Turquie-Kurdistan: le peuple kurde défie l’État turc

Turquie-Kurdistan: le peuple kurde défie l’État turc



Actuellement, la résistance du
peuple kurde dicte le calendrier politique de la Turquie. Elle impose
aussi les termes du débat politique. Les revendications sont
nombreuses comme l’usage libre de la langue kurde, une nouvelle
constitution, la décentralisation de l’Etat autoritaire.

Dans ce débat, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK)
s’est imposé comme la seule organisation
représentative du peuple kurde. Le Ministre de la Justice et le
Premier ministre ont déclaré à la presse que des
représentant·e·s de l’Etat ont
rencontré Abdullah Öcalan dans son île-prison. Quant
à celui-ci, il a annoncé à ses avocats qu’il
s’agit pour le moment d’un premier échange, mais que
l’on ne peut parler d’une négociation. Au niveau
international, plusieurs organisations de juristes européens ont
lancé une campagne pour que le PKK soit enlevé de la
liste des organisations terroristes. Pour donner une nouvelle chance
à une solution démocratique, le PKK a
unilatéralement prolongé le cessez-le-feu, en principe
jusqu’en juin 2011, soit jusqu’à la fin des
prochaines élections législatives.

Un projet démocratique construit par le bas

Les thèses défendues par le PKK pour une solution
démocratique ont été très vite reprises par
les plus importantes organisations kurdes, à commencer par le
Parti pour la Paix et la Démocratie (BDP) et le Congrès
Démocratique du Peuple (DTK). Ce Congrès regroupe des
centaines d’organisations de la société civile
à travers toute la Turquie, avec ses 800
délégué·e·s élus dans leur
région. Il a récemment rendu public son projet
d’une transformation démocratique radicale de
l’Etat. Cette organisation unitaire vise en substance une
transformation par le bas de la société et de
l’Etat sans attendre que celui-ci agisse. A travers tout le pays,
le peuple est invité à s’organiser, à
élire ses représentant.e.s dans le DTK. Il s’agit
d’un vrai contre-pouvoir alternatif qui se construit en
parallèle à l’Etat, un contre-pouvoir capable de
mener des actions de désobéissance civile importante.

    Le DTK propose la décentralisation de
l’Etat sous forme d’autonomie démocratique, laquelle
est inspirée de différents modèles existant dans
le monde. Il exige en outre une nouvelle constitution
démocratique. Il encourage les projets bilingues au Kurdistan.
De leur côté, les municipalités kurdes ont
commencé à faire un usage plus répandu de la
langue kurde. Le régime, quant à lui, dénature ce
débat en le qualifiant de projet séparatiste.
Echec des tentatives d’intimidation

Le Parti de la Justice et du Développement (AKP), les
élites militaires et les ultra-nationalistes essaient à
tout prix d’interrompre le débat imposé par le DTK
et le BDP. La plus importante tentative en ce sens a été
l’arrestation de plus de 1800 cadres politiques kurdes depuis le
mois d’avril 2009. Ces arrestations ont eu lieu à la suite
de la victoire aux élections municipales du mois de mars 2009 du
BDP.

    Le plus important procès des
élu·e·s, défenseurs des droits humains et
militant·e·s kurdes a commencé en octobre 2010
à Diyarbakir, dans une salle spécialement construite au
sous-sol du Palais de Justice pouvant accueillir environ 1000
personnes. Le procès historique, avec un acte d’accusation
de plus de 7500 pages, construit de toutes pièces, tourne
actuellement en mise en accusation du régime par les
accusé·e·s (plus de 150 dont plus de 100 en
détention préventive). Face à un procès
dirigé contre ses représentant·e·s, le
peuple kurde s’est mobilisé devant le bâtiment du
tribunal : des milliers de manifestant.e.s sont venus chaque
jour d’une ville différente. Les premiers jours de
l’audience, une délégation internationale,
composée de plus d’une centaine de personnes, s’est
rendue sur place.

    Les accusé·e·s ont
déclaré à la première audience vouloir
s’exprimer dans leur langue. Bien que cette revendication soit
acceptée dans d’autres villes, le Président du
Tribunal l’a rejeté. Quant aux
accusé·e·s, ils ont maintenu leur requête,
mais leur parole a été coupée à chaque
reprise. Face à l’insistance de la défense en
kurde, le Président du Tribunal a renvoyé
l’audience au 13 janvier 2011. Dès la reprise, en
l’absence de traduction, aucune défense sur le fond
n’a pu être faite, les accusé·e·s
n’ont à ce jour pas pu répondre aux chefs
d’inculpation.

    Aux premières heures du procès, face
au refus du Tribunal de l’usage de la langue kurde et
l’irrespect à l’égard des
représentant.e.s du peuple kurde mis au ban des accusés,
il y a eu une explosion de colère populaire dans la plupart des
villes kurdes. D’après les dirigeant·e·s du
BDP, le régime va garder en otage la grande majorité des
1800 cadres politiques pour affaiblir le BDP dans la campagne
électorale pour les élections législatives. Le
parti a cependant pu remplacer ses 1800 cadres les plus
expérimentés et il se dit prêt pour la campagne
électorale.

Vers une alliance de l’AKP avec les anciennes forces paramilitaires ?

Ne pouvant pas affaiblir le BDP par des arrestations en masse, le
régime a eu recours, il y a quelques semaines, à une
nouvelle arme : le Hezbollah turc, une des forces paramilitaires
des années 1990, responsable de milliers
d’exécutions sommaires. Cette organisation a une
implantation au Kurdistan turc. Les chefs de cette organisation,
jugés depuis dix ans pour l’assassinat de plus de 160
kurdes, ont été libérés sur la base de la
révision d’un article du code pénal. Ces derniers
ont été relâchés. Tout semble indiquer une
nouvelle alliance électorale.

    La campagne électorale du BDP montrera
comment la résistance du peuple kurde fera politiquement face
à cette nouvelle alliance entre anciennes forces paramilitaires
criminelles et le pouvoir d’AKP.

Riya Azadî