Massacre à la tronçonneuse... dans les règles de lor!
Massacre à la tronçonneuse… dans les règles de lor!
Ce dimanche de Pâques, une vingtaine d«éco-citoyens», occupaient des arbres du Bois de la Bagasse à Ferney, sopposant pacifiquement à leur abattage. Loin dêtre folklorique, cet acte de désobéissance civile des «acrobranchistes» a attiré lattention des médias et de lopinion sur des enjeux capitaux pour le développement de la région genevoise.
Plusieurs interpellations au Grand Conseil avaient déjà soulevé le problème. A la dernière en date, de son collègue de parti Sami Kanaan, le conseiller dEtat du PS Laurent Moutinot, en charge de laménagement, avait répondu en parlant d«abattages de peu dimportance» et en affirmant que ceux-ci navaient «rien à voir avec les futures opérations immobilières du Rectangle dOr»!
3700 arbres plutôt que 30
Ces affirmations, ceux-celles qui se sont déplacés à Ferney ont pu mesurer leur caractère trompeur. En fait, malgré lopposition dassociations locales et délu-e-s municipaux ferneysiens, portée jusque devant les tribunaux français, cest un véritable massacre quils ont pu constater, se poursuivant sous «protection» dun fort contingent de gendarmes dépêchés en urgence. Les autorisations délivrées avec zèle par le préfet, portent sur labattage de 3700 arbres sur une douzaine dhectares, dont de nombreux chênes centenaires. Après navoir pas entretenu sciemment cette forêt pendant des années, on massacre un biotope qui abrite une faune sauvage, des chevreuils notamment, et en protège la migration. Ceci dans une zone classée et protégée, dans un bois qui sert décran aux Ferneysiens face aux nuisances de lAéroport et qui a une réelle valeur patrimoniale: la forêt fait partie du domaine de Voltaire.
Lunique prétexte invoqué dans les demandes dautorisation est la sécurité aérienne et lapplication de laccord franco-suisse de 1956 à ce sujet. Or ce sont une trentaine darbres ou de bouquets darbres, qui feraient basculer depuis peu (18 mois) le risque au-delà du seuil dune collision pour 10 millions de mouvements davion, prévu par les normes internationales. En 2001, un rapport de lOffice fédéral de laviation civile indiquait encore que la forêt en question ne posait guère de problèmes. Dans les environs, bien dautres obstacles sont dun «risque» supérieur. Mais ils ne sinscrivent pas en travers des mêmes visées.
Dabord celles dun projet communal daménagement du maire de Ferney: belvédère pour «voir les avions», route transversale, butte artificielle, replantage dessences non forestières, zone de loisirs Avec un aspect spéculatif qui pourrait intéresser certains des propriétaires. Mais au-delà de laspect local immédiat dau-tres explications simposent: préparation du projet dit «Rectangle dOr» par la «domestication» dun espace naturel et la percée dune route qui coïncide avec la saignée effectuée dans la forêt, et qui conduira à un parking à venir…
Mettre la Jet set au centre
Ce «Rectangle dOr» est un très gros projet de «développement» franco-suisse dont le budget prévu est denviron 600 millions de CHF pour la Société déconomie mixte qui le portera, avec plus de 100 millions de budget dinfrastructure pour les collectivités locales, projet dont une bonne part des terrains sont sur la commune de Ferney. Il répond à la volonté de développer massivement laéroport et son environnement «hors sol»: accent sur laviation daffaires et des infrastructures connexes pour la clientèle multinationale (hôtellerie, entreprises de communication, technoparc, etc.) Un projet où la face non-dorée: logements sociaux, transports en commun est naturellement! le parent pauvre.
Un méga-projet dans la même logique que lextension de Palexpo, avec la construction de sa Halle 6 au profit de Telecom qui vient senvoler vers lAsie! A rappeler dans ce contexte la «délocalisation» à domicile, par limportation douvriers asiatiques, payés selon les normes en vigueur à Singapour ou Hong-Kong, pour monter les installations dune des ces méga-foires Dailleurs le Rectangle , selon lun de ses documents fondateurs veut «exploiter la diversité des conditions économiques, fiscales et sociales» de part et dautre de la frontière! Avec laéroport, cette «frontière» nest pas que franco-genevoise mais sétend au monde entier.
Laisse béton
Or lexpansion projetée de laéroport cest un doublement de son trafic actuel (8 mios de passagers par an) dici 15 ans. Et ce plan ne se fera pas sans bétonnage de la piste B, piste parallèle à la piste principale, pour laviation légère, dont la légalité est douteuse, ayant été décidée unilatéralement du côté helvétique, même si des élus de France voisine ont laissé faire.
Ce bétonnage permettrait de décharger la piste principale des jets daffaires, faisant de la place pour une croissance importante de laviation de masse, avec les Easyjet et autres low-cost dont on connaît les pratiques en matière de précarité et de conditions de travail sans parler des effets sur lenvironnement et des nuisances accrues pour les riverains de laéroport «urbain» quest Cointrin. Ce 22 avril dailleurs, pour répondre à la demande de ce côté-là, lAéroport annonçait vouloir «segmenter ses prestations» et offrir de grosses «ristournes» à ces compagnies en matières de taxes, ceci «en fonction de la croissance de leur trafic»!
Or ladaptation de la piste B à un trafic plus lourd demande de raser les arbres dans laxe du Bois de la Bagasse. Ainsi, dans les Etats financiers 2002 de lAéroport, on trouve une «Provision élagage forêt de Ferney» créée durant lexercice et dun montant de 2,25 millions! Car en effet, cest «notre» aéroport qui paye la facture du massacre.
Du côté des décideurs
Quant à la résistance au-delà des acrobranchistes, du soutien des habitant-e-s, le parlement genevois a voté en urgence le 22 avril, à une majorité dépassant les rangs de la gauche et des verts, une résolution se fondant sur des exigences de protection de lenvironnement et sur la propriété dune part des terrains du site par lEtat de Genève, via la société immobilière Nord Aviation. Elle demande au Conseil dEtat de faire cesser immédiatement labattage sur cette propriété, de fournir les plans dabattage et daménagement pour celle-ci, ainsi quun préavis du Service cantonal des forêts et de la protection de lenvironnement.
LExécutif via Laurent Moutinot toujours a répondu quil refusait de sexécuter! Il faut dire que Robert Cramer, président Vert du Conseil dEtat, sétait illustré aussi, dans le Matin-Dimanche, en refusant de «commenter les décisions prises par une autorité étrangère» et en déclarant que: «Comme président du CE, je suis plutôt du côté de ceux qui décident, pas de ceux qui sopposent aux décisions ces gens seraient plus efficace sils étaient experts ou préfets de département!»
Affaire à suivre qui démontre la nécessité dune lutte internationaliste solidaire, à léchelle locale, pour imposer transparence, contrôle démocratique et dautres critères de développement que ceux du profit.
Pierre VANEK