Violences racistes de la police: entretien avec une victime
Violences racistes de la police: entretien avec une victime
Des policiers genevois se sont à nouveau illustrés, lors d’un contrôle d’identité, par un comportement raciste et violent à Genève. Alors qu’il attendait un ami dans la rue, un jeune étudiant burkinabé, père de famille, s’est vu contrôlé de manière extrêmement brutale par deux policiers. Ceux-ci ont commencé par le tutoyer en lui ordonnant de se coucher en pleine rue. Comme il relevait que ce n’était plus le temps des colonies, qu’il était un être humain comme un autre, qu’il pouvait leur montrer ses papiers mais qu’il refusait de se coucher, ils ont commencé à le traiter de «sale nègre», de «sale race». L’un d’eux lui a dit «que son grand-père avait niqué son père et que lui resterait toujours en bas de l’échelle». Les coups sont alors partis, extrêmement violents, jusqu’au bris de la matraque; couché et à deux doigts de s’évanouir, tant l’un des agents lui serrait le cou, la victime lui a alors mordu le bras pour parvenir à respirer. Le policier a pu recevoir un traitement approprié, suite aux informations données par l’homme interpellé. Qaunt au jeune Burkinabé, il souffre d’une fracture de la clavicule. Alors qu’il se plaignait de l’épaule, il a encore été battu en cellule. Il est aussi resté menotté, les mains derrière le dos. Ce n’est qu’à l’hôpital que les menottes lui ont été enlevées. A son retour au poste, il a dû refuser de signer une version «arrangée» de sa déclaration. Vers 4 heures du matin, il a enfin été transféré dans un autre poste de police, où les agents se sont montrés très corrects. Il est resté en cellule jusqu’à son transfert devant le juge, puis il a été relaxé.
A l’heure actuelle, ce jeune homme tente de se remettre de cet épisode traumatisant et de poursuivre ses études, alors qu’il est dans l’incapacité d’écrire. De part et d’autre, des plaintes ont été portées. Ce nouveau dérapage grave de certains membres de la police doit susciter une réflexion et une mobilisation pour garantir la sécurité de toutes et de tous, en particulier des gens de couleur, face à la multiplication des dérapages violents de la part de la police. Il faut que de tels actes soient sanctionnés, mais aussi que des mesures soient prises pour empêcher qu’ils ne se reproduisent.
Nous l’avons rencontré dix jours après cet événement scandaleux et il a bien voulu répondre à nos questions.
Après ce qui t’est arrivé, quels sont tes sentiments et que penses-tu de la police?
Pour commencer, j’aimerais préciser que ce n’est qu’une minorité des policiers qui commettent de tels actes ou qui les trouvent normaux. Au cours de cet événement douloureux, j’ai vu des policiers humains, qui m’on traité très correctement. Après avoir été tabassé, j’ai même été surpris de constater cela. Les policiers qui se montrent ouvertement racistes et violents profitent peut-être de leur tenue pour exprimer leurs convictions et leur toute-puissance. Ces policiers-là ne doivent en aucun cas être couverts par leur hiérarchie, c’est inadmissible. Pour moi, la police doit être au service de la population, protéger les gens et non le contraire. Maintenant, je ne sais plus si je peux faire confiance à la police, en tant que Noir. En discutant avec d’autres Africains, je sais que les contrôles d’identité sont souvent musclés. Le problème, c’est qu’il y a une généralisation qui est la suivante, si tu est Noir, alors tu es un dealer. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac. Je suis d’accord d’être contrôlé, mais je ne peux pas accepter d’être humilié. Les contrôles d’identité doivent être respectueux des droits de la personne, il ne peut y avoir de pratiques discriminatoires.
Qu’en est-il du racisme au quotidien?
Cela existe et j’en ai souffert. Le premier acte raciste que j’ai vécu à Genève a été commis par un cafetier qui m’a dit de vite boire mon café et de partir, parce qu’il ne voulait pas de Noir dans son établissement, il me l’a précisé tel quel. J’ai d’autres exemples comme celui-là, mais la plupart du temps il s’agit d’un racisme en sourdine, implicite. Par exemple, on nous met de côté, on ne nous donne pas toutes les informations pour effectuer un travail ou des démarches, ce qui provoque des erreurs et des critiques. Cette manière de faire sert à renforcer et à confirmer des préjugés. C’est une histoire de domination des plus forts sur les plus faibles, je pense que ce mode de faire se rapproche de certaines pratiques sexistes. Avec le temps, à force d’encaisser ces humiliations, on perd confiance en soi et on intériorise une certaine soumission. C’est peut-être pour ça que les actes racistes ne sont pas dénoncés systématiquement par les victimes.
Dans ces conditions l’intégration ne doit pas être évidente?
Effectivement, je pense qu’il faut lutter contre l’ignorance. Elle est présente tant chez les étrangers-ères que chez les Suisses. Pour cela, le dialogue est essentiel, il permet de se connaître et de comprendre les différences culturelles. Malheureusement, cette possibilité de dialogue est rare. Il y a alors un enchaînement, les étrangers-ères vont avoir tendance à vivre en clan pour se rassurer, ce qui va renforcer les stéréotypes, puisque les Suisses ne vont voir que le groupe (généralisation) et non les individus (qui peuvent être très différents). L’école a un rôle primordial dans l’intégration, elle aide à maîtriser la langue et elle doit aussi ouvrir les esprits à la différence. Pour l’aspect professionnel, c’est paradoxal, il faut travailler pour vivre comme tout le monde, mais le milieu du travail est souvent un frein à l’intégration, parce que porteur d’un racisme implicite. Pour finir, je crois qu’il faut être fier de son identité, de sa culture. En ayant confiance en ce qu’on est, on ne se sent pas menacé par l’autre, on peut donc accepter son point de vue et ce qu’il a à dire.
Entretien réalisé par Marie-Eve TEJEDOR