Nestlégate: nouvel épisode
Nestlégate: nouvel épisode
De nouvelles révélations
prouveraient que Securitas a continué son espionnage
dAttac bien au-delà de 2005, alors que lentreprise
avait affirmé publiquement avoir cessé ses infiltrations
cette même année. Un rapport, censé disculper la
police cantonale vaudoise dans les affaires despionnage, dont
les lacunes et les flous laissent toutefois songeur. Retour sur ces
rebondissements.
Une troisième espionne aurait surveillé le groupe
«multinationales et mondialisation financière»
dAttac Vaud (dont sont issus les auteur-e-s de Attac contre lEmpire Nestlé) de 2005
à aujourdhui.1
Les soupçons se portent sur une femme qui a rejoint le groupe
quelques mois après le départ de «Sara
Meylan» pour ne plus le quitter. Coïncidence troublante,
Sophia2 a travaillé durant des années pour
Securitas. Bien que le secrétaire général de
Securitas, Reto Casutt démente quil sagisse
là dune nouvelle taupe sortie de leur collection, ses
propos nen sont pas moins inquiétants. Il reconnaît
quelle a bien travaillé pour Securitas, mais ajoute-t-il:
«[
] nous ne lavons jamais affectée à
des missions de renseignement. Si elle en a fait, cest dans un
cadre privé.»
Or, Sophia connaîtrait lancien recruteur de Sara Meylan et
ex-chef des Investigation Services de Securitas (IS), Alain3
qui a depuis trois ans sa propre entreprise de sécurité
à Fribourg dont lun des clients actuels est
Nestlé. Lactuel chef de la sécurité de
Nestlé, qui travaillait dailleurs pour Securitas par le
passé, connaît Alain. Aussi, Casutt ferait-il ici
référence à son ancien employé devenu
concurrent entre temps quand il mentionne que Sophia aurait pu
être une taupe à un titre privé? Le même
jour, le Téléjournal de la TSR établissait que
Securitas aurait poursuivi ses opérations despionnage
dAttac bien au-delà de 2005, alors que la direction de
lentreprise de sécurité avait certifié
publiquement le contraire deux semaines plus tôt. Combien de
temps linfiltration dAttac mandatée par
Nestlé a-t-elle réellement duré?4
Multiwatch visé?
A cet égard, il faut préciser que durant les
années 2005-2008, le groupe de travail dAttac Vaud
travaille toujours sur Nestlé, en particulier sur le rôle
de la multinationale dans la privatisation de leau. Mais le
groupe fait aussi activement partie, avec Attac Berne, de Multiwatch5 qui met sur pied fin octobre 2005 une simulation de procès contre les pratiques de Nestlé en Colombie.
Or, le «tribunal populaire» mis sur pied par Multiwatch
dérange beaucoup la multinationale. Il faut noter quentre
1986 et 2005, 10 syndicalistes de Nestlé ont été
assassinés en Colombie et que Multiwatch sinterroge
à cette occasion précisément sur la
responsabilité de la multinationale dans le non-respect des
droits de lhomme dans ce pays.6 Selon lHebdo,
cette manifestation organisée par Mutiwatch est même
loccasion pour lentreprise de multiplier les
intimidations.7
Une semaine avant, le secrétaire du Parti socialiste suisse
(PSS), Hans-Jürg Fehr est«prié» par le PDG,
Peter Brabeck et lex-conseiller fédéral Kaspar
Williger membre du CA, de prendre ses distances avec Multiwatch et le
secrétaire du PSS sexécutera
En outre,
deux semaines avant lévénement, deux membres de
Multiwatch qui hébergent des syndicalistes colombiens venus
témoigner à laudience, verront leur maison
fouillée de fond en comble. Impossible de faire un lien direct
avec Nestlé; pourtant, ces événements mis ensemble
renforcent lhypothèse très inquiétante
dune troisième taupe mandatée par la
multinationale surveillant les activités dAttac et, par
ce biais, celles de Multiwatch.
Police et Securitas: «cachez ces informations que nous ne saurions voir»
Souvenons-nous que lors du Temps Présent du 12 juin, la police
cantonale affirmait avoir été au courant de
linfiltration dAttac. Eh bien, ce nest plus le
cas! Selon le rapport de lancien juge cantonal, la police aurait
accepté sans broncher des informations sur des groupes
altermondialistes durant le G8 de la part de Securitas, mais, et dans
le même temps, elle aurait refusé lorsque
lentreprise voulait leur en vendre. Après le G8, la
police cantonale a été mise au courant
dopérations de ce genre, mais, jure-t-elle, ne savait
rien de lidentité des groupes infiltrés et de
leurs taupes respectives.8
Le problème, cest que le juge sest contenté
dinterroger des responsables de la police et de les croire sur
parole. Pourtant, ces trois derniers mois de nouveaux faits, liens et
contradictions laissent penser quil y a pour le moins anguille
sous roche dans cette affaire, ou pour prendre une métaphore
encore plus parlante, «baleine sous caillou». Un caillou
quil est possible de soulever, si lon sen donne
les moyens. De nouvelles pièces du puzzle sont apparues, mais
celles qui semblent les plus importantes manquent cruellement au
tableau. Lenquête pénale est toujours en cours. Il
est urgent de faire toute la lumière et dinterdire ces
pratiques répugnantes despionnage privé que le
Conseil fédéral a jugées dernièrement
problématiques.9
1 Julian Pidoux, «Une deuxième
taupe pourrait encore surveiller le groupe dAttac», Le
Matin
Dimanche, le 28 septembre 2008.
2 Nom demprunt donné par Le Matin Dimanche
que nous reprenons ici.
3 Idem.
4 Téléjournal de 19h30 du 28 septembre 2008, www.tsr.ch.
5 MultiWatch est constituée dONGs, de
syndicats, duvres dentraide, de partis politiques
et dorganisations parties prenantes du mouvement
altermondialiste, qui se sont penchés depuis 2002 sur les
violations des législations nationales et des droits humains,
ainsi que sur dautres pratiques douteuses, de Nestlé en
Colombie et au Brésil, www.multiwatch.ch
6 Voir notamment, http://www.amnesty.ch/fr/
actualite/magazine/46/colombie-ces-multinationales-qui-profitent-du-crime.
7 Julie Zaugg, «Lespion aimait trop Nestlé», LHebdo, le 17 juillet 2008.
8 Voir la presse romande du 3 octobre 2008.
9 Denis Masmejan, «Evelyne Widmer-Schlumpf critique lespionnage privé», Le Temps,
le 30 septembre 2008.