Géorgie: une autre guerre pour le pétrole?

Géorgie: une autre guerre pour le pétrole?

De toute évidence, la réponse est oui. La Géorgie
représente en effet un passage important de
l’approvisionnement occidental en pétrole et en gaz; elle
permet, grâce aux oléoducs et au gazoduc qui la
traversent, d’accéder aux ressources
énergétiques de la mer Caspienne (Bakou) et du
Turkménistan. Plus important encore, ces artères vitales
pour l’économie mondiale, et européenne
d’abord, évitent de passer en terre russe et
échappent ainsi à la mainmise de Moscou sur des robinets
hautement stratégiques. Le rôle que l’Europe joue
dans cette crise s’explique naturellement par le fait
qu’elle oppose un producteur de ressources
énergétiques d’un côté à un
important «centre d’acheminement» de ces mêmes
ressources de l’autre et qu’elle ne peut se passer ni de
l’un ni de l’autre.

On remarquera toutefois que cette dimension, présente dans
toutes les têtes, ne fait pas figure de motif officiel du conflit
caucasien. C’est «d’intégrité du
territoire national» et de «droit à
l’autodétermination» que parlent les
communiqués officiels. C’est là la deuxième
dimension de cet affrontement. Pas nécessairement la plus
profonde, mais certainement la plus opérationnelle.
Récemment, la CIA a dressé une carte des groupes
ethnolinguistiques du Caucase, dans un but purement scientifique bien
sûr. Près d’une trentaine de ces groupes se
répartissent sur ce territoire resserré, bordé par
la Russie au nord, par l’Iran et la Turquie au sud, ouvert sur
les mers Noire à l’ouest et Caspienne à
l’est. La politique de Moscou, tsariste d’abord,
stalinienne ensuite, puis poutinienne aujourd’hui, a toujours
joué sur l’opposition entre ces groupes, sur fond de
répression et de poursuite d’une politique
grand’russe.

Mais ni le pétrole, ni la question des nationalités dans
le Caucase ne permettent d’approcher le conflit dans sa
totalité. Comme le Guardian de Londres le constatait lundi 11
août «L’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan est
seulement un élément mineur d’une équation
beaucoup plus large: une tentative, entreprise par les Etats-Unis et
hâtivement reprise par plusieurs alliés
ex-soviétiques, de réduire tous les aspects de
l’influence russe à travers la région, que ce soit
du point de vue économique, politique, diplomatique ou
militaire.» Le régime du bien peu démocratique
président géorgien Saakachvili fait visiblement partie de
ces alliés pro-américains ayant hâtivement voulu
refouler l’influence russe dans le Caucase du Sud.

Armée par les Etats-Unis, Israël et, semble-t-il, la
Turquie, l’armée géorgienne est engagée aux
côtés du grand frère américain en
Afghanistan, mais aussi en Irak (2000 hommes, rapatriés depuis).
Formée par des instructeurs US, cette force de 30 000 hommes a
pour haut fait le bombardement, à l’arme lourde, de la
capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali et de son
hôpital en particulier.

Elargissant encore l’angle de vue, il faut aussi
considérer l’existence d’une alliance des anciennes
républiques soviétiques, le GUAM (Géorgie,
Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie), rejoint pour l’occasion par
la Lituanie, la Pologne et la Roumanie, qui en juin 2007
décidèrent d’accroître le transport des
hydrocarbures de la Caspienne vers l’Europe en évitant la
Russie.

Intégrons enfin le déploiement du système
antimissiles américain en République tchèque et en
Pologne (accord signé avec ce dernier pays en pleine crise
caucasienne) ainsi que la demande d’intégration de la
Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN, pour
conclure que Moscou avait en effet quelques raisons de croire à
une volonté de saper son influence au-delà de ses
frontières et qu’un nouveau «cordon sanitaire»
se mettait en place.

Le soutien occidental à la déclaration unilatérale
d’indépendance du Kosovo fut un signe fort pour le
Kremlin. A la fois offense demandant réparation et modèle
répulsif de dépècement régional. Afin de
faire savoir que certaines leçons avaient été bien
retenues, la Douma (parlement) russe organisa en mars un débat
public sur la question de la reconnaissance de l’Ossétie
du Sud et de l’Abkhazie, cette autre région
géorgienne échappant au contrôle de Tbilissi. Le
prétexte du droit à l’autodétermination des
peuples était trouvé. Restait à saisir la
première occasion pour donner à Moscou la
possibilité de démontrer spectaculairement au monde
entier que – grâce aux milliards engrangés à
travers l’exportation de matières premières –
«Russian is back and alive ! » Ce retour en force vise
à effacer pas à pas l’humiliation subie dans les
années 80-90 lors de l’effondrement de l’Union
soviétique et de ses frontières. Un épisode
historique que Poutine range au niveau de la principale catastrophe
géopolitique du XXe siècle.

Entre ces projets impérialistes dans la région –
l’Europe n’est pas en manque sur ce point non plus -, les
confrontations sont programmées. Pas systématiquement
sous forme de guerre ouverte et classique, mais au mieux sous
l’aspect d’une « drôle de paix ». Les
peuples de la région n’ont pas fini d’en payer le
prix.

Daniel Süri