Swissmetal: «Un début de négociation ce n'est pas médiocre»

Swissmetal: «Un début de négociation ce n’est pas médiocre»

La fin de la longue grève de «la Boillat» à Reconvilliers peut donner lieu à des interprétations divergentes, de par la complexité de la situation, de par la dureté du conflit et sa longueur, alors que la revendication de départ («négociez!») n’avait, au fond, rien d’extraordinaire. Les réactions ont été vives, tranchées souvent. Appel au réalisme et sens du rapport de forces d’un côté, sentiment de gâchis et de trahison de l’autre.1 Le fait de négocier en ayant renoncé à la grève est-il une défaite pour les salarié-e-s de l’entreprise? Pouvait-on faire mieux et plus? Le syndicat et sa direction ont-ils été à l’unisson de la détermination des grévistes? Autant de questions abordées franchement avec Achille Renaud, secrétaire à la section transjurane d’Unia.

La grève à Reconvilliers aura duré cinq semaines. Incontestablement, c’est le conflit social le plus long de ces dernières décennies, supposant une détermination et une mobilisation des grévistes inhabituelles pour le mouvement ouvrier suisse. Au vu de cet engagement exemplaire, le résultat obtenu n’est-il pas négligeable?

Il faut d’abord se remettre dans le contexte du conflit ou du moins en situer l’origine: en premier lieu, il y a, de la part de la direction, de Martin Hellweg en particulier, la volonté dès 2004, de déplacer la fonderie, ce qui est, pour tous ceux et toutes celles qui l’ont vue ou qui ont une idée de ce que cela représente, une folie monumentale. Et de deux, de se séparer également de la presse. Vu sous cet angle et connaissant les rapports de force en Suisse, un résultat comme celui d’un début de négociation n’est pas minime. À ce jour la fonderie est toujours là, la presse également, et les licenciements sont suspendus. Tous ceux et celles qui font du syndicalisme en Suisse et en connaissent les limites savent que le résultat n’est pas médiocre.

Mais en arrêtant la grève, les travailleurs et les travailleuses de «la Boillat» ne prennent-ils pas le risque de mettre tous les atouts dans les mains de Martin Hellweg, le patron de Swissmetal, dont on connaît l’intransigeance?

Tous les acteurs et actrices politiques, économiques et sociaux en arrivaient à cette analyse qu’il fallait sortir de la situation de grève. J’ai des analyses qui viennent autant de l’extrême gauche que de la droite bourgeoise. Car enfin, soyons clairs, quel était le postulat de départ des grévistes et d’Unia? Négocier avec une feuille de route claire! Cela nous l’avons obtenu malgré le fait qu’Hellweg n’ait jamais voulu négocier tant qu’il n’y avait pas reprise du travail. Après avoir obtenu cela, fallait-il dire non, nous ne venons plus, nous avons changé d’avis? Ceux qui pensent cela oublient que la presse, l’association des décolleteurs, la direction de Swissmetal nous auraient descendus en flèche. Et puis, soyons honnêtes, ce sont les commissions d’entreprise qui ont appelé à la reprise du travail.

Les déclarations d’André Daguet, secrétaire central d’Unia, le dimanche 19 février, expliquant aux salarié-e-s de Swissmetal qu’il fallait cesser de jouer aux héros, sont apparues comme un appel brutal à mettre fin à la grève. La presse a relevé les pressions exercées sur les grévistes lors de l’assemblée du jeudi 23 février. Leur porte-parole, Nicolas Wuillemin, parle de « limites du syndicat exprimées brutalement ». La direction syndicale donne ainsi l’impression d’avoir tout fait pour ne pas laisser d’autre choix aux grévistes que l’arrêt de la lutte. L’amertume antisyndicale doit être grande, chez certain-e-s participant-e-s au mouvement?

Quand une grève se décide avec 340 salarié-e-s il y a forcément de l’amertume, de la frustration mais rarement du bonheur. Sortir d’une grève n’est jamais facile. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas se tromper de cible. Dire que le syndicat Unia a trahi est une contre-vérité. Unia s’est engagé à tout faire pour obtenir le retrait des licenciements, pour entrer en négociation sans condition. Cette colère ressemble à celle de l’ouvrier qui rentre le soir et se met à engueuler sa femme parce qu’il ne supporte plus son patron. J’ai passé la nuit d’après la votation à l’usine et les sentiments changeaient déjà; lundi, j’étais à nouveau là et je n’ai plus entendu un seul reproche à notre encontre.

La mobilisation régionale a été intense autour de «ceux de la Boillat». On a toutefois le sentiment que les relais nationaux n’ont pas fonctionné. Même si la paix du travail reste un obstacle majeur dans une situation de ce genre, elle n’explique pas tout. Pourquoi, à ton avis n’a-t-il pas été possible, malgré les enjeux, de faire du cas Swissmetal une bataille centrale du mouvement syndical et de ses alliés?

Nous étions dix pour assurer la présence syndicale et l’encadrement. Nous avons pu compter sur la présence de tous les syndicats et des militant-e-s d’associations. Cela malgré le corporatisme syndical, qui nous a tant coûté dans l’histoire syndicale. En cela Unia et son interprofessionalisme sont une réponse aux enjeux de demain. L’enjeu a été compris de toutes et de tous, ce n’est pas là qu’il y a eu une faiblesse mais bien dans le fait que Swissmetal repose sur trois sites qui n’ont pas joué la solidarité. Et si Dornach s’était mis en grève? Poser la question, c’est y répondre. Cessons de confondre le syndicat avec le syndicalisme car l’un est une institution l’autre est un mouvement collectif. L’un sans l’autre est inutile et si le syndicalisme n’a pas pu forcer les portes de Dornach ce n’est pas la faute au syndicat.

On a entendu Nicolas Wuillemin évoquer une possible expropriation publique des actionnaires, idée reprise dans un article de «L’Evénement syndical», qui sous-titrait: « Osons le politiquement incorrect! ». Est-ce qu’il n’y a pas dans ces réflexions la traduction de l’enjeu fondamentalement politique du conflit: le droit des actionnaires, le droit de la propriété, contre la sauvegarde de l’emploi et de l’outil de production?

Le scénario idéal aurait été qu’un pool de décolleteurs se crée, que les banques cantonales assurent l’autre moitié du financement en vue d’une reprise; mais pour qu’il y ait un acheteur, il faut un vendeur. Etait-ce la volonté de Swissmetal? Je ne le crois pas. Les décolleteurs ont été clairs: ils n’achèteront pas de matières hors du groupe. En fait, le nœud du problème est qu’en Suisse le gouvernement n’a pas de politique industrielle volontariste, contrairement à la France qui, lorsqu’il y a de tels enjeux, intervient immédiatement. Unia, pour ce qui me concerne, n’a jamais mis autant de force dans un combat, et la seule erreur qu’Unia a peut-être faite, est une erreur de communication lors de la dernière assemblée. Mais avec l’ultimatum de M. Bloch, sa menace de tout lâcher, la communication devenait difficile. Enfin rappelons que rien n’est fini et que la comptabilité se fait en fin d’année et pas en cours d’exercice. Il faut donc attendre toute la fin de cette histoire pour faire un vrai bilan qui puisse servir à toutes et tous.

Propos recueillis par Daniel SÜRI

  1. Voir par exemple le blog de Karl: www.laboillat.blogspot.com ainsi que le forum de la section transjurane d’Unia:
    www.transjurane.unia.ch/Forum_Boillat