Ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima…
Ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima
solidaritéS combat lislamophobie montante et ses tentatives dinstrumentaliser le féminisme, la
laïcité et la défense des libertés pour
justifier des politiques néocoloniales et racistes. Ce
nest pas une raison pour mettre une sourdine à la
dénonciation des violences faites à des femmes de
familles musulmanes. Nous avons demandé à Pierre Rousset,
responsable du site « europe-solidaire.org »
et membre du NPA, de revenir sur les exactions perpétrées
aujourdhui en Europe par des fondamentalistes et sur la
fragilité des droits des femmes pour sen protéger.
JB
Nicolas Sarkozy vient dannoncer une loi interdisant le port du
voile intégral sur tout lespace public. Dautres
gouvernements européens présentent (Belgique) ou
évoquent des « lois antiburqa »,
même là où personne ne la porte (Danemark). Dans
bien des pays, lextrême droite surfe sur la diabolisation
de lislam. Dans une partie au moins de lEurope, la
stigmatisation des musulman·e·s saggrave ;
elle justifie les mesures anti-immigré·e·s et
sécuritaires ou la
« communautarisation » de la politique comme
réponse à la crise sociale.
Des cas emblématiques
Le combat contre la stigmatisation des musulman·e·s
saffirme ainsi comme une responsabilité majeure pour la
gauche radicale en Europe. Ce combat est mené et dautres
articles en traitent abondamment. En revanche, cest beaucoup
moins vrai pour dautres oppressions subies par des femmes
« musulmanes » (qui peuvent aussi bien
être athées). Cest cette question que je voudrais
aborder ici en commençant par comparer deux
événements récents en France.
En février dernier, Najlae, 19 ans,
marocaine, est expulsée de France, pays où elle
sétait réfugiée en 2005 pour fuir un
mariage forcé. Résidant chez son frère qui la
battait, elle a eu le tort de porter plainte : pour toute
protection, elle a été renvoyée au Maroc. Face au
scandale provoqué par cette mesure, lElysée a
autorisé son retour. Victime à la fois de
loppression patriarcale dans sa famille et de la politique
anti - immigré·e·s des
autorités françaises, elle a
bénéficié des réflexes de solidarité
construits dans la lutte contre lexpulsion des enfants
sans-papiers.
Un mois auparavant, le 12 janvier 2010,
lactrice dorigine algérienne Rayhana, 45 ans, se
rendait au théâtre des Métallos, à Paris,
où elle jouait une pièce sur les femmes en
Algérie. Elle a été arrosée dessence
par deux fondamentalistes qui, heureusement, nont pas
réussi à y mettre le feu. Se sachant menacée, elle
avait porté plainte une semaine plus tôt, sans suite.
Rayhana a pu poursuivre la représentation de sa pièce
grâce au soutien de divers mouvements (Ni putes ni soumises,
Femmes sous lois musulmanes, Marche mondiale des
femmes-France
). Mais cet événement, malgré
son extrême gravité, na pas suscité le
même élan de solidarité que lexpulsion de
Najlae.
LEurope concernée
Comme lattaque contre Rayhana le montre, laction de
mouvements fondamentalistes commence à se faire plus
distinctement sentir en Europe : menaces de mort contre le
journaliste algérien Mahomed Sifaoui, agression des jeunes
filles qui refusent leur code vestimentaire, interdiction aux femmes de
certaines professions (artistes, journalistes, écrivains,
coiffeuses, esthéticiennes)
La liste des victimes de la
violence patriarcale dans la famille ou la communauté
sallonge aussi, depuis le drame de 2002 en France, quand Sohane,
17 ans, était morte brûlée vive à
Vitry-sur-Seine. Les crimes dits
« dhonneur » existent sous nos cieux,
tel en Belgique lassassinat en octobre 2007 de Sadia Sheikh, 20
ans, dorigine pakistanaise, qui avait fui le domicile familial
pour échapper, cette fois encore, à un mariage
forcé. Lannée précédente, en Italie,
Hina Salee avait été égorgée par son
père parce quil ne tolérait plus son mode de vie
« à loccidentale »
La défense des victimes de ces violences
patriarcales se heurte à bien des obstacles. La reconnaissance
des droits des femmes comme droits humains est tardive, fragile. La
réalité des mariages forcés a, par exemple,
longtemps été cachée sous la notion
générale de « mariage
arrangé ». Or, la qualification de
« musulman » sert de prétexte à
bien des remises en question par la justice. En France, en avril 2008,
lannulation dun mariage (en lieu et place dun
divorce) avait été prononcée, car la
chasteté et la virginité auraient été, pour
des musulmans, une « qualité
essentielle » sans laquelle il y avait tromperie sur la
marchandise. En août 2007, les juges italiens de la Cour de
cassation ont acquitté les parents et le frère de Fatima
qui lavaient séquestrée, attachée à
une chaise et battue. En Allemagne, un tribunal a accordé des
circonstances atténuantes à un « crime
dhonneur »
Contraintes, pressions et dénis de droits
La montée de la réaction religieuse (islamique, mais
aussi chrétienne et judaïque), sensible dans le monde, se
manifeste en Europe. Lapparition du voile intégral est
identifiée à des courants particulièrement
réactionnaires comme le salafisme : ce nest pas
parce que nous sommes contre les lois
« antiburqa » quil faut banaliser cet
autre effacement des femmes de la vie publique prôné par
des courants confessionnels dextrême droite. En
Grande-Bretagne, des églises (chrétiennes) demandent
à être exemptées de lois antidiscriminatoires qui
protègent notamment les homosexuel·le·s du refus
dembauche. Au nom de légalité, au lieu
dêtre simplement supprimée, la loi qui fait du
blasphème un délit devrait être
généralisée à toutes les religions. Des
lois communautaires devraient être reconnues
Tout cela
signifiant, en pratique, que les filles et femmes de communautés
musulmanes ne bénéficieraient plus des mêmes droits
que les autres
Dans ce contexte doppression patriarcale et
de conformisme religieux, les pressions sociales à la
« normalité » vestimentaire et
comportementale à lencontre des jeunes filles et des
femmes « musulmanes » pèsent
lourdement sur leur liberté dêtre. Elles se
trouvent véritablement sous le feu croisé des racistes et
des xénophobes dans la société, comme des
fondamentalistes dans leurs propres communautés et des sexistes
de tous bords. Elles méritent la solidarité de la gauche,
et singulièrement de la gauche radicale, face à toutes
les facettes dune oppression multiforme.
Une oppression qui nest certes pas
lapanage des seuls milieux musulmans. Il y a 48˙000 viols par an
en France, où une femme meurt tous les trois jours de
brutalités conjugales. Il nest pas question de
stigmatiser à notre tour les musulmans, comme si la violence
contre les femmes nétait pas présente dans les
sociétés
« européennes ». Mais il ne devrait
pas être non plus question dabandonner les Rayhana, Sadia,
Hina, Fatima à leur sort par peur de « faire le
jeu » des racistes.
Pierre Rousset
Intertitres de notre rédaction.