Victoire pour les banques suisses et pour les fraudeurs!
Victoire pour les banques suisses et pour les fraudeurs!
«Les blanchisseurs dargent sauront apprécier», «Il sagit dun programme de relance pour les banques suisses», «La fuite des capitaux au sein de lEurope ne sera pas jugulée» (v. Financial Times Deutschland, 22/23.1.03). Cest par ces commentaires désabusés qua été accueilli, à létranger, le projet daccord que lUnion européenne entend signer prochainement avec Berne en matière dimposition des revenus de lépargne. Du côté de la finance suisse, un siècle dexpériences a appris toute lutilité de cacher sa joie en cas de succès. Cest pourquoi les banquiers helvétiques se sont contentés de nexprimer qu«une relative satisfaction» (Le Temps, 22.1.03) pendant que Kaspar Villiger soulignait qu«Il ne voulait pas triompher» (NZZ, 23.1.03).
Ainsi donc, après plusieurs années de négociations, parfois un peu âpres, le traité que lUnion européenne sapprête à conclure avec la Confédération maintient, au moins jusquen 2010, les deux principales dispositions qui sont au cur même du paradis fiscal helvétique: dune part, le secret bancaire et, dautre part, le refus de considérer, comme le font limmense majorité des autres Etats, la fraude fiscale simple, cest-à-dire sans falsification de documents, comme un délit pénal, et donc susceptible dêtre soumis à lentraide internationale.
Comment expliquer la victoire du «gnome» suisse contre le géant européen? Dabord par le fait que, contrairement à une image complaisamment véhiculée, la Suisse nest précisément pas un nain économique, contrairement à limmense majorité des autres centres offshore, comme Jersey ou les Bahamas. Confrontée à un adversaire, elle peut jeter une série datouts de poids sur la table. La Suisse nest-elle pas, par exemple, le deuxième plus important débouché commercial de lUnion européenne, après les Etats-Unis, certes, mais devant le Japon ou la Chine? Ensuite, loin de former un front uni, les classes dirigeantes des différents Etats membres de lUnion sont traversées de contradictions. Les cercles financiers de lAutriche, de la Belgique et du Luxembourg sont dardents défenseurs du secret bancaire dans leur propre pays. Et surtout, ces classes ne mènent pas un combat résolu contre les paradis fiscaux parce quelles en tirent de considérables avantages. Pour ne prendre que cet exemple, elles utilisent les pays-refuges comme la Suisse pour saboter dans leur pays même, en menaçant de délocaliser les entreprises ou de faire fuir les capitaux, toute réforme fiscale les affectant. Dans ces conditions, les démarches de Bruxelles en direction de Berne ont davantage ressemblé à une valse-hésitation quà une charge militaire.
Le succès helvétique confirme quil ne faut pas compter sur les seuls conflits dintérêt opposant les milieux daffaires suisses à leurs concurrents étrangers pour parvenir au démantèlement du paradis fiscal suisse. Dans le même sens, il atteste que la fin du secret bancaire est loin dêtre inéluctable et prochaine, comme le proclamaient maints commentateurs («La mort programmée du secret bancaire suisse», tel était le titre dun article de Jean Ziegler dans Le Monde Diplomatique de février 2001). Pour cela, il faudrait une campagne massive à lintérieur même du pays. A cet égard, lattitude du Parti socialiste a été lamentable: non seulement, ce parti na rien fait de sérieux, durant toutes ces dernières années, pour impulser une telle campagne, mais nombre de ses responsables se sont même ralliés ouvertement au secret bancaire, certains reprenant la mystification, pourtant éventée depuis longtemps, dun secret mis sur pied pour protéger les victimes du nazisme (v. le Bulletin interne du Parti socialiste genevois, 1er novembre 2002).
Afin de défendre le paradis fiscal helvétique, lestablishment suisse crie à la catastrophe en cas dabandon du secret bancaire. Le Créa du Professeur lausannois Jean-Christian Lambelet nhésite pas, par exemple, à dire quil faudrait peut-être «fermer Genève» et (voir Le poids des places financières suisse, genevoise et lémanique, Lausanne, 2001, p. 50). A loccasion du débat autour des négociations avec lUnion européenne, deux chiffres intéressants ont été évoqués en cas de levée du secret bancaire: lun estime que 20% des fonds gérés par les banques suisses senfuiraient, soit environ 800 milliards de francs, lautre parle de quelque 400 milliards (voir Le Temps du 17 janvier 2003 et la Neue Zürcher Zeitung du 20 janvier 2003). Disons que la vérité se situe au milieu, soit 600 milliards. Cela provoquerait la suppression de 6000 à 7000 emplois bancaires. Les banques suisses, banquiers privés genevois en tête, ont liquidé 10 000 emplois durant lannée 2002. Genève a-t-elle été fermée?
Pierre VANEK