Harmos, rouleau compresseur néolibéral ?

Harmos, rouleau compresseur néolibéral ?



Le concordat d’harmonisation de
la scolarité obligatoire dit HarmoS entrera en vigueur le 1er
janvier 2009. Quels sont les enjeux des réformes prévues
pour les dix premiers cantons – dont Genève, Vaud et
Neuchâtel – à avoir accepté cet accord
visant à une uniformisation intercantonale des systèmes
scolaires ?

La condition pour que le concordat HarmoS devienne
réalité – dix cantons acceptant la réforme
– étant remplie, les cantons qui y ont souscrit ont
désormais six ans pour adapter leurs pratiques de formation. Par
ailleurs, lorsque dix-huit cantons l’auront accepté, le
concordat deviendra obligatoire dans toute la Suisse.

Au service de l’économie

Si celui-ci ne contient pas que des régressions, raison pour
laquelle le SSP lui a apporté un soutien critique –
la scolarisation obligatoire dès 4 ans peut être, dans une
certaine mesure, un facteur de réduction des
inégalités liées à l’origine sociale;
la journée continue peut s’avérer utile aux parents
qui travaillent – l’essentiel des mesures introduites vont
pourtant dans le sens d’un renforcement de la sélection
à l’école et d’une soumission accrue aux
impératifs du marché du travail.

    Ainsi, la fixation de quatre domaines dits standards
(langue maternelle, langues étrangères,
mathématiques, sciences naturelles) conduit à
dévaloriser les disciplines qui ne sont pas directement
liées au marché du travail (sciences humaines et
sociales, éducation citoyenne, découverte de
l’environnement, activités créatrices et
artistiques, activités physiques). Cette standardisation
rencontre d’ailleurs un chaud partisan :
économiesuisse, l’association faîtière du
patronat helvétique qui, dans un communiqué du 10
septembre 2008, intitulé « L’économie
soutient HarmoS », se félicite de cette
« uniformisation des structures scolaires et des objectifs
d’enseignement » qui favorisera « la
mobilité des travailleurs au sein de la Suisse »,
façon de dire que ce qui compte, ce n’est pas
l’élève et ses besoins, mais bien la
corvéabilité facilitée de ses parents.

Privatisation de certains domaines

Ce soutien du patronat à une réforme des contenus
d’enseignement fondée sur les seuls besoins du
marché du travail s’explique aussi par la volonté
d’exclure progressivement de l’école publique et
gratuite les disciplines non standardisées par HarmoS, afin de
créer un « besoin de privé »,
auquel seuls les parents qui en ont les moyens pourront avoir recours.
La formation, et son budget de 27 milliards de francs, dont environ 11
milliards pour la seule scolarité obligatoire, représente
près de 20 % des dépenses publiques en Suisse,
sommes considérables qui suscitent forcément des
convoitises et que la patronat ambitionne de privatiser partiellement.

    HarmoS introduit d’autre part un
système d’évaluation des
« performances » de
l’élève, inspiré des batteries
d’indicateurs de type PISA, mise en place par la très
néolibérale OCDE, fondé sur des critères
purement quantifiables, et qui doit servir de base au
« monitorage » du système scolaire,
c’est-à-dire à sa planification future. Ces
critères d’évaluation, qui font fi de
l’autonomie relative de l’enseignant et du contexte
d’apprentissage, risquent de favoriser une acquisition
mécanique des savoirs, une compétition accrue et un
bachotage conditionné par la future évaluation –
plutôt que d’apprendre il s’agira d’apprendre
à être testé. Les notes à
l’école, en dépit de leurs limites certaines,
s’inscrivent au moins dans un rapport didactique entre
maître et élèves et dans un contexte donné
et vécu, contrairement aux futures évaluations
introduites par HarmoS, dont l’objectivité
autoproclamée semble tomber du ciel. Ces critères
purement quantifiables s’accommodent mal d’un enseignement
visant à favoriser l’autonomie intellectuelle et
l’esprit critique des élèves.

Concurrence et performance

Particulièrement problématique est l’âge
précoce – 8 ans – où commenceront ces
« tests de performances », au
détriment d’une école envisagée comme lieu
de socialisation et de développement des facultés
diverses – cognitives et créatrices – des enfants,
plutôt que comme une fabrique d’élèves
« performants » au regard de leur lointaine
insertion dans le monde du travail. Là encore, le patronat ne
s’y trompe pas, qui salue dans ces nouveaux critères
d’évaluation un moyen de « corriger les
éventuelles causes du manque d’efficience de la
scolarité obligatoire en Suisse » et
d’accroître, par « la
comparabilité » intercantonale, « la
concurrence au niveau de la scolarité
obligatoire », toutes choses d’autant plus
nécessaires que la mise en place « d’un
système scolaire efficient et performant est dans
l’intérêt de l’économie ».

    Ainsi, HarmoS s’inscrit largement dans le
cadre des contre-réformes néolibérales qui, ces
trente dernières années, ont soumis de larges secteurs
des services publics à la logique de la rentabilité.
L’instauration de critères de performance comptables et
technocratiques, censés dicter avec une apparente
objectivité le débat sur l’école, cache en
réalité le renforcement d’un esprit de
compétition, inséparable d’une école
conçue comme outil de reproduction sociale et chambre
d’enregistrement des inégalités de classe.

    La gauche doit proposer au con­traire des
réformes à rebours de celles impulsées par HarmoS,
parmi lesquelées on pourrait citer en vrac: l’école
laïque obligatoire et gratuite jusqu’à 18 ans, la
généralisation des troncs communs, la suppression des
notes, la formation de niveau Master pour tous les
enseignant·e·s, la suppression des redoublements au
profit d’investissements massifs dans les mesures d’appuis
et de soutiens ciblées, la réduction des effectifs par
classe et enfin la suppression de la hiérarchisation des
disciplines en fonction des besoins des employeurs.

Hadrien Buclin