Grève générale: Portugal paralysé
Grève générale: Portugal paralysé
Le 10 décembre dernier, à lappel de la principale organisation syndicale du pays, la CGTP, une grève générale a immobilisé le Portugal. Objectif du mouvement: combattre un véritable Plan dAjustement Structurel imposé au pays par le gouvernement de droite, la Banque Centrale Européenne et la Commission de Bruxelles. Un exemple à lintention des pays de lEst européen qui ont demandé leur adhésion à lUE, et qui peuvent sattendre à des programmes daustérité plus brutales encore.
La CGTP (principale confédération syndicale portugaise – plus de 800000 membres) appelle les «travailleuses et les travailleurs portugais» à répondre par la grève générale à «la plus grande offensive déclenchée contre leurs droits depuis le 25 avril [1974, chute de la dictature], qui vise à mettre en cause les conquêtes fondamentales, obtenues au fil du temps, au prix de luttes ardues et de grands sacrifices»1.
Le ton est solennel. Il met en accusation le gouvernement patronal des partis social-démocrate (droite libérale) et populaire (ultra-conservateur), au pouvoir depuis huit mois. Dans le prolongement des mesures introduites précédemment par les socialistes, la droite, a pris en effet le parti dimposer un véritable Plan dAjustement Structurel au pays afin de respecter à la lettre les critères de la Commission Européenne.
Le 14 novembre, les employé-e-s des services publics avaient déjà débrayé pendant une journée, à lappel des deux grands syndicats, la CGTP et lUGT, unis pour la première fois depuis dix ans. Quinze jours plus tard, le 30 novembre, des dizaines de milliers de travailleurs, femmes et hommes, défilaient dans les rues des principales villes en préparation de la grève générale du 10 décembre.
Cobaye de lEurope des pauvres?
Objectifs de la grève générale selon la CGTPRésolution du 29 novembre 2002
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Selon Mark Milner, du Guardian de Londres, la droite portugaise défend «un modèle dorthodoxie économique dans la zone euro (…) qui lui vaut les applaudissements des banquiers centraux de Frankfort. (…) Une telle politique pourrait transformer le Portugal en banc dessai économique de la zone euro, particulièrement dans le contexte de lélargissement [de lUnion Européenne] (…)». Cest pourquoi, Manuel Carvalho da Silva, dirigeant de la CGTP, déclarait récemment: «Nous sommes des cobayes…»2. De ce point de vue, la grève générale portugaise tombait à pic, au moment où se tenait le Sommet européen de Copenhague, consacré en particulier à ladmission dans lUnion de dix nouveaux Etats.
Pour cela, la résolution adoptée par la Conférence de la Gauche Anticapitaliste des 9-10 décembre dernier, dans la capitale danoise, affirmait clairement que, sil appartenait aux peuples des pays requérants de décider démocratiquement de leur adhésion éventuelle à lUE, la gauche anticapitaliste européenne devait sopposer aux pressions économiques et politiques de Bruxelles visant à leur imposer les règles et législations de lUnion sans mesures compensatoires, et préconiser un véritable «Plan Marshall» pour éviter à la majorité de leurs populations un véritable désastre social3.
Un Plan dAjustement Structurel…
Quelles sont les principales mesures ciblées par la grève générale?
La privatisation accrue de léducation et de la santé (démantèlement du Service National de la Santé); des coupes sombres dans la sécurité sociale (péjoration de la Loi de base adoptée il y a moins de deux ans).
La hausse de la TVA (alors que les gros revenus et les entreprises fraudent ouvertement le fisc).
La révision du Code du travail (Código Laboral), dans le sens de la précarisation de lemploi et de la réduction des droits syndicaux. Par exemple, prolongation de la durée maximale des contrats de travail à durée déterminée de trois à six ans; diminution du nombre dheures payées au tarif de nuit; réduction de la protection contre les licenciements (soi-disant pour lutter contre labsentéisme)5.
Ces nouvelles dispositions devraient être soumises au Parlement durant la première quinzaine de janvier. Rappelons que les bases du Code du travail mis en cause avaient été adopté au lendemain de la chute de la dictature… Tout un symbole!
Près de deux millions de grévistes
A six heures du matin, le dépôt des cars de Pontinha était bloqué, annonçant la paralysie générale des transports de la capitale (bus et métro) et dans le pays (trains). Le gouvernement nest pas parvenu à établir un service minimum dans ce secteur! Par ailleurs, plusieurs aéroports avaient dû être fermés. Les secteurs de la santé, de lenseignement, de la voirie, et de ladministration ont été aussi largement touchés. A Volkswagen Autoeuropa (3300 emplois, 11% des exportations portugaises), quatre travailleurs sur cinq manquaient à lappel; de même, un certain nombre dunités de la métallurgie, de lélectrotechnique, de la cimenterie, de la verrerie, du papier, de lalimentation, des boissons, du textile, de la chaussure, mais aussi de la presse, étaient pratiquement arrêtés4.
La CGTP annonçait en fin de journée 1,7 millions de grévistes et une participation de 87% dans 830 entreprises des secteurs public et privé, et ceci, bien que la direction nationale de lUGT – second syndicat, présent surtout parmi les employés – ait refusé jusquau bout de sassocier au mouvement5. Dans un premier bilan à chaud, nos camarades du Bloc de Gauche (gauche anticapitaliste unifiée) regrettaient seulement un effort de mobilisation insuffisant dans la rue, en direction de la population, afin de donner la plus large portée politique au mouvement, avant les débats parlementaires de janvier6.
Jean Batou
- Conselho Nacional da CGTP-IN, «Contra o pacote laboral por políticas salariais e sociais justas», résolution du 19 novembre 2002.
- The Guardian, 11 décembre 2002.
- Résolution de la Conférence de la gauche anticapitaliste européenne, Copenhague 8-9 décembre 2002, disponible sur notre site.
- CGT-IN, «2° balanço provisório da greve geral», 10 décembre 2002. BBC News, 10 décembre 2002, 12:53 GMT.
- Le Monde, 10 décembre 2002.
- «Primeiro balanço da greve geral», Commissão Executiva do Bloco de Esquerda, 11 décembre 2002.