Une vraie guerre: l’enjeu des brevets

Une vraie guerre: l’enjeu des brevets


Face aux monopoles, la production locale de médicaments est devenue une revendication des pays du Sud. En 1999, le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) relevait que «le renforcement des droits de propriété intellectuelle barre l’accès des pays en voie de développement à l’économie du savoir».



En effet, ces pays ne détiennent que 3% de tous les brevets. Le cadre juridique de la propriété intellectuelle a été mondialisé par l’intervention de l’OMPI et de l’OMC à travers de nouveaux accords (ADPIC/TRIPs) en limitant la libre circulation de l’information scientifique, en particulier depuis 19951. En fait, depuis les années 70, les U.S.A. ont choisi de déclencher une course mondiale à la protection agressive de la propriété intellectuelle comme élément de la politique industrielle face aux concurrents européens et japonais.2 En 2000, par exemple, les redevances sur les brevets utilisés à l’étranger ont permis aux pharma américaines d’encaisser 58,5 milliards de francs.

Les brevets contre les politiques sanitaires


Les enjeux en matière de médicaments sont apparus au grand jour avec le conflit sur la production de médicaments génériques dans la lutte contre la sida. Il faut savoir, par exemple, que les traitements anti-rétroviraux ont permis à l’Etat brésilien d’économiser plus de 677 millions de dollars sur les hospitalisations et les traitements des maladies opportunistes associées au sida, entre 1997 et 2000. Sans revenir sur les détails de cette importante bataille et de la victoire de l’Afrique du Sud contre les 39 STN pharma, ainsi que sur les luttes en Inde, au Brésil et en Thaïlande, la bataille sur les brevets reste à l’ordre du jour. La politique des STN sur la durée de validité des brevets et de leur multiplicité autour d’une même molécule afin de «blinder» le maximum d’aspects liés à cette molécule et d’empêcher ou limiter tout brevetage voisin, est soumise depuis peu à la pression des ONG et des pays du Sud.



Lors de la 4e réunion de l’OMC à Doha, au Quatar, en novembre 2001, un compromis sur les licences obligatoires (permettant à un pays de ne pas respecter un brevet), dans des situations de crises sanitaires définies de façon restrictive par les pays du Nord, a été octroyé par les pharma aux pays du Sud contre une validité des brevets de vingts ans.3 Cet accord préserve globalement les intérêts des pharma. Ce succès se prolonge par deux résolutions adoptées par le Conseil exécutif de l’OMS en vue de l’Assemblée générale à Genève en mai 2002: le lobby pharmaceutique est intégré aux travaux de l’OMS, ainsi mis sous pression, et la promotion d’un système de prix différenciés des médicaments essentiels doit être fondé sur le marché.4 Ainsi, la Directrice générale de l’OMS, Mme Gro Harlem Brundtland, a clairement soutenu les amendements issus des U.S.A et du Royaume-Uni en faveur des pharma.

La privatisation des génomes


Au delà du problème lié à la production de médicaments et des génériques en particulier, le brevetage du vivant lui-même pose le problème de la confiscation des connaissances traditionnelles et des ressources biologiques elles-mêmes par les STN. En effet, depuis 1991, des brevets sur des séquences de matériel génétique existent. A ce jour, il y a près de dix fois plus d’informations sur les génomes dans les banques de données privées, d’accès limité et payant, que dans le domaine public, selon le professeur Axel Kahn, du Comité consultatif national d’éthique en France5. Certaines entreprises biotech comme Millenium, Sequana ou Myriad aux U.S.A cherchent à identifier des gènes de maladies à partir de familles atteintes et de modèles animaux pour déterminer les cibles des futurs médicaments. Le brevet des gènes morbides est donc l’objectif désigné. D’autres entreprises (Incyte, Human Genome Science, par exemple) cherchent à détenir des informations exclusives sur la localisation chromosomique des gènes humains, leur régulation et leur expression. L’accès à ces données est vendu aux seules sociétés pharmaceutiques qui possèdent des ressources financières à la hauteur. Des réseaux d’alliance se mettent en place.6 Le récent exemple de Myriad Genetics est particulièrement frappant : en passe d’obtenir l’exclusivité sur le gène BRCA1 prédisposant au cancer du sein, cette entreprise dispose déjà du monopole aux U.S.A, au Canada, en Australie et au Japon.7 Un dossier vient d’être déposé par les autorités françaises contestant les privilèges exorbitants obtenus par cette firme auprès de l’Office européen des brevets.



L’appropriation privée du génome humain est en route!8



(gg)

  1. Des barbelés sur le terrain de la recherche, René Lefort, Directeur du Courrier de l’UNESCO, novembre 2001
  2. Droit de la propriété intellectuelle. Du brevet à l’expropriation sans rivage, Robert Lochhead, «à l’encontre» no 2, novembre 2001
  3. Repenser l’Accord sur les Adpic au sein de l’OMC, Solagral,Third World Network, septembre 2001
  4. Le Conseil exécutif de l’OMS fait une fleur aux transnationales, Robert James Parsons, le Courrier, 22.1.02
  5. Les «concessions» tamisées des pharmas, Robert Lochhead, «à l’encontre» no 3, décembre 2001
  6. Capitaliser en bourse le génome humain, Philippe Frogel et Catherine Smadja, dans Ravages de la technoscience, Manière de voir 38, le Monde Diplomatique, mars-avril 1998
  7. Dépistage du cancer du sein. Les américains vont-ils prendre les français en otages? Martine Bulard, Marianne, no 239, novembre 2001
  8. Myriad Genetics, un gros abcès éthique, J.-Y. Nau, Médecine et Hygiène 2382, 6 mars 2002