Un exemple de justice ordinaire


Un exemple de justice ordinaire


Un professeur, une assistante, un rapport de travail qui dérape… Confidences d’ordre privé d’abord, allusions, propositions à double sens, comportement équivoque, qui créent un climat dans lequel il est difficile d’exprimer son désaccord.

Tract du comité de soutien ASSN *

Débordement, intrusion dans sa vie privée, appels à son domicile tous les soirs, propositions de sorties. Et enfin, remarques à caractère sexuel et gestes sexuellement connotés, le tout accompagné de railleries sur sa soi-disant pruderie.Ce n’est pas facile de faire face à une situation de harcèlement sexuel lorsqu’on a 23 ans, qu’il s’agit du premier emploi contracté, précaire, d’une durée de 3 mois et que le supérieur hiérarchique, qui promet d’intéressantes perspectives professionnelles, est également le directeur d’un travail de diplôme tout juste commencé. On se retrouve piégée dans un rapport de subordination, imprégnée aussi du respect de l’autorité qui nous a été appris et de l’éducation reçue en tant que jeune fille «bien élevée». Les limites que l’on pose néanmoins rencontrent immédiatement une surenchère de réactions de la part du supérieur: Charge de travail décuplée, chantage sexuel au renouvellement de son contrat de travail, menaces proférées à l’encontre de sa carrière en cas de dénonciation et enfin dénigrement public de ses compétences professionnelles.

Quelle protection?


C’est encore moins facile ensuite de faire reconnaître ce que l’on a vécu quand on ne sait pas quelle instance saisir pour se défendre. Le droit pénal suisse ne contient pas de définition du harcèlement sexuel en tant que tel, tandis que la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) n’offre pas aux victimes de harcèlement et à leurs témoins une instruction qui les protège d’une confrontation directe avec la personne mise en cause. Quant à l’Université de Lausanne, elle ne disposait pas jusqu’à très récemment d’une instance appropriée pour traiter les affaires de harcèlement sexuel. C’est seulement à la suite du cas qui nous préoccupe que l’institution universitaire s’est donné les moyens de répondre aux exigences de la LEg. A l’époque des faits, par contre, la plaignante a été entendue par un Conseil de discipline composé majoritairement de professeurs et n’a pas bénéficié du statut de partie et des droits qui en découlent. Le prononcé disciplinaire, par exemple, ne lui a pas même été notifié et, de ce fait, aucune voie de recours ne lui a été ouverte, ceci en totale violation de la loi. Cette première enquête, laquelle a été effectuée par une juge cantonale, a entaché toutes les autres tentatives de la victime pour obtenir justice. En effet, l’instruction pénale ouverte après celle-ci a persisté dans l’inversion des rôles opérée par l’enquête disciplinaire, retournant systématiquement ses preuves contre la plaignante et contestant sa bonne foi ainsi que celle de ses témoins tandis que les différentes attaques lancées par le professeur et ses témoins bénéficiaient d’une crédibilité sur parole.


Qui est la victime?


Ce qui toutefois est le plus dur, c’est qu’à la suite d’une plainte en diffamation déposée par le professeur, l’appareil judiciaire s’acharne contre la victime allant jusqu’à l’inculper de «calomnie, diffamation, dénonciation calomnieuse». (…)


Le cas présent est l’exemple type des risques trop souvent encourus par une femme qui saisit l’appareil judiciaire pour voir reconnu le harcèlement sexuel qu’elle a subi: l’accusation de complot est avancée d’emblée par l’avocat de la personne mise en cause (l’attaque est la meilleure défense!). On évite ainsi d’entrer en matière sur le contenu de la plainte et des nombreux témoignages. L’appareil judiciaire non seulement prononce alors un non-lieu dans l’affaire de harcèlement mais poursuit la plaignante pour diffamation. Les victimes deviennent aussitôt coupables, mues par de sombres desseins. La version du complot est largement acceptée par une partie de l’opinion publique peu avertie. Cela arrange nombre de personnes de penser que les accusations de cabale avancées contre les plaignantes sont fondées. Les personnes mises en cause doivent pouvoir se défendre, certes, mais un retournement total de la situation est inadmissible.


Par ailleurs, un tel retournement n’est pas sans conséquences financières pour la victime: l’assistance LAVI (Loi sur l’aide aux victimes d’infractions) lui est retirée dès qu’est prononcé un non-lieu dans la procédure pénale. De surcroît dans le cas présent, le professeur mis en cause avait complété sa plainte en diffamation d’une poursuite pour dommage et intérêts d’un montant de 120 000.- Fr (plainte retirée depuis, ndlr) Si l’on fait abstraction de la souffrance psychologique de la victime qui ne se voit pas reconnue comme telle, le seul fait de sa dette matérielle prétérite largement son avenir.


Un acquittement, quant à l’accusation de diffamation et calomnie, signifierait que les difficultés rencontrées dans une situation de harcèlement sexuel sont reconnues et qu’il est tenu compte du contexte social dans lequel s’inscrit ce phénomène. Le harcèlement sexuel est une des expressions du pouvoir des hommes sur les femmes. Il se manifeste concrètement par l’attitude de certains qui, en dépit des signes évidents de refus de la part des femmes, persistent à penser qu’ils ont le droit de disposer sexuellement d’elles. C’est loin d’être un acte banal, c’est un acte interdit par la loi. Encore faut-il qu’elle soit appliquée. Nous nous déclarons solidaires de l’assistante qui a déposé une plainte pour harcèlement sexuel. Nous demandons qu’elle soit acquittée.


*Comité de soutien ASSN Case 393 – 1000 Lausanne 1 – CCP 17-756788-5