Victimes de l’amiante: que peut la justice?

Victimes de l’amiante: que peut la justice?


«Amiante: Eternit doit payer» tel était le titre de couverture de notre édition du 13 mars. Toujours et-il que cette exigence passera par les fourches caudines de la justice. Quelles sont les chances, les écueils, les délais jusqu’à ce qu’Eternit – ou plutôt la famille Schmidheiny – paie sa dette envers les dizaines de milliers de salariés, victimes de l’amiante au Nicaragua, en Afrique du Sud, en Italie ou en Suisse? Ce dont nous sommes sûrs c’est que sans mobilisation nos chances seront très minces. C’est pourquoi un Comité d’aide aux victimes de l’amiante doit être mis sur pied au plus vite en Suisse. Entre temps, informons-nous de nos droits.



Nous publions à cet effet l’interview de Massimo Aliotta, que Maria Roselli, journaliste à Works et spécialiste de l’affaire amiante, nous a autorisé à reproduire. L’avocat suisse Massimo Aliotta défend actuellement un ancien travailleur d’Eternit à Niederurnen victime de l’amiante. Il a intenté un procès contre l’entreprise glaronnaise des Schmidheiny pour faire valoir ses droits.

Maria Roselli: Monsieur Aliotta, comment est-ce que des travailleurs et des travailleuses d’Eternit, malades de l’amiante, peuvent défendre leurs intérêts sur le plan juridique?


Massimo Aliotta Il y a deux types de questions: celles liées au droit des assurances sociales et celles liées à la responsabilité civile de l’entreprise. En ce qui concerne les droits aux prestations des assurances sociales, il s’agit d’identifier les personnes malades, victimes de l’amiante, une maladie professionnelle reconnue par la SUVA, et d’exiger le versement des prestations dues en vertu de l’assurance-accident, de l’assurance-invalidité et de la caisse de pension concernée. Il s’agit ici de l’ensemble des prestations d’assurance liées aux coûts découlant des soins médicaux, des rentes, des dédommagements pour atteinte à l’intégrité, et ce au bénéfice des victimes directes ou de leurs descendants. Nous avons obtenu une jurisprudence satisfaisante à ce sujet du Tribunal administratif du canton de Glaris. Il faut souhaiter que le Tribunal Fédéral des Assurances confirme en deuxième instance cette jurisprudence cantonale.

Est-ce que nous aurions aussi la possibilité d’agir contre Eternit en nous appuyant sur le droit civil?


Le droit civil, en particulier les règles portant sur la responsabilité civile, concerne toutes les prétentions liées à la responsabilité de l’employeur qui vont au-delà des prestations des assurances sociales: la réparation du tort moral ainsi que les coûts découlant des traitements médicaux, les diminutions de revenus et autres frais, non couverts par les assurances sociales. Pour que ces dommages puissent être indemnisés, nous devons prouver l’effectivité du dommage et la faute de l’employeur.

Qu’est ce que cela impliquerait dans le cas d’Eternit?


Concrètement nous devons pouvoir reprocher à l’employeur de n’avoir pas pris, à l’époque où la victime avait été exposée à l’amiante, toutes le mesures de protection nécessaires ou des mesures insuffisantes, et ce malgré le fait qu’il avait connaissance des dangers qu’une telle exposition pouvait faire courir à ses employés ou même qu’il n’avait pas arrêté à temps la production qu’il savait risquée. Selon le droit suisse, la preuve doit être apportée que le comportement de l’employeur constituait de ce point de vue une négligence grave. Pour des victimes qui n’ont pas elles-même travaillé à Eternit, cette preuve ne doit pas être apportée. De plus, aussi bien dans le droit social que civil, il faut s’assurer qu’il n’y ait pas prescription.

Est-ce que le dédommagement des victimes n’incombe pas à la CNA/SUVA?


Oui et non. En Suisse nous avons un double système de réparation du dommage, à la fois supporté par l’assurance sociale en charge, la SUVA comme assureur en cas d’accidents, et à la fois par un dédommagement fondé sur le droit civil. La part des dommages que les assurances sociales ne prennent pas en charge doit être indemnisée par l’employeur ou par son assurance.

Qu’en est-il de toutes les victimes non salariées de l’amiante qui n’ont jamais travaillé chez Eternit. Par exemple, les femmes qui auraient lavé les vêtements de travail de leur mari, salarié chez Eternit?


Dans un tel cas, aucune prestation ne peut être revendiquée auprès de la SUVA, car le caractère professionnel de la maladie est inexistant. Par contre d’éventuelles prétentions contre l’employeur Eternit peuvent se fonder sur l’article 41 du Code des Obligations («Celui qui cause, d’une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer» Ndt). Pour apprécier la responsabilité de l’employeur, la question de l’illicéité est centrale. Elle ne pourra être reconnue que si Eternit SA a omis de prendre les mesures nécessaires à la protection d’un tiers, alors même que cette entreprise créait un état de choses que l’on pouvait prévoir comme étant dangereux. Dans votre exemple, Eternit devait informer l’employé sur les risques qu’entraînait son activité – soit la manipulation de substances toxiques – pour ses proches. Si la responsabilité d’Eternit était établie, il faudrait encore s’assurer que l’assurance en responsabilité civile de l’entreprise prenne en charge le remboursement de tous les dommages subits par la victime et ses proches, ainsi que les dommages liés au tort moral.



Paru dans Works le 19 avril 2002
Traduction de la rédaction