Italie: mécanique néolibérale de lalternance
Italie: mécanique néolibérale de lalternance
La presse a largement rendu compte de la dernière aventure électorale dans la péninsule voisine. Il est banal dobserver que le jeu de lalternance mécanisme qui semble bien assimilé dans nos démocraties représentatives libérales depuis un quart de siècle sévit dans ce pays avec une précision dhorloger helvétique. En effet, de la Hongrie au Portugal, en passant par lAllemagne, ce mécanisme remplit bien sa fonction. Cest la durée des cycles qui fait la différence entre les pays, pas tellement le mouvement de balancier en soi.
La revanche des «couillons»
LItalie retient lattention pour un certain nombre d«anomalies». En deux mots: un système «bipartisan» calqué sur le modèle américain, qui mélange scrutin proportionnel, primes majoritaires et découpages territoriaux pré-fédéralistes. Cela retient évidemment lattention soutenue des politologues de tous bords, car ce mélange assez unique est taillé à la mesure du premier ministre sortant et de son «club»1 qui tient lieu dorganisation politique. Cest presque aussi banal dobserver comment ce club fait reposer lefficacité de ses «méthodes» qui toute proportion gardée, sapparentent davantage au gangstérisme quà la politique sur les ressources patrimoniales et institutionnelles que ce même personnage a su privatiser à son avantage et celui de ses plus proches complices. La violence de la campagne électorale a fait le reste en offrant un résultat final sur le fil du rasoir: la majorité arrachée par le «centre-gauche» repose sur une décimale de voix à la chambre basse et sur une différence de 2 sièges au Sénat.
Quoi quil en soit, la coalition de «centre-gauche» a bel et bien «gagné les élections», formellement et légalement, atteignant un sommet historique en termes de voix (plus de 19 millions). La droite na pu éviter la débâcle que par une réforme du système électoral imposée unilatéralement la veille du scrutin, ainsi que par une incontinence télévisuelle nauséabonde qui a eu au final raison des derniers abstentionnistes (taux de participation: 83,6%!).
Inversions logiques
Au-delà des fortes impressions suscitées par ces élections politiques, il convient de rappeler quelques éléments essentiels contrastant avec les images pré-formattées servies habituellement par la presse nationale et internationale. Dabord rappelons que le pays nest pas plus «divisé» aujourdhui quil ne létait à lépoque des gouvernements éphémères du «pentaparti», ou des autres formules typiques des institutions de la «première république». Le système «bipartisan» qui feint diviser la classe politique en deux fronts séparés repose davantage sur un artifice institutionnel que sur des réalités politiques ou programmatiques effectives. Une partie consistante de lancien «centre» représenté par la démocratie chrétienne, se retrouve de manière presque symétrique, des deux côtés de lhémicycle, avec des personnalités de premier plan (dont Prodi lui-même) et des organisations entières (UDC, Margherita, etc.) revendiquant un héritage politique commun. Ensuite il faut noter que les frontières entre coalitions ne sont pas étanches. Il y a notamment une formation pseudo-libertaire (ex-parti radical) qui, après avoir assuré une législature au service du gouvernement Berlusconi, a jugé utile de passer, armes et bagages de lautre côté. Enfin, et beaucoup plus inquiétant: la coalition de droite intègre organiquement des formations ouvertement xénophobes et néo- ou post- fascistes (Alleanza Nazionale, Alternative sociale, etc.). Ce qui peut être exprimé de manière plus parlante par lidée quun Italien sur deux sidentifie comme étant politiquement en continuité à légard du fascisme (ou linverse). Faut-il encore rappeler que tout ceci se passe dans un pays où lantifascisme est depuis 1948 une valeur constitutionnelle et fondatrice, au même titre que le travail?
Logique implacable du «néolibéralisme»
Pour regarder au-delà du spectacle que la politique italienne offre delle-même, cest à la société quon doit songer. Et il est à première vue difficile de résoudre léquation: soit tout ce que lon dit et lon sait sur la gestion de Berlusconi (du Financial Times aux instituts officiels de statistique en passant par le FMI) relève de la mythologie ou alors il y aurait près de 19 millions dItaliens aveugles et sourds. Il est vrai quune telle manière de poser le problème conforte lidée selon laquelle la société en question aurait trouvé son équilibre «naturel», entre nantis, classes moyennes et couches populaires. Ou alors il faut changer radicalement de perspective en admettant quune partie des couches populaires socialement majoritaires a voté pour Berlusconi. Comment est-ce possible? Contrairement à un lieu commun très répandu, la «gauche» (pas seulement en Italie ) quand elle se trouve au gouvernement met en uvre des politiques daustérité draconiennes, alors que la droite tend à faire le contraire.
Les Italiens se souviennent trop bien du prix fort payé pour faire rentrer lItalie au pas de charge dans les critères de Maastricht sous le précédent gouvernement (réduction de la dette de 20% et du déficit courant de moitié). Les coupes sombres, et la rigueur fiscale du centre-gauche, avaient déjà fait le lit de Berlusconi en 2001. La promesse de «redressement des comptes», qui était au centre du programme électoral du centre-gauche, ne peut quavoir dissuadé une partie de celles-ceux qui dépendent des prestations de lEtat ou qui ont déjà payé cher le passage à leuro. En face, la surenchère ne pouvait quachever le travail: pour toucher les «petites gens» il suffisait dentamer la gamme qui va de la taxe foncière (près de 80% dItaliens concernés) à la taxe poubelle. Car dans le fond une promesse électorale (de droite) comme chacun sait nengage que celui qui lui prête du crédit
Marco SPAGNOLI
1 Berlusconi, propriétaire du club de foot prestigieux Milan AC, a structuré son organisation «politique» à limage des clubs sportifs, et retenu le slogan des tifosi de la squadra azzurra pour la désigner: Forza Italia.
Tout est relatif
Selon des dernières données disponibles, la majorité de centre-gauche est constituée de 348 sièges à la chambre des députés (49,8% des voix), contre 281 à droite (49,7%), et de 158 sièges au sénat (49.2%), contre 156 (49,9%) à droite, sans compter les 8 sénateurs non élus qui ne sont par définition pas alignés.
A noter que Berlusconi a gouverné durant toute la dernière législature alors quil navait obtenu que le 45,4% des voix à la chambre et le 42,5% au sénat !