la diversité des engagements féministes de la seconde moitié du 20e siècle. Elle propose une vision non-idéalisée de ces expériences, en soulignant les possibilités mais aussi les limites inhérentes au médium radiophonique comme outil de libération et de diffusion de la parole des femmes. Elle permet également d’insister sur la fragilité des conditions de transmission de ces mémoires.
Les archives sur lesquelles s’appuient plusieurs des chapitres proviennent en effet de cassettes enregistrées, conservées pendant de longues années dans des cartons au domicile de Viviane Gonik et Catherine Hess, deux figures militantes genevoises qui ont participé aux expérimentations féministes de cette période. Sans elles, et sans le travail entrepris par les Archives contestataires pour numériser et décrire ces 800 heures d’émission, l’histoire sonore des Wellenhexen, de Radio Pleine Lune, de l’émission Ménage-toi ou encore de Radio canicule aurait bien pu ne jamais nous parvenir.
Noémie Rentsch