La Via Campesina Témoignages «suisses» sur la conférence de Maputo

La Via Campesina Témoignages «suisses» sur la conférence de Maputo

 Irène Anex, maraîchère à la
coopérative «Les Jardins de Charrotons» à
Genève était l’une des deux
délégué-e-s d’Uniterre à la
conférence de Maputo. Elle a laissé son jardin et ses
cultures 10 jours pour se plonger dans le bain du mouvement
international. C’est essentiellement l’assemblée des
jeunes qui l’a occupée. Martin Chatagny, anciennement
président d’Uniterre, fut agréablement surpris de
découvrir que les idées qu’il défend depuis
des années se trouvaient au cœur des débats et des
déclarations. Dylan Barclay, de «l’autre
syndicat», était également à Maputo, ce
syndicat ayant adhéré à la Via Campesina. Leur
regard complète notre premier compte-rendu de la 5e
assemblée internationale de La Via Campesina qui a eu lieu en
octobre dernier paru dans le solidaritéS N° 136.

Affirmation des jeunes

Lors de la 2e assemblée des jeunes, Irène était
l’une des déléguées de la région
Europe. Pour la plupart des jeunes de La Via Campesina, la
difficulté d’accéder aux ressources comme les
semences, l’eau et la terre est un vrai problème. Le fait
de pratiquer un métier non rémunérateur
était aussi sur toutes les lèvres. L’exode,
à plus ou moins grande échelle, est présent
partout et s’accompagnant d’une misère sociale et
culturelle. Les migrations (campagne-ville, Sud-Nord) sont l’un
des sujets principaux sur lequel les jeunes veulent se pencher. Les
différences de réalités sont ressenties surtout en
fonction de la force des mouvements sociaux dans chaque pays. Il est
indéniable que l’Amérique latine vit une
période fertile pour les mouvements paysans, malgré la
pression très forte des multinationales. Il y a aussi une
différence notable entre le pourcentage de paysan-ne-s dans les
pays dits «industrialisés», ceux
«émergents» ou «en
développement». Cette réalité des chiffres
implique une manière différente de s’engager pour
la cause paysanne. La région Europe a thématisé le
fait qu’il y a très peu de paysan-ne-s sur le continent et
que l’érosion continue chaque jour. D’où la
nécessité d’organiser plus concrètement le
travail du groupe des jeunes en Europe et que ceux-ci fassent le relais
avec les organisations de la Coordination européenne Via
Campesina.

Plus généralement, les jeunes s’intéressent
à l’accès à la terre, l’installation
et le fait de pouvoir vivre de leur métier. Ces points sont
partagés par les jeunes d’origine paysanne comme par ceux
qui sont issus des villes. Ces derniers trouvent quelques fois la
possibilité de s’installer par le biais de
coopératives pour contourner la cherté de la terre. Les
coopératives regroupant producteurs-trices et
consommateurs-trices ou les fermes collectives peuvent être une
solution.

Ces échanges ont également permis de découvrir des
systèmes originaux pour favoriser l’installation des
jeunes. En Allemagne par exemple, une association réunit jeunes
paysan-ne-s et futurs retraité-e-s afin de favoriser la
transmission du domaine autrement que par la filiation afin que les
fermes continuent d’exister et ne soient pas absorbées par
les voisins.

Irène, après dix jours d’échange a saisi
pourquoi beaucoup de jeunes paysan-ne-s étaient fiers de ce
qu’ils-elles étaient. Car le fait de rendre possible la
poursuite du métier est très important. Irène est
rentrée en Suisse remplie de fierté et confortée
dans son choix agricole. Elle a aussi fortement apprécié
que la formation soit une dimension très importante au sein de
La Via Campesina. Il existe des projets sud-sud pour mettre sur pied
des écoles d’agro-écologie. Par exemple, le
Mouvement des Sans Terre brésilien soutient la création
d’une telle école au Venezuela. La formation technique
mais aussi socio-économique et politique est très
importante. Les jeunes seront les leaders paysans de demain. Ce type de
vision la réjouit car elle a été
déçue par ce qu’on lui a transmis à la HES
de Lullier lors de sa formation. Rien sur l’agriculture
biologique, sur l’histoire de l’agriculture, la politique
agricole etc. Le message était qu’il fallait foncer dans
la production, l’agrandissement et la rationalisation sans trop
se poser de questions. Il semble heureusement que les choses sont en
train de changer, qu’un nouveau souffle est là;
c’est ce qu’Irène souhaite.

Le partage des connaissances

Martin Chatagny, militant paysan d’avant garde et premier en
Suisse à avoir été jugé pour avoir fait du
fromage au noir a retenu l’attention sur l’importance des
échanges et du soutien entre petits paysan-ne-s. «Il faut
que les paysans s’unissent!». Il a relevé
l’incapacité de l’aide au développement
à sortir de la misère les petits producteurs-trices et a
insisté sur la possibilité et le peu de moyens
nécessaires pour les aider. C’est dans cette optique
qu’il a travaillé au Nicaragua, en Ukraine et au Costa
Rica pour développer l’agriculture biologique ou la
production de fromage. Il remarque, cependant, la grande
difficulté pour ces paysan-ne-s à trouver des
filières rémunératrices et dénonce les
profits que les intermédiaires se font sur leur dos. De plus,
ils n’ont souvent jamais appris à produire pour leur
propre alimentation et se nourrissent très mal. La fin des
paysan-ne-s représente pour eux-elles une fin physique! Le
recyclage dans d’autres secteurs, comme c’est le cas au
Nord, n’existe tout simplement pas.

Il trouve la base de La Via Campesina très solide et se
réjouit de son autonomie. «Pas de mandats politiques ou
économiques pour les responsables du mouvement!». Il a
aussi relevé l’importance de la formation interne pour La
Via Campesina. Celle-ci forme ses membres et ses leaders à une
meilleure compréhension des systèmes économiques
ou sur l’agro-écologie, ce qui est indispensable pour le
renforcement du mouvement.

Les travailleurs agricoles en Suisse étaient représentés à Maputo

En plus des deux délégué-e-s d’Uniterre, un
troisième suisse était de la partie. En effet, lors de la
conférence de Maputo, «l’autre syndicat» a
été officiellement accepté au sein de La Via
Campesina pour représenter les travailleurs-euses agricoles.
Dylan Barclay était ainsi délégué. Pour lui
également il était extraordinaire de constater que
malgré des réalités différentes, il y avait
un but commun entre le travailleur agricole de Villeneuve, le cotonnier
malien, le nomade mongole et le producteur de maïs de
l’Altiplano. Alors qu’il appréhendait quelque peu
que cette rencontre soit, à l’image de certains forums
sociaux, essentiellement un échange de points de vue et de
contacts, il a pu constater avec joie que des perspectives
concrètes ont été échafaudées avec
un plan d’action pour les quatre prochaines années. Une
déclaration officielle a clôturé
l’assemblée, des prises de position ont été
votées et des campagnes de mobilisation ont été
avalisées. Le travail autour de la problématique des
multinationales sera par exemple renforcé. L’information
au sein de La Via Campesina comme la pression sur les gouvernements
pour instaurer de véritables réformes agraires seront
développées. Des dates communes de mobilisation avec nos
partenaires ont été décidées.

Ce type de rencontre internationale est aussi très utile pour
développer les carnets d’adresses et créer des
liens. Par exemple, le syndicat des ouvriers agricoles
d’Andalousie (SOC), a pris contact avec les organisations
paysannes du Sénégal. Cela dans le but de transmettre
toute l’information nécessaire aux candidats à la
migration. Car au Sénégal, on est rarement au courant des
conditions souvent désastreuses qui attendent les migrant-e-s
dans les serres andalouses. Il existe des systèmes
d’embauche baptisés «contrats
d’origine», correspondant plus ou moins à nos
anciens permis saisonniers mais qui sont encore plus
précarisants. Les candidat-e-s sont recrutés dans le pays
d’origine et s’engagent à travailler quelques mois
en Espagne puis à retourner dans leur pays. La Via Campesina
souhaite d’ailleurs encourager les contacts entre «pays
d’origine» des migrant-e-s et «pays de
destination».

Valentina Hemmeler Maïga (Uniterre)
Dylan Barclay (l’autre syndicat)